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chie demande qu'il y ait entre le monarque et le peuple beaucoup de pouvoirs et de rangs intermédiaires, et un corps dépositaire des lois, médiateur entre les sujets et le prince. La nature du despotisme exige que le tyran exerce son autorité ou par lui seul, ou par un seul qui le représente.

Quant au principe des trois gouvernements, celui de la démocratie est l'amour de la république, c'est-à-dire de l'égalité. Dans les monarchies, où un seul est le dispensateur des distinctions et des récompenses, et où l'on s'accoutume à confondre l'état avec ce seul homme, le principe est l'honneur, c'est-à-dire l'ambition et l'amour de l'estime. Sous le despotisme enfin, c'est la crainte. Plus ces principes sout en vigueur, plus le gouvernement est stable; plus ils s'alterent et se corrompent, plus il incline à sa destruction. Quand l'auteur parle de l'égalité dans les démocraties, il n'entend pas une égalité extrême, absolue, et par conséquent chimérique; il entend cet heureux équilibre qui rend tous les citoyens également soumis aux lois, et également intéressés à les observer.

Dans chaque gouvernement les lois de l'éducation doivent être relatives au principe. On entend ici par éducation celle qu'on reçoit en entrant dans le monde, et non celle des parents et des maîtres, qui souvent y est contraire sur-tout dans certains états. Dans les monarchies, l'éducation doit avoir pour objet l'urbanité et les égards réciproques dans les états despotiques, la terreur et l'avilissement des esprits : dans les républiques, on a besoin de toute la puissance de l'éducation; elle doit inspirer un sentiment noble, mais pénible, le renoncement à soi-même, d'où naît l'amour de la patrie.

Les lois que le législateur donne doivent être

conformes au principe de chaque gouvernement: dans la république, entretenir l'égalité et la frugalité; dans la monarchie, soutenir la noblesse sans écraser le peuple; sous le gouvernement despotique, tenir également tous les états dans le silence. On ne doit point accuser M. de Montesquieu d'avoir tracé ici aux souverains les principes du pouvoir arbitraire, dont le nom seul est odieux aux princes justes, et à plus forte raison an citoyen sage et vertueux. C'est travailler à l'anéantir que de montrer ce qu'il faut faire pour le conserver. La perfection de ce gouvernement en est la ruine; et le code exact de la tyrannie, tel que l'auteur le donne, est en même temps la sutyre et le fléau le plus redoutable des tyrans. A l'égard des autres gouvernements, ils ont chacun leurs avantages: le républicain est plus propre aux petits états, le monarchique aux grands; le républicain plus sujet aux excès, le monarchique aux abus; le républicain apporte plus de maturité dans l'exécution des lois, le monarchique plus de promptitude.

La différence des principes des trois gouvernements doit en produire dans le nombre et l'objet des lois, dans la forme des jugements et la nature des peines. La constitution des monarchies, étant invariable et fondamentale, exige plus de lois civiles et de tribunaux, afin que la justice soit rendue d'une maniere plus uniforme et moins arbitraire. Dans les états modérés, soit monarchies, soit républiques, on ne sauroit apporter trop de formalités aux lois criminelles. Les peines doivent être non seulement en proportion avec le crime, mais encore les plus douces qu'il est possible, sur-tout dans la démocratie : l'opinion attachée aux peines fera souvent plus d'effet que leur grandeur même. Dans les républiques, il faut juger selon la loi,

parcequ'aucun particulier n'est le maître de l'altérer. Dans les monarchies, la clémence du souverain peut quelquefois l'adoucir; mais les crimes ne doivent jamais y être jugés que par les magistrats expressément chargés d'en connoître. Enfin, c'est principalement dans les démocraties que les lois doivent être séveres contre le luxe, le relâchement des mœurs, et la séduction des femmes. Leur douceur et leur foiblesse même les rendent assez propres à gouverner dans les monarchies ; et l'histoire prouve que souvent elles ont porté la couronne avec gloire.

M. de Montesquieu, ayant ainsi parcouru chaque gouvernement en particulier, les examine ensuite dans le rapport qu'ils peuvent avoir les uns aux autres, mais seulement sous le point de vue le plus général, c'est-à-dire sous celui qui est uniquement relatif à leur nature et à leur principe. Envisagés de cette maniere, les états ne peuvent avoir d'autres rapports que celui de se défendre ou d'attaquer. Les républiques devant, par leur nature, renfermer un petit état, elles ne peuvent se défendre sans alliance; mais c'est avec des républiques qu'elles doivent s'allier. La force défensive de la monarchie consiste principalement à avoir des frontieres hors d'insulte. Les états ont, comme les hommes, le droit d'attaquer pour leur propre conservation : du droit de la guerre dérive celui de conquête; droit nécessaire, légitime, et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immeuse pour s'acquitter envers la nature humaine, et dont la loi générale est de faire aux vaincus le moins de mal qu'il est possible. Les républiques peuvent moius conquérir que les monarchies des conquêtes immenses supposent le despotisme, ou l'assurent. Un des grands principes de l'esprit de conquête doit être de rendre meil

leure, autant qu'il est possible, la condition du peuple conquis: c'est satisfaire tout à la fois la loi naturelle et la maxime d'état. Rien n'est plus beau que le traité de paix de Gélon avec les Carthaginois, par lequel il leur défendit d'immoler à l'avenir leurs propres enfants. Les Espagnols, en conquérant le Pérou, auroient dû obliger de même les habitants à ne plus immoler des hommes à leurs dieux; mais ils crurent plus avantageux d'immoler ces peuples mêmes. Ils n'eurent plus pour conquête qu'un vaste désert; ils furent forcés à dépeupler leur pays, et s'affoiblirent pour toujours par leur propre victoire, On peut être obligé quelquefois de changer les lois du peuple vaincu; rien ne peut jamais obliger de lui ôter ses mœurs, ou même ses coutumes, qui sont souvent toutes ses mœurs. Mais le moyen le plus sûr de conserver une conquête, c'est de mettre, s'il est possible, le peuple vaincu au niveau du peuple conquérant, de lui accorder les mèmes droits et les mêmes privileges: c'est ainsi qu'en ont souvent usé les Romains; c'est ainsi qu'en usa César à l'égard des Gaulois.

Jusqu'ici, en considérant chaque gouvernement tant en lui-même que dans son rapport aux autres, nous n'avous eu égard ni à ce qui doit leur être commun, ni aux circonstances particulieres, tirées ou de la nature du pays, ou du génie des peuples : c'est ce qu'il faut maintenant développer.

La loi commune de tous les gouvernements, du moins des gouvernements modérés et par conséquent justes, est la liberté politique dont chaque citoyen doit jouir. Cette liberté n'est point la licence absurde de faire tout ce qu'on veut, mais le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent. Elle peut être envisagée, ou dans son rapport à la constitution, ou dans son rapport au citoyen.

Il y a dans la constitution de chaqué état deux sortes de pouvoirs ; la puissance législative, et l'exécutrice; et cette derniere a deux objets, l'intérieur de l'état, et le dehors. C'est de la distribution légitime et de la répartition convenable de ces différentes especes de pouvoirs que dépend la plus grande perfection de la liberté politique par rapport à la constitution. M. de Montesquieu en apporte pour preuve la constitution de la république romaine et celle de l'Angleterre. Il trouve le principe de celle-ci dans cette loi fondamentale du gouvernement des anciens Germains, que les affaires peu importantes y étoient décidées par les chefs, et que les grandes étoient portées au tribunal de la nation, après avoir auparavant été agitées par les chefs. M. de Montesquieu n'examine point si les Anglais jouissent ou non de cette extrême liberté politique que leur constitution leur donne ; il lui suffit qu'elle soit établie par leurs lois. Il est encore plus éloigné de vouloir faire la satyre des autres états: il croit, au contraire, que l'excès, même dans le bien, n'est pas toujours desirable; que la liberté extrême a ses inconvénients comme l'extrême servitude; et qu'en général la nature humaine s'accommode mieux d'un état moyen.

La liberté politique, considérée par rapport an citoyen, consiste dans la sûreté où il est, à l'abri des lois; ou du moins dans l'opinion de cette sûreté, qui fait qu'un citoyen n'en craint point un autre. C'est principalement par la nature et la proportion des peines que cette liberté s'établit ou se détruit. Les crimes contre la religion doivent être punis par la privation des biens que la religion procure; les crimes contre les mœurs, par la honte; les crimes contre la tranquillité publique, par la prison ou l'exil; les crimes contre la sûreté, par les supplices,

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