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grandeur de la puissance par la briéveté de sa durée. Un an est le temps que la plupart des législateurs ont fixé; un temps plus long serait dangereux; un plus court serait contre la nature de la chose. Qui est-ce qui voudrait gouverner ainsi ses affaires domestiques? A Raguse (a) le chef de la république change tous les mois; les autres officiers, toutes les semaines; le gouverneur du château, tous les jours. Ceci ne peut avoir lieu que dans une petite république (b) environnée de puissances formidables qui corrompraient aisément de petits magistrats.

La meilleure aristocratie est celle où la partie du peuple qui n'a point de part à la puissance est si petite et si pauvre, que la partie dominante n'a aucun intérêt à l'opprimer. Ainsi, quand Antipater (c) établit à Athènes que ceux qui n'auraient pas deux mille drachmes seraient exclus du droit de suffrage, il forma la meilleure aristocratie qui fût possible; parce que ce cens était si petit qu'il n'excluait que peu de gens, et personne qui eût quelque considération dans la cité.

Les familles aristocratiques doivent donc être peuple autant qu'il est possible. Plus une aristocratie approchera de la démocratie, plus elle sera

(a) Voyages de Tournefort,

(b) A Lucques, les magistrats ne sont établis

mois.

que pour deux

(c) Diodore, livre XVIII, p. 601, édition de Rhodoman.

parfaite; et elle le deviendra moins à mesure qu'elle approchera de la monarchie (1),

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La plus imparfaite de toutes est celle où la partie du peuple qui obéit est dans l'esclavage civil de celle qui commande, comme l'aristocratie de Pologne, où les paysans sont esclaves de la noblesse.

CHAPITRE IV.

Des lois, dans leur rapport avec la nature du gouvernement monarchique.

Les pouvoirs intermédiaires, subordonnés et dépendans, constituent la nature du gouvernement monarchique (2), c'est-à-dire, de celui où un seul gouverne par des lois fondamentales. J'ai dit les pouvoirs (3) intermédiaires, subordonnés et dépendans en effet, dans la monarchie, le prince est la source de tout pouvoir politique et civil. Ces lois fondamentales supposent nécessairement

(1) Dans ce chapitre, le projet de réunir la démocratie à l'aristocratie sous les mêmes définitions lui fait confondre Athènes, Rome et Venise.

(2) Ici, au contraire, pour vouloir séparer des choses qui ne diffèrent que parce que l'une est l'abus de l'autre, il tombe dans une confusion pareille.

(3) Qu'est-ce que des lois et des pouvoirs que l'intérêt ou la volonté d'un seul viole, rend nuls, ou anéantit?

que

des canaux moyens par où coule la puissance : car, s'il n'y a dans l'état la volonté momentanée et capricieuse d'un seul, rien ne peut être fixe, et par conséquent aucune loi fondamentale.

Le pouvoir intermédiaire subordonné le plus naturel est celui de la noblesse (1). Elle entre en quelque façon dans l'essence de la monarchie, dont la maxime fondamentale est, point de momarque, point de noblesse; point de noblesse point de monarque. Mais on a un despote.

Il y a des gens qui avaient imaginé, dans quelques états en Europe, d'abolir toutes les justices des seigneurs. Ils ne voyaient pas qu'ils voulaient faire ce que le parlement d'Angleterre a fait. Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un état populaire, ou bien un état despotique.

Les tribunaux d'un grand état en Europe frappent sans cesse, depuis plusieurs siècles, sur la juridiction patrimoniale des seigneurs et sur l'ecclésiastique. Nous ne voulons pas censurer des magistrats si sages; mais nous laissons à décider jusqu'à quel point la constitution en peut être changée.

Je ne suis point entêté des priviléges des ecclésiastiques; mais je voudrais qu'on fixât bien (1) Je vois des rangs, des dépots de lois, et point de pouvoirs.

une fois leur juridiction. Il n'est point question de savoir si on a eu raison de l'établir, mais si elle est établie; si elle fait une partie des lois du pays, et si elle y est partout relative; si, entre deux pouvoirs que l'on reconnaît indépendans, les conditions ne doivent pas être réciproques; et s'il n'est pas égal à un bon sujet de défendre la justice du prince, ou les limites qu'elle s'est de tout temps prescrites.

Autant que le pouvoir du clergé est dangereux dans une république, autant est-il convenable dans une monarchie (i), surtout dans celles qui vont au despotisme. Où en seraient l'Espagne et le Portugal depuis la perte de leurs lois, sans ee pouvoir qui arrête seul la puissance arbitraire? Barrière toujours bonne lorsqu'il n'y en a point d'autre car, comme le despotisme cause à la nature humaine des maux effroyables, le mal même qui le limite est un bien.

Comme la mer qui semble vouloir couvrir toute la terre, est arrêtée par les herbes et les moindres graviers qui se trouvent sur le rivage, ainsi les monarques, dont le pouvoir paraît sans bornes, s'arrêtent par les plus petits obtacles, et soumettent leur fierté naturelle à la plainte et à la prière.

Les Anglais, pour favoriser la liberté, ont ôté toutes les puissances intermédiaires qui for- · (1) Faux.

maient leur monarchie. Ils ont bien raison de conserver cette liberté : s'ils venaient à la perdre, ils seraient un des peuples les plus esclaves de la terre.

M. Law, par une ignorance égale de la constitution républicaine et de la monarchique, fut un des plus grands promoteurs du despotisme que l'on eût encore vus en Europe (1). Outre les changemens qu'il fit, si brusques, si inusités, si inouis, il voulait ôter les rangs intermédiaires et anéantir les corps politiques : il dissolvait (a) la monarchie par ses chimériques rembourseet semblait vouloir racheter la constitution

mens,

même.

Il ne suffit pas qu'il y ait dans une monarchie des rangs intermédiaires, il faut encore un dépôt de lois. Ce dépôt ne peut-être que dans les corps politiques, qui annoncent les lois lorsqu'elles sont faites, et les rappellent lorsqu'on les oublie. L'ignorance naturelle à la noblesse, son inattention, son mépris pour le gouvernement civil, exigent qu'il y ait un corps qui fasse sans cesse sortir les lois de la poussière où elles seraient ensevelies. Le conseil du prince n'est pas un dépôt convenable : il est, par sa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince qui exécute, et non

(1) Je n'entends point son crime.

(a) Ferdinand, roi d'Aragon, se fit grand-maître des ordres, et cela seul altéra la constitution.

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