Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VII.

En quel cas ces institutions singulières peuvent être bonnes.

Ces sortes d'institutions peuvent convenir dans les républiques (1), parce que la vertu politique en est le principe; mais, pour porter à l'honneur dans les monarchies, ou pour inspirer de la crainte dans les états despotiques, il ne faut pas tant de soins.

Elles ne peuvent d'ailleurs avoir lieu que dans un petit état (a), où l'on peut donner une éducation générale, et élever tout un peuple comme une famille (2).

Les lois de Minos, de Lycurgue et de Platon, supposent une attention singulière de tous les citoyens les uns sur les autres (3). On ne peut se promettre cela dans la confusion, dans les négligences, dans l'étendue des affaires d'un grand peuple.

Il faut, comme on l'a dit, bannir l'argent (4)

(1) Aucune institution ne doit avoir pour but que la protection de chaque homme elles sont mauvaises dès qu'elles sont autre chose.

(a) Comme étaient les villes de la Grèce.

(2) C'est qu'on ne peut faire oublier la nature à un grand nombre d'hommes.

(3) C'est à la loi à veiller, et non à chaque houme.

(4) C'est vouloir traverser l'Océan sans bateau, ou défendre à la pluie de tomber.

dans ces institutions. Mais, dans les grandes sociétés, le nombre, la variété, l'embarras, l'importance des affaires, la facilité des achats, la lenteur des échanges, demandent une mesure commune. Pour porter partout sa puissance, ou la défendre partout, il faut avoir ce à quoi les hommes ont attaché partout la puissance.

CHAPITRE VIII.

Explication d'un paradoxe des anciens par rapport aux mœurs.

Polybe, le judicieux Polybe, nous dit que la musique était nécessaire pour adoucir les mœurs des Arcades (1), qui habitaient un pays où l'air est triste et froid; que ceux de Cynète, qui négligèrent la musique, surpassèrent en cruauté tous les Grecs, et qu'il n'y a point de ville ou l'on ait vu tant de crimes. Platon ne craint point de dire que l'on ne peut faire de changement dans la musique qui n'en soit un dans la constitution de l'état. Aristote, qui semble n'avoir fait sa Politique que pour opposer ses sentimens à ceux de Platon, est pourtant d'accord avec lui touchant la puissance de la musique sur les mœurs Théophraste, Plutarque (a), Strabon (b), tous les anciens, ont pensé de même. Ce n'est point une

(1) Oui, pour les peuples qui avaient pour principal objet la guerre. De telles lois sont atroces et insensées.

(a) Vie de Pélopidas. — (b) Liv. I.

opinion jetée sans réflexion, c'est un des principes de leur politique (a). C'est ainsi qu'ils donnaient des lois, c'est ainsi qu'ils voulaient qu'on gouvernât les cités.

Je crois que je pourrais expliquer ceci. Il faut se mettre dans l'esprit que, dans les villes grecques, surtout celles qui avaient pour principal objet de guerre tous les travaux et toutes les professions qui pouvaient conduire à gagner de l'argent étaient regardées comme indignes d'un homme libre. « La plupart des arts, dit Xénophon (b), corrompent le corps de ceux qui les exercent; ils obligent de s'asseoir à l'ombre ou près du feu : on n'a de temps ni pour ses amis ni pour la république. » Ce ne fut que dans la corruption de quelques démocraties que les artisans parvinrent à être citoyens. C'est ce qu'Aristote (c) nous apprend; et il soutient qu'une bonne répupublique ne leur donnera jamais le droit de cité (d) (i).

(a) Platon, liv. IV des dois, dit que les préfectures de la musique et de la gymnastique sont les plus importans emplois de la cité. Et, dans sa République, liv. III : « Damon vous dira dit-il, quels sont les sons capables de faire naître la bassesse de l'âme, l'insolence et les vertus contraires. »

(b) Liv. V (*), Dits mémorables.

(c) Politique, liv. III, chap. IV.

(d) Diophante, dit Aristote, POLITIQUE, chap. VII, établit autrefois à Athènes que les artisans seraient esclaves du public. (1) Oui, s'ils ne sont qu'artisans.

(*) Il n'y en a que quatre.

L'agriculture était encore une profession servile (1), et ordinairement c'était quelque peuple vaincu qui l'exerçait : les Ilotes chez les Lacédémoniens, les Périéciens chez les Crétois, les Pénestes chez les Thessaliens; d'autres (a) peuples esclaves, dans d'autres républiques.

Enfin, tout bas commerce (b) était infâme chez les Grecs. Il aurait fallu qu'un citoyen eût rendu des services à un esclave, à un locataire, à un étranger: cette idée choquait l'esprit de la liberté grecque. Aussi Platon (c) veut-il, dans ses Lois, qu'on punisse un citoyen qui ferait le commerce.

On était donc fort embarrassé dans les républiques grecques (2); on ne voulait pas que les citoyens travaillassent au commerce, à l'agriculture, ni aux arts; on ne voulait pas non plus qu'ils fussent oisifs (d). Ils trouvaient une occupation dans les exercices qui dépendaient de la

(1) Les anciens, ainsi que les modernes, attachaient une idée de noblesse à l'oisiveté; et c'est la source de tous les maux dans la politique et dans la morale.

(a) Aussi Platon et Aristote veulent-ils que les esclaves cultivent les terres. Lois, liv. VII; POLITIQUE, liv. VII, chap. X. Il est vrai que l'agriculture n'était pas partout exercée par des 'esclaves; au contraire, comme dit Aristote, les meilleures républiques étaient celles où les citoyens s'y attachaient mais cela n'arriva que par la corruption des anciens gouvernemens devenus démocratiques; car, dans les premiers temps, les villes de Grèce vivaient dans l'aristocratie.

(b) Cauponatio. (c) Lib. II.

(2) On l'est toujours quand on s'écarte du vrai chemin. (d) Aristote, Politique, liv. X.

gymnastique, et dans ceux qui avaient du rapport à la guerre (a). L'institution ne leur en donnait point d'autres. Il faut donc regarder les Grecs comme une société d'athlètes et de combattans. Or, ces exercices, si propres à faire des gens durs et sauvages (b), avaient besoin d'être tempérés par d'autres qui pussent adoucir les mœurs. La musique (1), qui tient à l'esprit par les organes du corps, était très-propre à cela. C'est un milien entre les exercices du corps qui rendent les hommes durs, et les sciences de spéculation qui les rendent sauvages (2). On ne peut pas dire que la musique inspirât la vertu; cela serait inconcevable; mais elle empêchait l'effet de la férocité de l'institution, et faisait que l'âme avait dans l'éducation une part qu'elle n'y au→ rait point eue.

Je suppose qu'il y ait parmi nous une société de gens si passionnés pour la chasse, qu'ils s'en occupassent uniquement; il est sûr qu'ils en contracteront une certaine rudesse, Si ces mêmes gens venaient encore à prendre du goût pour la musique, on trouverait bientôt de la différence

(a) Ars corporum exercendorum, gymnastica; variis certaminibus terendorum, pædotribiea. Aristote, Politique, liv. VIII, ch. III.

(b) Aristote dit que les enfans des Lacédémoniens, qui commençaient ces exercices dès l'âge le plus tendre, en contrac taient trop de férocité. Politique, liv. VIII, ch. IV.

(1) On fit bien de leur apprendre la musique.
(2) Eu égard à nos sociétés galantes et polics.

« PreviousContinue »