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force si réprimante que dans les autres gouvernements. Il faut donc que les lois cherchent à y suppléer; elles le font par l'autorité paternelle.

A Rome, les peres avoient droit de vie et de mort sur leurs enfants (1). A Lacédémone, chaque pere avoit droit de corriger l'enfant

d'un autre.

La puissance paternelle se perdit à Rome avec la république. Dans les monarchies, ой l'on n'a que faire de mœurs si pures, on veut que chacun vive sous la puissance des magis

trats.

Les lois de Rome, qui avoient accoutumé les jeunes gens à la dépendance, établirent une longue minorité. Peut-être avons-nous eu tort de prendre cet usage: dans une monarchie, on n'a pas besoin de tant de contrainte.

Cette même subordination dans la république y pourroit demander que le pere restât, pendant sa vie, le maître des biens de ses enfants, comme il fut réglé à Rome. Mais cela n'est pas de l'esprit de la monarchie.

(1) On peut voir dans l'histoire romaine avec quel avantage pour la république on se servit de cette puissance. Je ne parlerai que du temps de la plus grande corruption. Aulus Fulvius s'étoit mis en chemin pour aller trouver Catilina; son pere le rappela, et le fit mourir. Salluste, de bello Catil. Plusieurs autres citoyens firent de même. Dion, liv. XXXVII.

CHAPITRE VIII.

Comment les lois doivent se rapporter an principe du gouvernement dans l'aristocratie.

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SI, dans l'aristocratie, le peuple est vertueux, on y jouira à peu près du bonheur du gouvernement populaire, et l'état deviendra puissant. Mais, comme il est rare que là où les fortunes des hommes sont si inégales il y ait beaucoup de vertu; il faut que les lois tendent à donner, autant qu'elles peuvent, un esprit de modération, et cherchent à établir cette égalité que la constitution de l'état ôte nécessairement.

L'esprit de modération est ce qu'on appelle la vertu dans l'aristocratie; il y tient la place de l'esprit d'égalité dans l'état populaire.

Si le faste et la splendeur qui environnent les rois font une partie de leur puissance, la modestie et la simplicité des manieres font la force des nobles aristocratiques (1). Quand ils n'affectent aucune distinction, quand ils se confondent avec le peuple, quand ils sont vêtus comme lui, quand ils lui font partager tous leurs plaisirs, il oublie sa foiblesse.

(1) De nos jours les Vénitiens, qui, à bien des égards, se sont conduits très sagement, deciderent, sur une dispute entre un noble vénitien et un gentilhomme de terre-ferme, pour une préséance dans une église, que, hors de Venise, un noble vénitien n'avoit point de prééminence sur un autre citoyen.

ESPR. DES LOIS. I.

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Chaque gouvernement a sa nature et son principe. Il ne faut donc pas que l'aristocratie prenne la nature et le principe de la monarchie; ce qui arriveroit si les nobles avoient quelques prérogatives personnelles et particulieres distinctes de celles de leur corps: les privileges doivent être pour le sénat, et le simple respect pour les sénateurs.

Il y a deux sources principales de désordres dans les états aristocratiques; l'inégalité extrême entre ceux qui gouvernent et ceux qui scnt gouvernés, et la même inégalité entre les différents membres du corps qui gouverne. De ces deux inégalités résultent des haines et des jalousies que les lois doivent prévenir ou arrêter.

La premiere inégalité se trouve principalement lorsque les privileges des principaux ne sont honorables que parcequ'ils sont honteux au peuple. Telle fut à Rome la loi qui défendoit aux patriciens de s'unir par mariage aux plébéiens (1); ce qui n'avoit d'autre effet que de rendre, d'un côté, les patriciens plus superbes, et, de l'autre, plus odieux. Il faut voir les avantages qu'en tirerent les tribuns dans leurs harangues.

Cette inégalité se trouvera encore si la condition des citoyens est différente par rapport aux subsides; ce qui arrive de quatre manieres:

(1) Elle fut mise par les décemvirs dans les deux dernieres tables. Voyez Denys d'Halicarnasse, 1. X.

lorsque les nobles se donnent le privilege de n'en point payer; lorsqu'ils font des fraudes pour s'en exempter (1); lorsqu'ils les appellent à eux sous prétexte de rétributions ou d'appointements pour les emplois qu'ils exercent; enfin quand ils rendent le peuple tributaire, et se partagent les impôts qu'ils levent sur eux. Ce dernier cas est rare; une aristocratie, en cas pareil, est le plus dur de tous les gouver

nements.

Pendant que Rome inclina vers l'aristocratie, elle évita très bien ces inconvénients. Les magistrats ne tiroient jamais d'appointements de leur magistrature. Les principaux de la république furent taxés comme les autres; ils le furent même plus, et quelquefois ils le furent seuls. Enfin, bien loin de se partager les revenus de l'état, tout ce qu'ils purent tirer du trésor public, tout ce que la fortune leur envoya de richesses, ils le distribuerent au peuple pour se faire pardonner leurs honneurs (2).

C'est une maxime fondamentale, qu'autant que les distributions faites au peuple ont de pernicieux effets dans la démocratie, autant en ont-elles de bons dans le gouvernement aristocratique. Les premieres font perdre l'esprit de citoyen, les autres y ramenent.

(1) Comme dans quelques aristocraties de nos. jours: rien n'affoiblit plus l'état.—(2) Voyez dans Strabon, livre XIV, comment les Rhodiens se conduisirent à cet égard.

Si l'on ne distribue point les revenus au peuple, il faut lui faire voir qu'ils sont bien administrés: les lui montrer, c'est en quelque maniere l'en faire jouir. Cette chaîne d'or que l'on tendoit à Venise, les richesses que l'on portoit à Rome dans les triomphes, les trésors que l'on gardoit dans le temple de Saturne, étoient véritablement les richesses du peuple.

Il est sur-tout essentiel, dans l'aristocratie, que les nobles ne levent pas les tributs. Le premier ordre de l'état ne s'en mêloit point à Rome; on en chargea le second, et cela même eut dans la suite de grands inconvénients. Dans une aristocratie où les nobles leveroient les tributs, tous les particuliers seroient à la discrétion des gens d'affaires; il n'y auroit point de tribunal supérieur qui les corrigeât. Ceux d'entre eux préposés pour ôter les abus aimeroient mieux jouir des abus. Les nobles seroient comme les princes des états despotiques, qui confisquent les biens de qui il leur plait.

Bientôt les profits qu'on y feroit seroient regardés comme un patrimoine que l'avarice étendroit à sa fantaisie. On feroit tomber les fermes, on réduiroit à rien les revenus publics. C'est par-là que quelques états, sans avoir reçu d'échec qu'on puisse remarquer, tombent dans une foiblesse, dont les voisins sont surpris, et qui étonne les citoyens mêmes.

Il aut que les lois leur défendent aussi le commerce: des marchands si accrédités fe

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