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nature seront celles qu'il recevrait dans un état pareil.

Cette loi qui, en imprimant dans nous-mêmes l'idée d'un créateur, nous porte vers lui, est la première des lois naturelles par son importance, et non pas dans l'ordre de ces lois. L'homme, dans l'état de nature, aurait plutôt la faculté de connaître, qu'il n'aurait des connaissances. Il est clair que ses premières idées ne seraient point des idées spéculatives; il songerait à la conservation de son être avant de chercher l'origine de son être. Un homme pareil ne sentirait d'abord que sa faiblesse (1); sa timidité serait extrême ; et, si l'on avait là-dessus besoin de l'expérience, l'on a trouvé dans les forêts des hommes sauvages (a): tout les fait trembler, tout les fait fuir.

Dans cet état, chacun se sent inférieur; à peine chacun se sent-il égal. On ne chercherait donc point à s'attaquer, et la paix serait la première loi naturelle (2).

Le désir que Hobbes donne d'abord aux hommes de se subjuguer les uns les autres (3) n'est pas

(1) Pourquoi ne sentirait-il pas aussi sa force, et une audace proportionnée à la violence de ses besoins et à ses ressources?

(a) Témoin le sauvage qui fut trouvé dans les forêts de Hanover, et que l'on vit en Angleterre sous le règne de George Ier. (2) La première loi de tous les êtres est de satisfaire à leurs besoins.

(3) Hobbes vivait au milieu des guerres civiles.

raisonnable. L'idée de l'empire et de la domination est si composée et dépend de tant d'autres idées, que ce ne serait pas celle qu'il aurait d'abord.

Hobbes demande pourquoi, si les hommes ne sont pas naturellement en état de guerre, ils vont toujours armés, et pourquoi ils ont des clefs pour fermer leurs maisons. Mais on ne sent pas que l'on attribue aux hommes, avant l'établissement des sociétés, ce qui ne peut leur arriver qu'après cet établissement, qui leur fait trouver des motifs pour s'attaquer et pour se défendre.

Au sentiment de sa faiblesse l'homme joindrait le sentiment de ses besoins : ainsi une autre loi naturelle serait celle qui lui inspirerait de chercher à se nourrir.

J'ai dit que la crainte porterait les hommes à se fuir, mais les marques d'une crainte réciproque les engageraient bientôt à s'approcher. D'ailleurs, ils y seraient portés par le plaisir qu'un animal sent à l'approche d'un animal de son espèce. De plus, ce charme que les deux sexes s'inspirent par leur différence augmenterait ce plaisir; et la prière naturelle qu'ils se font toujours l'un à l'autre serait une troisième loi.

Outre le sentiment que les hommes ont d'abord, ils parviennent encore à avoir des connaissances; ainsi ils ont un second lien que les autres animaux n'ont pas. Ils ont donc un nouveau

motif de s'unir; et le désir de vivre en société est une quatrième loi naturelle.

Sitôt

CHAPITRE III.

Des lois positives.

les hommes sont en société ils perque dent le sentiment de leur faiblesse ; l'égalité qui était entre eux cesse, et l'état de guerre commence (1).

Chaque société particulière vient à sentir sa force; ce qui produit un état de guerre de nation à nation. Les particuliers, dans chaque société, commencent à sentir leur force; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette société, ce qui fait entre eux un état de guerre.

Ces deux sortes d'état de guerre font établir les lois parmi les hommes. Considérés comme habitans d'une si grande planète qu'il est nécessaire qu'il y ait différens peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux;

(1) L'état de société ne fait pas ou du moins ne devrait pas faire cesser l'égalité; elle devrait l'assurer et la défendre. C'est à la réflexion à deviner et à prévoir ce que l'homme doit être, et ce que seront un jour les sociétés, quand la raison se perfectionnera.

et c'est le droit des gens. Considérés comme vivant dans une société qui doit être maintenue, ils ont des lois dans le rapport qu'ont ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés; et c'est le droit politique. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux et c'est le droit civil.

Le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe que, les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts.

L'objet de la guerre, c'est la victoire; celui de la victoire, la conquête ; celui de la conquête, la conservation. De ce principe et du précédent doivent dériver toutes les lois qui forment le droit des gens.

Toutes les nations ont un droit des gens; et les Iroquois mêmes, qui mangent leurs prisonniers, en ont un. Ils envoient et reçoivent des ambassades; ils connaissent des droits dela guerre et de la paix : le mal est que ce droit des gens n'est pas fondé sur les vrais principes.

Outre le droit des gens, qui regarde toutes les sociétés, il y a un droit politique pour chacune. Une société ne saurait subsister sans un gouvernement. « La réunion de toutes les forces particulières,» dit très-bien Gravina, forme ce qu'on appelle l'état politique.

La force générale peut être placée entre les mains d'un seul, ou entre les mains de plusieurs. Quelques-uns ont pensé que, la nature ayant établi le pouvoir paternel, le gouvernement d'un seul était le plus conforme à la nature. Mais l'exemple du pouvoir paternel ne prouve rien : car si le pouvoir du père a du rapport au gouvernement d'un seul, après la mort du père, le pouvoir des frères, ou, après la mort des frères, celui des cousins-germains, ont du rapport au gouvernement de plusieurs. La puissance politique comprend nécessairement l'union de plusieurs familles.

Il vaut mieux dire que le gouvernement le plus conforme à la nature est celui dont la disposition particulière se rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il est établi (i).

Les forces particulières ne peuvent se réunir sans que toutes les volontés se réunissent. La réunion de ces volontés, dit encore très-bien Gravina, est ce qu'on appelle l'état civil.

La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine,

Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c'est un grand

(1) C'est celui qui est le plus propre au bonheur des hommes,

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