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sent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme.

Tout dépend donc d'établir dans la république cet amour; et c'est à l'inspirer que l'éducation doit être attentive. Mais, pour que les enfants puissent l'avoir, il y a un moyen sûr, c'est que les peres l'aient eux-mêmes.

On est ordinairement le maître de donner à ses enfants ses connoissances; on l'est encore plus de leur donner ses passions.

Si cela n'arrive pas, c'est que ce qui a été fait dans la maison paternelle est détruit par les impressions du dehors.

Ce n'est point le peuple naissant qui dégénere; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déja corrompus.

CHAPITRE VI.

De quelques institutions des Grecs.

LES anciens Grecs, pénétrés de la nécessité que les peuples qui vivoient sous un gouvernement populaire fussent élevés à la vertu, firent, pour l'inspirer, des institutions singulieres. Quand vous voyez, dans la vie de Lycurgue, les lois qu'il donna aux Lacédémoniens, vous croyez lire l'histoire des Sévarambes. Les lois de Crete étoient l'original de celles de Lacédémone; et celles de Platon en étoient la correction.

Je prie qu'on fasse un peu d'attention à l'é

tendue de génie qu'il fallut à ces législateurs pour voir qu'en choquant tous les usages reçus, en confondant toutes les vertus, ils montreroient à l'univers leur sagesse. Lycurgue, mêlant le larcin avec l'esprit de justice, le plus dur esclavage avec l'extrême liberté, les sentiments les plus atroces avec la plus grande modération, donna de la stabilité à sa ville. Il sembla lui ôter toutes les ressources, les arts, le commerce, l'argent, les murailles: on y a de l'ambition sans espérance d'être mieux : on y a les sentiments naturels, et on n'y est ni enfant, ni mari, ni pere: la pudeur même est ôtée à la chasteté. C'est par ces chemins que Sparte est menée à la grandeur et à la gloire; mais avec une telle infaillibilité de ses institutions, qu'on n'obtenoit rien contre elle en gagnant des batailles, si on ne parvenoit à lui ôter sa police (1).

La Crete et la Laconie furent gouvernées par ces lois, Lacédémone céda la derniere aux Macédoniens, et la Crete (2) fut la derniere proie des Romains. Les Samnites eurent ces

(1) Philopomen contraignit les Lacédémoniens d'abandonner la maniere de nourrir leurs enfants, sachant bien que, sans cela, ils auroient toujours une ame grande et le cœur haut. Plutarque, vie de Philopomen. Voyez Tite-Live, liv. XXXVIII.(2) Elle défendit pendant trois ans ses lois et sa liberté. Voyez les liv. XCVIII, XCIX, et C, de TiteLive, dans l'épitome de Florus. Elle fit plus de résistance que les plus grands rois.

mêmes institutions, et elles furent pour ces Romains le sujet de vingt-quatre triomphes (1).

Cet extraordinaire que l'on voyoit dans les institutions de la Grece, nous l'avons vu dans la lie et la corruption de nos temps modernes (2). Un législateur honnête homme a formé un peuple où la probité paroît aussi naturelle que la bravoure chez les Spartiates. M. Penn est un véritable Lycurgue; et, quoique le premier ait eu la paix pour objet, comme l'autre a eu la guerre, ils se ressemblent dans la voie singuliere où ils ont mis leur ple, dans l'ascendant qu'ils ont eu sur des hommes libres, dans les préjugés qu'ils ont vaincus, dans les passions qu'ils ont soumises.

peu

Le Paraguay peut nous fournir un autre exemple. On a voulu en faire un crime à la société, qui regarde le plaisir de commander comme le seul bien de la vie; mais il sera toujours beau de gouverner les hommes en les rendant plus heureux (3).

Il est glorieux pour elle d'avoir été la premiere qui ait montré dans ces contrées l'idée de la religion jointe à celle de l'humanité. En réparant les dévastations des Espagnols, elle a commencé à guérir une des grandes plaies qu'ait encore reçues le genre humain.

(1) Florus, liv. I.—(2) In fece Romuli. Cicéron. -(3) Les Indiens du Paraguay ne dépendent point d'un seigneur particulier, ne paient qu'un cinquieme des tributs, et ont des armes à feu pour se défendre.

ESPR. DFS LOIS. I.

II

Un sentiment exquis qu'a cette société pour tout ce qu'elle appelle honneur, son zele pour une religion qui humilie bien plus ceux qui l'écontent que ceux qui la prêchent, lui ont fait entreprendre de grandes choses, et elle y a réussi. Elle a retiré des bois des peuples dispersés, elle leur a donné une subsistance assurée, elle les a vêtus: et, quand elle n'auroit fait par-là qu'augmenter l'industrie parmi les hommes, elle auroit beaucoup fait.

Ceux qui voudront faire des institutions pareilles établiront la communauté de biens de la République de Platon, ce respect qu'il demandoit pour les dieux, cette séparation d'avec les étrangers pour la conservation des mœurs, et la cité faisant le commerce, et non pas les citoyens ; ils donneront nos arts sans notre luxe, et nos besoins sans nos desirs.

Ils proscriront l'argent, dont l'effet est de grossir la fortune des hommes au-delà des bornes que la nature y avoit mises; d'apprendre à conserver inutilement ce qu'on avoit amassé de même; de multiplier à l'infini les desirs; et de suppléer à la nature, qui nous avoit donné des moyens très bornés d'irriter nos passions et de nous corrompre les uns les autres.

<< Les Epidamniens (1), sentant leurs mœurs << se corrompre par leur communication avec << les barbares, élurent un magistrat pour faire << tous les marchés au nom de la cité et pour la

(1) Plutarque, Demande des choses grecques.

« cité. » Pour lors, le commerce ne corrompt la constitution, et la constitution ne prive la société des avantages du commerce.

pas

pas

CHAPITRE VII.

En quel cas ces institutions singulieres peuvent être bonnes.

Ces sortes d'institutions peuvent convenir dans les républiques, parceque la vertu politique en est le principe. Mais, pour porter à l'honneur dans les monarchies, ou pour inspirer de la crainte dans les états despotiques, il ne faut pas tant de soins.

Elles ne peuvent d'ailleurs avoir lieu que dans un petit état (1), où l'on peut donner une éducation générale, et élever tout un peuple comme une famille.

Les lois de Minos, de Lycurgue et de Platon, supposent une attention singuliere de tous les citoyens les uns sur les autres. On ne peut se promettre cela dans la confusion, dans les négligences, dans l'étendue des affaires d'un grand peuple.

Il faut, comme on l'a dit, bannir l'argent dans ces institutions. Mais, dans les grandes sociétés, le nombre, la variété, l'embarras, l'importance des affaires, la facilité des achats, la lenteur des échanges, demandent une mesure commune. Pour porter par-tout sa puis

(1) Comme étoient les villes de la Grece.

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