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chrétiens grecs, que les querelles théologiques, lorsqu'elles cessent d'ètre renfermées dans les écoles, déshonorent infailliblement une nation aux yeux des autres. En effet, le mépris même des sages pour ces querelles ne la justifie pas, parceque les sages faisant par-tout le moindre bruit et le plus petit nombre, ce n'est jamais sur eux qu'une nation est jugée. Il disoit qu'il y avoit très peu de choses vraies dans le livre de l'abbé du Bos sur l'établissement de la monarchie française dans les Gaules, et qu'il en auroit fait une réfutation suivie s'il ne lui' avoit fallu le relire une troisieme ou une quatrieme fois, ce qu'il regardoit comme le plus grand des supplices.

L'importance des ouvrages dont nous avons eu à parler dans cet éloge nous en a fait passer sous silence de moins considérables, qui servoient à l'auteur comme de délassement, et qui auroient suffi pour l'éloge d'un autre. Le plus remarquable est le Temple de Gnide, qui suivit d'assez près les Lettrès persanes. M. de Montesquieu, après avoir été dans celles-ci Horace, Théophraste, et Lucien, fut Ovide et Anacréon dans ce nouvel essai. Ce n'est

plus l'amour despotique de l'orient qu'il se propose de peindre, c'est la délicatesse et la naïveté de l'amour pastoral, tel qu'il est dans une ame neuve que le commerce des hommes n'a point encore corrompue. L'auteur, craignant peut-être qu'un tableau si etranger à nos mœurs ne parût trop languissant et trop uniforme, a cherché à l'animer par les peintures les plus riantes. Il transporte le lecteur dans

des lieux enchantés, dont à la vérité le spectacle intéresse peu l'amant heureux, mais dont la description flatte encore l'imagination quand les desirs sont satisfaits. Emporté par son sujet, il a répandu dans sa prose ce style animé, figuré, et poétique, dont le roman de Télémaque a fourni parmi nous le premier modele. Nous ignorons pourquoi quelques censeurs du Temple de Gnide ont dit à cette occasion qu'il auroit eu besoin d'être en vers. Le style poétique, si on entend comme on le doit par ce mot un style plein de chaleur et d'images, n'a pas besoin pour être agréable de la marche uniforme et cadencée de la versification; mais si on ne fait consister ce style que dans une diction chargée d'épithetes oisives, dans les peintures froides et triviales des ailes et du carquois de l'Amour, et de semblables objets, la versification n'ajoutera presque aucun mérite à ces ornements usés; on y cherchera toujours en vain l'ame et la vie. Quoi qu'il en soit, le Temple de Gnide étant une espece de poëme en prose, c'est à nos écrivains les plus célebres en ce genre à fixer le rang qu'il doit occuper : il mérite de pareils juges. Nous croyons du moins que les peintures de cet ouvrage soutiendroient avec succès une des principales épreuves des descriptions poétiques, celle de les représenter sur la toile. Mais ce qu'on doit sur-tout remarquer dans le Temple de Gnide, c'est qu'Anacréon même y est toujours observateur et philosophe. Dans le quatrieme chent il paroît décrire les mœurs des Sibarites, et on s'apperçoit aisé. ment que ces mœurs sont les nôtres. La préface porte

ESPR. DES LOIS. 1.

DE L'ESPRIT DES LOIS,

PAR D'ALEMRERT;

POUR SERVIR DE suite à l'éloge de MONTESQUIEU.

La plupart des gens de lettres qui ont parlé de l'Esprit des lois s'étant plus attachés à le critiquer qu'à en donner une juste idée, nous allons tâcher de suppléer à ce qu'ils auroient dû faire, et d'en développer le plan, le caractere et l'objet. Ceux qui en trouveront l'analyse trop longue jugeront peutêtre, après l'avoir lue, qu'il n'y avoit que ce seul moyen de bien faire saisir la méthode de l'auteur. On doit se souvenir d'ailleurs que l'histoire des écrivains célebres n'est que celle de leurs pensées et dé leurs travaux 2 et que cette partie de leur éloge en est la plus essentielle et la plus utile.

Les hommes, dans l'état de nature, abstraction faite de toute religion, ne connoissant, dans les différents qu'ils peuvent avoir, d'autre loi que celle des animaux, le droit du plus fort, on doit regarder l'établissement des sociétés comme une espece de traité contre ce droit injuste; traité destiné à établir entre les différentes parties du genre humain une sorte de balance. Mais il en est de l'équilibre moral comme du physique; il est rare qu'il soit parfait et durable; et les traités du genre humain sont, comme les traités entre nos princes, une semence continuelle de divisions. L'intérêt, le besoin, et le plaisir, ont rapproché les hommes ; mais ces mêmes motifs les poussent sans cesse à vou.

loir jouir des avantages de la société sans en porter les charges; et c'est en ce sens qu'on peut dire, avec l'auteur, que les hommes, dès qu'ils sont en société, sont en état de guerre. Car la guerre suppose, dans ceux qui se la font, sinon l'égalité de force, au moins l'opinion de cette égalité; d'où naît le desir et l'espoir mutuel de se vaincre. Or, dans l'état de société, si la balance n'est jamais parfaite entre les hommes, elle n'est pas non plus trop inégale au contraire, on ils n'auroient rien à se disputer dans l'état de nature; ou, si la nécessité les y obligevit, on ne verroit que la foiblesse fuyant devant la force, des oppresseurs sans combat, et des opprimés sans résistance.

la

Voilà donc les hommes réunis et armés tout à la fois, s'embrassant d'un côté, si on peut parler ainsi, et cherchant de l'autre à se blesser mutuellement. Les lois sont le lien plus ou moins efficace destiné à suspendre ou à retenir leurs coups: mais l'éten dae prodigieuse du globe que nous habitons, nature différente des régious de la terre et des peuples qui la convrent, ne permettant pas que tous les hommes vivent sous un seul et même gouvernement, le genre humain a dû se partager en un certain nombre d'états, distingués par la différence des lois auxquelles ils obéissent. Un seul gouvernement n'auroit fait du genre humain qu'un corps éxténné et languissant, étendu sans vigueur sur la surface de la terre: les différents états sont autant de corps agiles et robustes, qui, en se donnant la main les uns aux autres, n'en forment qu'un, et dont l'action réciproque entretient par-tout le mouvement et la vie.

On peut distinguer trois sortes de gouvernements; le républicain, le monarchiqué, le despotique. Dans le républicain, le peuple en corps a la

souveraine puissance. Dans le monarchique, un seul gouverne par des lois fondamentales. Dans le despotique, on ne connoit d'autre loi que la volonté du maître, ou plutôt du tyran. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait dans l'univers que ces trois especes d'états; ce n'est pas à dire même qu'il y ait des états qui appartiennent uniquement et rigoureusement à quelqu'une de ces formes; la plupart sont, pour ainsi dire, mi-partis ou nuancés les uns des autres. Ici, la monarchie incline au despotisme; là, le gouvernement monarchique est combiné avec le gouvernement républicain; ailleurs, ce n'est pas le peuple entier, c'est seulement une partie du peuple qui fait les lois. Mais la division précédente n'en est pas moins exacte et moins juste. Les trois especes de gouvernement qu'elle renferme sont tellement distinguées, qu'elles n'ont proprement rien de commun; et d'ailleurs, tous les états que nous connoissons participent de l'une ou de l'autre. Il étoit donc nécessaire de former de ces trois especes des classes particulieres, et de s'appliquer à déterminer les lois qui leur sont propres. Il sera facile ensuite de modifier ces lois dans l'application à quelque gouvernement que ce soit, selon qu'il appartiendra plus ou moins à ces différentes formes.

Dans les divers états, les lois doivent être relatives à leur nature, c'est-à-dire à ce qui les constitue; et à leur principe, c'est-à-dire à ce qui les soutient et les fait agir: distinction importante, la clef d'une infinité de lois, et dont l'auteur tire bien des conséquences.

Les principales lois relatives à la nature de la démocratie sont que le peuple y soit, à certains égards, le monarque; à d'autres, le sujet ; qu'il élise et juge ses magistrats; et que les magistrats, en certaines occasions, décident. La nature de la monar

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