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PQ 2011

.AI 1819 M7-8.

ARSACE ET ISMÉNIE,

HISTOIRE ORIENTALE*.

Sur la fin du règne d'Artamène, la Bactriane fut agitée par des discordes civiles. Ce prince mourut accablé d'ennuis, et laissa son trône à sa fille Isménie. Aspar, premier eunuque du palais, eut la principale direction des affaires. Il desiroit beaucoup le bien de l'état, et il desiroit fort peu le pouvoir. Il connoissoit les hommes, et jugeoit bien des événements. Son esprit étoit naturellement conciliateur, et son ame sembloit s'approcher de toutes les autres. La paix, qu'on n'osoit plus espérer, fut rétablie. Tel fut le prestige d'Aspar; chacun rentra dans le devoir, et ignora presque qu'il en fût sorti. Sans effort et sans bruit, il savoit faire les grandes choses.

(*) En tête d'une édition in-12 de 1784, on lit cet avis d'édi

teur:

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sembloit le

M. de Montesquieu avoit pris bien de la peine pour poser des « bornes entre le despotisme et la monarchie tempérée, qui lui gouvernement naturel des François; mais comme il « est toujours fort dangereux que la monarchie ne tourne en despotisme, il auroit voulu, s'il eût été possible, rendre le despo« tisme même utile. Dans cette vue il a tracé la peinture la plus riante d'un despote qui rend ses peuples heureux : il s'est peut« être flatté qu'un jour, en lisant son ouvrage, un prince, une reine, un ministre, desireroient de ressembler à Arsace, à Is

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La paix fut troublée par le roi d'Hircanie. Il envoya des ambassadeurs pour demander Isménie en mariage; et, sur ses refus, il entra dans la Bactriane. Cette entrée fut singulière. Tantôt il paroissoit armé de toutes pièces, et prêt à combattre ses ennemis ; tantôt on le voyoit vêtu comme un amant que l'amour conduit auprès de sa maîtresse. Il menoit avec lui tout ce qui étoit propre à un appareil de noces; des danseurs, des joueurs d'instruments, des farceurs, des cuisiniers, des eunuques, des femmes; et il menoit avec lui une formidable armée. Il écrivoit à la reine les lettres du monde les plus tendres; et d'un autre côté, il ravageoit tout le pays: un jour étoit employé à des festins, un autre à des expéditions militaires. Jamais on n'a vu une si parfaite image de la guerre et de la paix, et jamais il n'y eut tant de dissolution et tant de discipline. Un village fuyoit la cruauté du vainqueur; un autre étoit dans la joie, les danses, et les festins; et, par un étrange caprice, il cherchoit deux choses incompatibles, de se faire craindre, et de se faire

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ménie, ou à Aspar, ou d'être eux-mêmes les modèles d'une pein«<ture encore plus belle.

« Au reste, plusieurs hommes peuvent être ou despotes ou rois « dans leur famille, dans leur société, dans leurs emplois di« vers : nous pouvons tous faire notre profit de l'Esprit des Lois « et de cet ouvrage-ci.

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L'auteur voyoit l'empire que les femmes ont aujourd'hui sur « les pensées des hommes : pour s'assurer les disciples, il a cher

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« ché à se rendre les maîtres favorables; il a parlé la langue qui

leur est la plus familière et la plus agréable; il a fait un roman : « il y a peint l'amour tel qu'il le sentoit, impétueux, rarement " sombre, souvent badin. »

aimer: il ne fut ni craint ni aimé. On opposa une armée à la sienne; et une seule bataille finit la guerre. Un soldat nouvellement arrivé dans l'armée des Bactriens fit des prodiges de valeur; il perça jusqu'au lieu où combattoit vaillamment le roi d'Hircanie, et le fit prisonnier. Il remit ce prince à un officier; et, sans dire son nom, il alloit rentrer dans la foule: mais, suivi par les acclamations, il fut mené comme en triomphe à la tente du général. parut devant lui avec une noble assurance; il parla modestement de son action. Le général lui offrit des récompenses; il s'y montra insensible: il voulut le combler d'honneurs ; il y parut accoutumé.

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Aspar jugea qu'un tel homme n'étoit pas d'une naissance ordinaire. Il le fit venir à la cour; et quand il le vit, il se confirma encore plus dans cette pensée. Sa présence lui donna de l'admiration; la tristesse même qui paroissoit sur son visage lui inspira du respect; il loua sa valeur, et lui dit les choses les plus flatteuses. Seigneur, lui dit l'étranger, excusez un malheureux que l'horreur de sa situation rend presque incapable de sentir vos bontés, et encore plus d'y répondre. Ses yeux se remplirent de larmes, et l'eunuque en fut attendri. Soyez mon ami, lui dit-il, puisque vous êtes malheureux. Il y a un moment que je vous admirois; à présent je vous aime; je voudrois vous consoler, et que vous fissiez usage de ma raison et de la vôtre. Venez prendre un appartement dans mon palais ; celui qui l'habite aime la vertu, et vous n'y serez point étranger.

Le lendemain fut un jour de fête pour tous les

Bactriens. La reine sortit de son 'palais, suivie de toute sa cour. Elle paroissoit sur son char au milieu d'un peuple immense. Un voile qui couvroit son visage laissoit voir une taille charmante; ses traits étoient cachés, et l'amour des peuples sembloit les leur montrer.

Elle descendit de son char, et entra dans le temple. Les grands de Bactriane étoient autour d'elle. Elle se prosterna, et adora les dieux dans le silence; puis elle leva son voile, se recueillit, et dit à haute voix :

Dieux immortels! la reine de Bactriane vient vous rendre graces de la victoire que vous lui avez donnée. Mettez le comble à vos faveurs, en ne permettant jamais qu'elle en abuse. Faites qu'elle n'ait ni passions, ni foiblesses, ni caprices; que ses craintes soient de faire le mal, ses espérances de faire le bien; et puisqu'elle ne peut être heureuse..., dit-elle. d'une voix que les sanglots parurent arrêter, faites du moins que son peuple le soit.

Les prêtres finirent les cérémonies prescrites pour le culte des dieux; la reine sortit du temple, remonta sur son char, et le peuple la suivit jusqu'au palais.

Quelques moments après, Aspar rentra chez lui; il cherchoit l'étranger, et il le trouva dans une affreuse tristesse. Il s'assit auprès de lui, et ayant fait retirer tout le monde, il lui dit: Je vous conjure de vous ouvrir à moi. Croyez-vous qu'un cœur agité ne trouve point de douceur à confier ses peines? C'est comme si l'on se reposoit dans un lieu plus

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