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tunés; fuyons. Que craignons-nous? nous savons aimer et mourir..... Ardasire, lui dis-je, je jure que vous serez toujours à moi; vous y serez comme si vous ne sortiez jamais de ces bras: je ne me séparerai jamais de vous. J'atteste les dieux que vous seule ferez le bonheur de ma vie..... Vous me proposez un généreux dessein: l'amour me l'avoit inspiré il me l'inspire encore par vous; vous allez voir si je vous aime.

Je la quittai, et, plein d'impatience et d'amour, j'allai partout donner mes ordres. La porte de l'appartement de la princesse fut fermée. Je pris tout ce que je pus emporter d'or et de pierreries. Je fis prendre à mes esclaves divers chemins, et partis seul avec Ardasire dans l'horreur de la nuit; espérant tout, craignant tout, perdant quelquefois mon audace naturelle, saisi par toutes les passions, quelquefois par les remords mêmes, ne sachant si je suivois mon devoir, ou l'amour, qui le fait oublier.

Je ne vous dirai point les périls infinis que nous courûmes. Ardasire, malgré la foiblesse de son sexe, m'encourageoit; elle étoit mourante, et elle me suivoit toujours. Je fuyois la présence des hommes; car tous les hommes étoient devenus mes ennemis: je ne cherchois que les déserts. J'arrivai dans ces montagnes qui sont remplies de tigres et de lions. La présence de ces animaux me rassuroit. Ce n'est point ici, disois-je à Ardasire, que les eunuques de la princesse et les gardes du roi de Médie viendront nous chercher. Mais enfin les bêtes féroces se multiplièrent tellement, que je commençai à craindre.

fis du feu avec des

Je faisois tomber à coups de fiéches celles qui s'approchoient trop près de nous; car, au lieu de me charger des choses nécessaires à la vie, je m'étois muni d'armes qui' pouvoient partout me les procurer. Pressé de toutes parts, cailloux, j'allumai du bois sec; je passois la nuit auprès de ces feux, et je faisois du bruit avec mes armes. Quelquefois je mettois le feu aux forêts, et je chassois devant moi ces bêtes intimidees. J'entrai dans un pays plus ouvert, et j'admirai ce vaste silence de la nature. Il me représentoit ce temps où les dieux naquirent, et où la beauté parut la première; l'amour l'échauffa, et tout fut animé.

Enfin nous sortîmes de la Médie. Ce fut dans une cabane de pasteurs que je me crus le maître du monde, et que je pus dire que j'étois à Ardasire, et qu'Ardasire étoit à moi.

Nous arrivâmes dans la Margiane; nos esclaves nous y rejoignirent. Là, nous vécûmes à la campagne, loin du monde et du bruit. Charmés l'un de l'autre, nous nous entretenions de nos plaisirs présents et de nos peines passées.

Ardasire me racontoit quels avoient été ses sentiments dans tout le temps qu'on nous avoit arrachés l'un à l'autre, ses jalousies pendant qu'elle crut que je ne l'aimois plus, sa douleur quand elle vit que je l'aimois encore, sa fureur contre une loi barbare, sa colère contre moi qui m'y soumettois. Elle avoit d'abord formé le dessein d'immoler la princesse; elle avoit rejeté cette idée: elle auroit trouvé du plaisir à mourir à mes yeux; elle n'avoit

point douté que je ne fusse attendri. Quand j'étois dans ses bras, disoit-elle, quand elle me proposa de quitter ma patrie, elle étoit déjà sûre de moi.

Ardasire n'avoit jamais été si heureuse; elle étoit charmée. Nous ne vivions point dans le faste de la Médie; mais nos mœurs étoient plus douces. Elle voyoit dans tout ce que nous avions perdu les grands sacrifices que je lui avois faits. Elle étoit seule avec moi. Dans les sérails, dans ces lieux de délices, on trouve toujours l'idée d'une rivale, et lorsqu'on y jouit de ce qu'on aime, plus on aime, et plus on est alarmé.

Mais Ardasire n'avoit aucune défiance; le cœur étoit assuré du cœur. Il semble qu'un tel amour donne un air riant à tout ce qui nous entoure, et que, parcequ'un objet nous plaît, il ordonne à toute la nature de nous plaire; il semble qu'un tel amour soit cette enfance aimable devant qui tout se joue, et qui sourit toujours.

Je sens une espèce de douceur à vous parler de cet heureux temps de notre vie. Quelquefois je perdois Ardasire dans les bois, et je la retrouvois aux accents de sa voix charmante. Elle se paroit des fleurs que je cueillois; je me parois de celles qu'elle avoit cueillies. Le chant des oiseaux, le murmure des fontaines, les danses et les concerts de nos jeunes esclaves, une douceur partout répandue étoient des témoignages continuels de notre bonheur.

Tantôt Ardasire étoit une bergère qui, sans parure et sans ornements, se montroit à moi avec sa naïveté naturelle; tantôt je la voyois telle qu'elle

étoit lorsque j'étois enchanté dans le sérail de Médie.

Ardasire occupoit ses femmes à des ouvrages. charmants: elles filoient la laine d'Hircanie; elles employoient la pourpre de Tyr. Toute la maison goûtoit une joie naïve. Nous descendions avec plai sir à l'égalité de la nature; nous étions heureux, et nous voulions vivre avec des gens qui le fussent. Le bonheur faux rend les hommes durs et superbes, et ce bonheur ne se communique point. Le vrai bonheur les rend doux et sensibles, et ce bonheur se partage toujours.

Je me souviens qu'Ardasire fit le mariage d'une de ses favorites avec un de mes affranchis. L'amour et la jeunesse avoient formé cet hymen. La favorite dit à Ardasire: Ce jour est aussi le premier jour de votre hyménée. Tous les jours de ma vie, répondit-elle, seront ce premier jour.

Vous serez peut-être surpris qu'exilé et proscrit de la Médie, n'ayant eu qu'un moment pour me préparer à partir, ne pouvant emporter que l'argent et les pierreries qui se trouvoient sous ma main, je pusse avoir assez de richesses dans la Margiane pour y avoir un palais, un grand nombre de domestiques, et toutes sortes de commodités pour la vie. J'en fus surpris moi-même, et je le suis encore. Par une fatalité que je ne saurois vous expliquer, je ne voyois aucune ressource, et j'en trouvois partout. L'or, les pierreries, les bijoux, sembloient se présenter à moi. C'étoient des hasards, me direz-vous. Mais des hasards si réitérés, et perpétuellement les mêmes, ne pouvoient guère être

des hasards. Ardasire crut d'abord que je voulois la surprendre, et que j'avois porté des richesses qu'elle ne connoissoit pas. Je crus à mon tour qu'elle en avoit qui m'étoient inconnues. Mais nous vîmes bien l'un et l'autre que nous étions dans l'erreur. Je trouvai plusieurs fois dans ma chambre des rouleaux où il y avoit plusieurs centaines de dariques; Ardasire trouvoit dans la sienne des boîtes pleines de pierreries. Un jour que je me promenois dans mon jardin, un petit coffre plein de pièces d'or parut à mes yeux, et j'en aperçus un autre dans le creux d'un chêne sous lequel j'allois ordinairement me reposer. Je passe le reste. J'étois sûr qu'il n'y avoit pas un seul homme dans la Médie qui eût quelque connoissance du lieu où je m'étois retiré; et d'ailleurs je savois que je n'avois aucun secours à attendre de ce côté-là. Je me creusois la tête pour pénétrer d'où me venoient ces secours. Toutes les conjectures que je faisois se détruisoient les unes les autres.

des

On fait, dit Aspar en interrompant Arsace, contes merveilleux de certains génies puissants qui s'attachent aux hommes, et leur font de grands biens. Rien de ce que j'ai ouï dire là-dessus n'a fait impression sur mon esprit; mais ce que j'entends m'étonne davantage : vous dites ce que vous avez éprouvé, et non pas ce que vous avez ouï dire.

Soit que ces secours, reprit Arsace, fussent humains ou surnaturels, il est certain qu'ils ne me manquèrent jamais, et que, de la même manière qu'une infinité de gens trouvent partout la misère,

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