Page images
PDF
EPUB

succession étant une des choses qu'il importe le plus au peuple de savoir, le meilleur est celui qui frappe le plus les yeux, comme la naissance et un certain ordre de naissance. Une telle disposition arrête les brigues, étouffe l'ambition; on ne captive plus l'esprit d'un prince foible, et l'on ne fait point parler ics

mourants.

Lorsque la succession est établie par une loi fondamentale, un seul prince est le successeur, et ses freres n'ont aucun droit réel ou apparent de lui disputer la couronne. On ne peut présumer ni faire valoir une volonté particuliere du pere. Il n'est donc pas plus ques

tion d'arrêter ou de faire mourir le frere du roi que quelque autre sujet que ce soit.

Mais, dans les états despotiques, où les freres du prince sont également ses esclaves et ses rivaux, la prudence veut que l'on s'assure de leurs personnes, sur-tout dans les pays mahométans, où la religion regarde la victoire ou le succès comine un jugement de Dieu; de sorte que personne n'y est souverain de droit, mais seulement de fait.

L'ambition est bien plus irritée dans des

états où des princes du sang voient que, s'ils ne montent pas sur le trône, ils seront enfermés ou mis à mort, que parmi nous, où les princes du sang jouissent d'une condition qui, si elle n'est pas si satisfaisante pour l'ambition, l'est peut-être plus pour les desirs modérés.

Les princes des états despotiques ont tou

jours abusé du mariage. Ils prennent ordinairement plusieurs femmes, sur - tout dans la partie du monde où le despotisme est, pour ainsi dire, naturalisé, qui est l'Asie. Ils en ont tant d'enfants, qu'ils ne peuvent guere avoir d'affection pour eux, ni ceux-ci pour leurs

freres.

La famille régnante ressemble à l'état ; elle est trop foible, et son chef est trop fort; elle paroît étendue, et elle se réduit à rien. Artaxerxès (1) fit mourir tous ses enfants pour avoir conjuré contre lui. Il n'est pas vraisemblable que cinquante enfants conspirent contre leur pere, et encore moins qu'ils conspirent parcequ'il n'a pas voulu céder sa concubine à son fils ainé. Il est plus simple de croire qu'il y a là quelque intrigue de ces serrails d'orient, de ces lieux où l'artifice, la méchanceté, la ruse, regnent dans le silence, et se couvrent d'une épaisse nuit; où un vieux prince, devenu tous les jours plus imbécille, est le premier prisonnier du palais.

Après tout ce que nous venons de dire il sembleroit que la nature humaine se souleveroit sans cesse contre le gouvernement despotique; mais, malgré l'amour des hommes pour la liberté, malgré leur haine contre la violence, la plupart des peuples y sont soumis : cela est aisé à comprendre. Pour former un gouvernement modéré il faut combiner les puissan

(1) Voyez Justin.

le commerce n'y ont-elles guere de lieu ; elles se réduisent à la simple police.

Le gouvernement ne sauroit être injuste sans avoir des mains qui exercent ces injustices or il est impossible que ces mains ne s'emploient pour elles-mêmes. Le péculat est donc naturel dans les états despotiques.

Ce crime y étant le crime ordinaire, les confiscations y sont utiles. Par-là on console le peuple; l'argent qu'on en tire est un tribut considérable que le prince leveroit difficilement sur des sujets abymés: il n'y a même, dans ce pays, aucune famille qu'on veuille

conserver.

Dans les états modérés, c'est tout autre chose. Les confiscations rendroient la propriété des biens incertaine ; elles dépouilleroient des enfants innocents, elles détruiroient une famille lorsqu'il ne s'agiroit que de punir un coupable. Dans les républiques, elles feroient le mal d'ôter l'égalité qui en fait l'ame, en privant un citoyen de son nécessaire physique (1).

Une loi romaine veut (2) qu'on ne confisque que dans le cas de crime de lese - majesté au premier chef. Il seroit souvent très sage de suivre l'esprit de cette loi, et de borner les

(1) Il me semble qu'on aimoit trop les confiscations dans la république d'Athenes.-(2) Authent. bona damnatorum. Cod. de bon. proscript. seu damn.

confiscations à de certains crimés. Dans les pays où une coutume locale a disposé des propres, Bodin (1) dit très bien qu'il ne faudroit confisquer que les acquêts.

CHAPITRE XVI.

De la communication du pouvoir.

DANs le gouvernement despotique, le pouvoir passe tout entier dans les mains de celui à qui on le confie. Le visir est le despote luimême, et chaque officier particulier est le visir. Dans le gouvernement monarchique, le pouvoir s'applique moins immédiatement; le monarque, en le donnant, le tempere (2). Il fait une telle distribution de son autorité, qu'il n'en donne jamais une partie qu'il n'en retienne une plus grande.

Ainsi, dans les états monarchiques, les gouverneurs particuliers des villes ne relevent pas tellement du gouverneur de la province qu'ils ne relevent du prince encore davantage; et les officiers particuliers des corps militaires ne dépendent pas tellement du général qu'ils ne dépendent du prince encore plus.

Dans la plupart des états monarchiques on a sagement établi que ceux qui ont un commandement un peu étendu ne soient attachés

(1) Liv. V, chap. III.

(2) Ut esse Phœbi dulcius lumen solet

Jamjam cadentis....

ESPR. DES LOIS. 1.

15

le commerce n'y ont-elles guere de lieu ; elles se réduisent à la simple police.

Le gouvernement ne sauroit être injuste sans avoir des mains qui exercent ces injustices or il est impossible que ces mains ne s'emploient pour elles-mêmes. Le péculat est donc naturel dans les états despotiques.

Ce crime y étant le crime ordinaire, les confiscations y sont utiles. Par-là on console le peuple; l'argent qu'on en tire est un tribut considérable que le prince leveroit difficilement sur des sujets abymés: il n'y a même, dans ce pays, aucune familie qu'on veuille

conserver.

Dans les états modérés, c'est tout autre chose. Les confiscations rendroient la propriété des biens incertaine; elles dépouilleroient des enfants innocents, elles détruiroient une famille lorsqu'il ne s'agiroit que de punir un coupable. Dans les républiques, elles feroient le mal d'ôter l'égalité qui en fait l'ame, en privant un citoyen de son nécessaire physique (1).

Une loi romaine veut (2) qu'on ne confisque que dans le cas de crime de lese - majesté au premier chef. Il seroit souvent très sage de suivre l'esprit de cette loi, et de borner les

(1) Il me semble qu'on aimoit trop les confiscations dans la république d'Athenes.-(2) Authent. bona damnatorum. Cod. de bon. proscript. seu damn.

« PreviousContinue »