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roient toute sorte de monopoles. Le commerce est la profession des gens égaux; et, dans les états despotiques, les plus misérables sont ceux où le prince est marchand.

Les lois de Venise (1) défendent aux nobles le commerce qui pourroit leur donner, même innocemment, des richesses exorbitantes.

Les lois doivent employer les moyens les plus efficaces pour que les nobles rendent justice au peuple. Si elles n'ont point établi un tribun, il faut qu'elles soient un tribun ellesmêmes.

Toute sorte d'asile contre l'exécution des tois perd l'aristocratie; et la tyrannie en est tout près.

Elles doivent mortifier, dans tous les temps, l'orgueil de la domination. Il faut qu'il y ait, pour un temps ou pour toujours, un magistrat qui fasse trembler les nobles, comme les éphores à Lacédémone, et les inquisiteurs d'état à Venise; magistratures qui ne sont soumises à aucunes formalités. Ce gouvernement a besoin de ressorts bien violents: une bouche de pierre (2) s'ouvre à tout délateur à Venise; vous diriez que c'est celle de la tyrannie.

Ces magistratures tyranniques dans l'aristocratie ont du rapport à la censure de la dé

(1) Amelot de la Houssaye, du gouvernement de Venise, part. III. La loi Claudia défendoit aux sénateurs d'avoir en mer aucun vaisseau qui tînt plus de quarante muids. Tite-Live, liv. XXI.—(2) Les dé lateurs y jettent leurs billets.

mocratie, qui, par sa nature, n'est pas moins indépendante. En effet, les censeurs ne doivent point être recherchés sur les choses qu'ils ont faites pendant leur censure; il faut leur donner de la confiance, jamais du découragement. Les Romains étoient admirables; on pouvoit faire rendre à tous les magistrats (1) raison de leur conduite, excepté aux censeurs (2).

Deux choses sont pernicieuses dans l'aristocratie; la pauvreté extrême des nobles, et leurs richesses exorbitantes. Pour prévenir leur pauvreté, il faut sur-tout les obliger de bonne heure à payer leurs dettes. Pour modérer leurs richesses, il faut des dispositions sages et insensibles; non pas des confiscations, des lois agraires, des abolitions de dettes, qui font des maux infinis.

Les lois doivent ôter le droit d'aînesse entre les nobles (3), afin que, par le partage continuel des successions, les fortunes se remettent toujours dans l'égalité.

Il ne faut point de substitutions, de retraits lignagers, de majorats, d'adoptions. Tous les

(1) Voyez Tite-Live, liv. XLIX. Un censeur ne pouvoit pas même être troublé par un censeur : chacun faisoit sa note sans prendre l'avis de son collegue; et quand on fit autrement, la censure fut pour ainsi dire renversée.--(2) A Athenes, les logistes, qui faisoient rendre compte à tous les magistrats, ne rendoient point compte cux-mêmes. ---- (3) Cela est ainsi établi à Venise. Amelot de la Houssaye, pages 30. 31.

moyens inventés pour perpétuer la grandeur des familles dans les états monarchiques ne sauroient être d'usage dans l'aristocratie (1).

Quand les lois ont égalisé les familles il leur reste à maintenir l'union entre elles. Les différents des nobles doivent être promptement décidés; sans cela les contestations entre les personnes deviennent des contestations entre les familles. Des arbitres peuvent terminer les procès, ou les empêcher de naître.

Enfin il ne faut point que les lois favorisent les distinctions que la vanité met entre les familles, sous prétexte qu'elles sont plus nobles ou plus anciennes ; cela doit être mis au rang des petitesses des particuliers.

On n'a qu'à jeter les yeux sur Lacédémone; on verra comment les éphores surent mortifier les foiblesses des rois, celles des grands, et celles du peuple.

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CHAPITRE IX.

Comment les lois sont relatives à leur principe dans la monarchie.

L'HONNEUR étant le principe de ce gouvernement, les lois doivent s'y rapporter.

Il faut qu'elles y travaillent à soutenir cette noblesse, dont l'honneur est pour ainsi dire l'enfant et le pere.

(1) Il semble que l'objet de quelques aristocraties soit moins de maintenir l'état, que ce qu'elles appellent leur noblesse.

Il faut qu'elles la rendent héréditaire, non pas pour être le terme entre le pouvoir du prince et la foiblesse du peuple, mais le lien de tous les deux.

Les substitutions, qui conservent les biens dans les familles," seront très utiles dans ce gouvernement, quoiqu'elles ne conviennent pas dans les autres.

Le retrait lignager rendra aux familles nobles les terres que la prodigalité d'un parent aura aliénées.

Les terres nobles auront des privileges comme les personnes. On ne peut pas séparer la dignité du monarque de celle du royaume; on ne peut guere séparer non plus la dignité du noble de celle de son fief.

Toutes ces prérogatives seront particulieres à la noblesse, et ne passeront point au peuple, si l'on ne veut choquer le principe du gouvernement, si l'on ne veut diminuer la force de la noblesse et celle du peuple.

Les substitutions gênent le commerce; le retrait lignager fait une infinité de procès nécessaires; et tous les fonds du royaume vendus sont au moins, en quelque façon, sans maître pendant un an. Des prérogatives attachées à des fiefs donnent un pouvoir très à charge à ceux qui les souffrent. Ce sont des inconvénients particuliers de la noblesse, qui disparoissent devant l'utilité générale qu'elle procure. Mais, quand on les communique au peuple, on choque inutilement tous les principes.

On peut, dans les monarchies, permettre de laisser la plus grande partie de ses biens à un de ses enfants; cette permission n'est même bonne que là.

Il faut que les lois favorisent tout le commerce que la constitution (1) de ce gouvernement peut donner, afin que les sujets puissent, sans périr, satisfaire aux besoins toujours renaissants du prince et de sa cour.

Il faut qu'elles mettent un certain ordre dans la maniere de lever les tributs, afin qu'elle ne soit pas plus pesante que les charges mêmes.

La pesanteur des charges produit d'abord le travail; le travail, l'accablement ; l'accablement, l'esprit de paresse.

CHAPITRE X.

De la promptitude de l'exécution dans la monarchie. LE

E gouvernement monarchique a un grand avantage sur le républicain: les affaires étant menées par un seul, il y a plus de promptitude dans l'exécution. Mais, comme cette promptitude pourroit dégénérer en rapidité, les lois y.mettront une certaine lenteur. Elles ne doivent pas seulement favoriser la nature de chaque constitution, mais encore remédier aux abus qui pourroient résulter de cette même

nature.

(1) Elle ne le permet qu'au peuple. Voyez la loi troisieme, au code de comm, et mercatoribus, qui est pleine de bon sens.

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