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Les écrits doivent être moins punis que les actions; jamais les simples pensées ne doivent l'être. Accusations non juridiques, espions, lettres anonymes, toutes ces ressources de la tyrannie, également honceux qui en sont l'instrument et à ceux qui s'en servent, doivent être proscrites dans un bon gouvernement monarchique. Il n'est permis d'accuser qu'en face de la loi, qui punit toujours ou l'accusé ou le calomniateur. Dans tout autre cas, ceux qui gouvernent doivent dire avec l'empereur ConNous ne saurions soupçonner celui à qui il a manqué un accusateur, lorsqu'il ne lui man-quoit pas un ennemi ». C'est une très bonne institution que celle d'une partie publique qui se charge au nom de l'état, de poursuivre les crimes, et qui ait toute l'utilité des délateurs sans en avoir les vils intérêts, les inconvénients et l'infamie.

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La grandeur des impôts doit être en proportion directe avec la liberté. Ainsi, dans les démocraties, ils peuvent être plus grands qu'ailleurs sans être onéreux, parceque chaque citoyen les regarde comme un tribut qu'il se paie à lui-même, et qui assure la tranquillité et le sort de chaque membre. De plus, dans un état démocratique, l'emploi infidele des deniers publics est plus difficile, parcequ'il est plus aisé de le connoître et de le punir, le dépositaire en devant compte, pour ainsi dire, au premier citoyen qui l'exige.

Dans quelque gouvernement que ce soit, l'espece de tribut la moins onéreuse est celle qui est établie sur les marchandises, parceque le citoyen paie sans s'en appercevoir. La quantité excessive des troupes, en temps de paix, n'est qu'un prétexte pour charger le peuple d'impôts, un moyen d'énerver l'état, et un instrument de servitude. La régie des tributs, qui en fait rentrer le produit en entier dans le fisc

public, est, sans comparaison, moins à charge au peuple, et par conséquent plus avantageuse, lorsqu'elle peut avoir lieu, que la ferme de ces mêmes tributs, qui laisse toujours entre les mains de quelques particuliers une partie des revenus de l'état. Tout est perdu sur-tout (cé sont ici les termes de l'auteur) lorsque la profession de traitant devient honorable; et elle le devient dès que le luxe est en vigueur. Laisser quelques hommes se nourrir de la substance publique pour les dépouiller à leur tour, comme on l'a autrefois pratiqué dans certains états, c'est réparer une injustice par une autre, et faire deux maux au lieu d'un.

Venons maintenant, avec M. de Montesquieu, aux circonstances particulieres indépendantes de la nature du gouvernement, et qui doivent en modifier les lois. Les circonstances qui viennent de la nature du pays sont de deux sortes; les unes ont rapport au climat, les autres au terrain. Personne ne doute que le climat n'influe sur la disposition habituelle des corps, et par conséquent sur les caracteres ; c'est pourquoi les lois doivent se conformer au physique du climat dans les choses indifférentes, et au contraire le combattre dans les effets vicieux. Ainsi, dans les pays où l'usage du vin est nuisible, c'est une très bonne loi que celle qui l'interdit : dans les pays où la chaleur du climat porte à la paresse, c'est une très bonne loi que celle qui encourage au travail. Le gouvernement peut donc corriger les effets du climat : et cela suffit pour mettre l'Esprit des lois à couvert du reproche très injuste qu'on lui a fait d'attribuer tout au froid et à la chaleur; car, outre que la chaleur et le froid ne sont pas la seule chose par laquelle les climats soient distingués, il seroit aussi absurde de nier certains effets du climat que de vouloir lui attribuer tout.

ESPR. DES LOIS. I.

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L'usage des esclaves, établi dans les Fays chauds de l'Asie et de l'Amérique, et réprouvé dans les climats tempérés de l'Europe, donne sujet à l'auteur de traiter de l'esclavage civil. Les hommes n'ayant pas plus de droit sur la liberté que sur la vie les uns des autres, il s'ensuit que l'esclavage, généralement parlant, est contre la loi naturelle. En effet, le droit de l'esclavage ne peut venir ni de la guerre, puisqu'il ne pourroit être alors fondé que sur le rachat de la vie, et qu'il n'y a plus de droit sur la vie de ceux qui n'attaquent plus; ni de la vente qu'un homme fait de lui-même à un autre, puisque tout citoyen, étant redevable de sa vie à l'état, lui est, à plus forte raison, redevable de sa liberté, et par conséquent n'est pas le maître de la vendre. D'ailleurs quel seroit le prix de cette vente? Ce ne peut être l'argent donné au vendeur, puisqu'au moment qu'on se rend esclave toutes les possessions appartiennent au maître or une vente sans prix est aussi chimérique qu'un contrat sans condition. Il n'y a peut-être jamais eu qu'une loi juste en faveur de l'esclavage; c'étoit la loi romaine qui rendoit le débiteur esclave du créancier encore cette loi, pour être équitable, devoit borner la servitude quant au degré et quant au temps. L'esclavage peut, tout au plus, être toléré dans les états despotiques, où les hommes libres, trop foibles contre le gouvernement, cherchent à devenir, pour leur propre utilité, les esclaves de ceux qui tyrannisent l'état ; ou bien dans les climats dont la chaleur énerve si fort le corps et affoiblit tellement le courage, que les hommes n'y sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment.

A côté de l'esclavage civil on peut placer la servitnde domestique, c'est-à-dire celle où les femmes sont dans certains climats. Elle peut avoir lieu dans

ces contrées de l'Asie où elles sont en état d'habiter avec les hommes avant que de pouvoir faire usage de leur raison; nubiles par la loi du climat, enfants par celle de la nature. Cette sujétion devient encore plus nécessaire dans les pays où la polygamie est établie; usage que M. de Montesquieu ne prétend pas justifier dans ce qu'il a de contraire à la religion, mais qui, dans les lieux où il est reçu (et à ne parler que politiquement ), peut être fondé jusqu'à un eertain point ou sur la nature du pays ou sur le rapport du nombre des femmes au nombre des hommes. M. de Montesquieu parle à cette occasion de la répudiation et du divorce; et il établit sur de bonnes raisons que la répudiation, une fois admise, devroit être permise aux femmes comme aux hommes.

Si le climat a tant d'influence sur la servitude domestique et civile, il n'en a pas moins sur la ser, vitude politique, c'est-à-dire sur celle qui soumet un peuple à un autre. Les peuples du nord sont plus forts et plus courageux que ceux du midi : ceux-ci doivent donc, en général, être subjugués, ceux-là conquérants; ceux-ci esclaves, ceux-là libres. C'est aussi ce que l'histoire confirme : l'Asie a été conquise onze fois par les peuples du nord; l'Europe a souffert beaucoup moins de révolutions.

A l'égard des lois relatives à la nature du terrain, il est clair que la démocratie convient mieux que la monarchie aux pays stériles, où la terre a besoin de toute l'industrie des hommes. La liberté d'ailleurs est, en ce cas, une espece de dédommagement de la dureté du travail. Il faut plus de lois pour un peuple agriculteur que pour un peuple qui nourrit des troupeaux, pour celui-ci que pour un peuple chasseur, pour un peuple qui fait usage de la monnoie que pour celui qui l'ignore.

Enfin on doit avoir égard au génie particulier de

la nation. La vanité, qui grossit les objets, .est un bon ressort pour le gouvernement; l'orgueil, qui les déprise, est un ressort dangereux. Le législateur doit respecter, jusqu'à un certain point, les préjugés, les passions, les abus. Il doit imiter Solon, qui avoit donné aux Athéniens, non les meilleures lois en elles-mêmes, mais les meilleures qu'ils pussent avoir le caractere gai de ces peuples demandoit des lois plus faciles; le caractere dur des Lacédémoniens, des lois plus séveres. Les lois sont un mauvais moyen pour changer les manieres et les usages; c'est par les récompenses et l'exemple qu'il faut tâcher d'y parvenir. Il est pourtant vrai, en même temps, que les lois d'un peuple, quand on n'affecte pas d'y choquer grossièrement et directement ses doivent influer insensiblement sur elles, soit pour les affermir, soit pour les changer.

mœurs,

Après avoir approfondi de cette maniere la nature et l'esprit des lois par rapport aux différentes especes de pays et de peuples, l'auteur revient de nouveau à considérer les états les uns par rapport aux autres. D'abord, en les comparant entre eux d'une maniere générale, il n'avoit pu les envisager que par rapport au mal qu'ils peuvent se faire : ici il les envisage par rapport aux secours mutuels qu'ils peuvent se donner; er ces secours sont principalement fondés sur le commerce. Si l'esprit de commerce produit naturellement un esprit d'intérêt opposé à la sublimité des vertus morales, il rend aussi un peuple naturellement juste, et en éloigne l'oisiveté et le brigandage. Les nations libres qui vivent sous des gouvernements modérés doivent s'y livrer plus que les nations esclaves. Jamais une nation ne doit exclure de son commerce une autre nation sans de grandes raisons. Au reste, la liberté en ce genre n'est pas une faculté absolue accordée aux

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