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pas le dépôt des lois fondamentales (1). De plus, le conseil du monarque change sans cesse; il n'est point permanent; il ne saurait être nombreux; il n'a point à un assez haut degré la confiance du peuple : il n'est donc pas en état de l'éclairer dans les temps difficiles, ni de le ramener à l'obéissance.

Dans les états déspotiques, où il n'y a point de lois fondamentales, il n'y a pas non plus de de dépôt de lois (2). De là vient que, dans ces pays, la religion a ordinairement tant de force; c'est qu'elle forme une espèce de dépôt et de permanence; et, si ce n'est pas la religion, ce sont les coutumes qu'on y vénère, au lieu des lois.

CHAPITRE V.

Des lois relatives à la nature de l'état despotique.

Il résulte de la nature du pouvoir despotique que l'homme seul qui l'exerce le fasse de même exercer par un seul. Un homme à qui ses cinq sens disent sans cesse qu'il est tout, et que les autres ne sont rien, est naturellement paresseux, ignorant, voluptueux. Il abandonne donc les af

(1) Où sont ces lois fondamentales?

(2) Qui ne voit que tout ce passe ainsi dans les monarchies, où seulement l'opinion plus éclairée fait conserver plus de formes?

faires. Mais s'il les confiait à plusieurs, il y aurait des disputes entre eux; on ferait des brigues pour être le premier esclave; le prince serait obligé de rentrer dans l'administration. Il est donc plus simple qu'il l'abandonne à un visir (a) qui aura d'abord la même puissance que lui. L'établissement d'un visir est dans cet état une loi fondamentale.

On dit qu'un pape, à son élection, pénétré de son incapacité, fit d'abord des difficultés infinies ; il accepta enfin, et livra à son neveu toutes les affaires. Il était dans l'admiration, et disait : « Je n'aurais jamais cru que cela eût été si aisé. » Il en est de même des princes d'orient. Lorsque de cette prison où des eunuques leur ont affaibli le cœur et l'esprit, et souvent leur ont laissé ignorer leur état même, on les tire pour les placer sur le trône, ils sont d'abord étonnés; mais quand ils ont fait un visir, et que, dans leur sérail, ils se sont livrés aux passions les plus brutales; lorsqu'au milieu d'une cour abattue ils ont suivi leurs caprices les plus stupides, ils n'auraient jamais cru que cela eût été si aisé.

Plus l'empire est étendu, plus le sérail s'agrandit, et plus, par conséquent, le prince est enivré de plaisirs. Ainsi, dans ces états, plus le prince a de peuples à gouverner, moins il pense au gouvernement; plus les affaires y sont grandes, et moins on y délibère sur les affaires..

(a) Les rois d'orient ont toujours des visirs, dit M. Chardin.

LIVRE TROISIÈME.

[DES PRINCIPES DES TROIS GOUVERNEMENS.

CHAPITRE PREMIER.

Différence de la nature du gouvernement et de son-
principe (1).

Après avoir examiné quelles sont les lois relatives à la nature de chaque gouvernement, il faut voir celles qui le sont à son principe.

Il y a cette différence (a) entre la nature du gouvernement et son principe, que sa nature est ca qui le fait être tel; et son principe, ce qui le fait agir. L'une est sa structure particulière, et l'autre les passions humaines qui le font mouvoir.

Or les lois ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque gouvernement qu'à sa nature. Il faut donc chercher quel est ce principe. C'est ce que je vais faire dans ce livre-ci.

(1) Le principe d'un gouvernement n'est que le ressort qui résulte de sa nature. Ce livre entier eût été le même en lui donnant pour titre : Conséquence de la nature des trois gouver

nemens.

(a) Cette distinction est très- importante, et j'en tirerai bien des conséquences; elle est la clef d'une infinité de lois.

J'ai dit

CHAPITRE II.

Du principe des divers gouvernemens.

que la nature du gouvernement républicain est que le peuple en corps, ou de certaines familles, y aient la souveraine puissance : celle du gouvernement monarchique, que le prince y ait la souveraine puissance, mais qu'il l'exerce selon des lois établies; celle du gouvernenement despotique, qu'un seul y gouverne selon ses volontés et ses caprices. Il ne m'en faut davantage pour trouver leurs trois principes; ils en dérivent naturellement. Je commencerai par le gouvernement républicain, et je parlerai d'abord du démocratique.

pas

CHAPITRE III.

Du principe de la démocratie.

Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne ou se soutienne: La force des lois dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent

tout. Mais, dans un état populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu. Ce que je dis est confimé par le corps entier de l'histoire, et est très-conforme à la nature des choses. Car il est clair que, dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu'il y est soumis luimême, et qu'il en portera le poids.

Il est clair encore que le monarque qui, par mauvais conseil ou par négligence, cesse de faire exécuter les lois, peut aisément réparer le mal; il n'a qu'à changer de conseil, ou se corriger de cette négligence mème. Mais lorsque, dans un gouvernement populaire, les lois ont cessé d'être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la république, l'état est déjà perdu.

Ce fut un assez beau spectacle, dans le siècle passé, de voir les efforts impuissans des Anglais pour établir parmi eux la démocratie. Coume ceux qui avaient part aux affaires n'avaient point de vertu, que leur ambition était irritée par le succès de celui qui avait le plus osé (a), que l'esprit d'une faction n'était réprimé que par l'esprit d'une autre, le gouvernement changeait sans cesse; le peuple étonné cherchait la démocratie, et ne (a) Cromwell.

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