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nes est le remède qui, dans ces cas, peut prévenir la dissolution: nouveau malheur après celui de l'agrandissement.

Les fleuves courent se mêler dans la mer, les monarchies vont se perdre dans le despotisme.

CHAPITRE XVIII.

Que la monarchie d'Espagne était dans un cas particulier,

Qu'on ne cite point l'exemple de l'Espagne ; elle prouve plutôt ce que je dis. Pour garder l'Amérique, elle fit ce que le despotisme même ne fait pas, elle en détruisit les habitans; il fallut, pour conserver sa colonie, qu'elle la tînt dans la dépendance de la subsistance même.

Elle essaya le despotisme dans les Pays-Bas ; et, sitôt qu'elle l'eût abandonné, ses embarras augmentèrent. D'un côté, les Wallons ne voulaient pas être gouvernés par les Espagnols; et, de l'autre, les soldats espagnols ne voulaient pas obéir aux officiers wallons (a).

Elle ne se maintint dare qu'à force de

l'enrichir et de se ruinere

ceux qui auraient voulu se défaire du roi d'Espagne n'étaient pas pour cela d'humeur à renoncer à son argent. (a) Voyez l'Histoire des Provices-Unies, par M. le Clerc.

CHAPITRE XIX.

Propriétés distinctives du gouvernement despotique.

la

Un grand empire suppose une autorité despotique dans celui qui gouverne. Il faut que promptitude des résolutions supplée à la distance des lieux où elles sont envoyées; que la crainte empêche la négligence du gouverneur ou du magistrat éloigné; que la loi soit dans une seule tête; et qu'elle change sans cesse comme les accidens, qui se multiplient toujours dans l'état à proportion de sa grandeur.

CHAPITRE XX.

Conséquences des chapitres précédens.

Que si la propriété naturelle des petits états est d'être gouvernés en république; celles des médiocres, d'être soumis à un monarque; celle des grands empires, d'être dominés par un despote; il suit que, pour conserver les principes du gouvernement établi, il faut maintenir l'état dans la grandeur qu'il avait déjà; et que cet état changera d'esprit à mesure qu'on rétrécira ou qu'on étendra ses limites.

CHAPITRE XXI.

De l'empire de la Chine.

Avant de finir ce livre, je répondrai à une objection qu'on peut faire sur tout ce que j'ai dit jusqu'ici.

Nos missionnaires nous parlent du vaste empire de la Chine comme d'un gouvernement admirable, qui mêle ensemble dans son principe la crainte, l'honneur et la vertu. J'ai donc posé une distinction vaine lorsque j'ai établi les principes des trois gouvernemens.

J'ignore ce que c'est que cet honneur dont on parle chez des peuples à qui on ne fait rien faire qu'à coups de bâton (a).

De plus, il s'en faut beaucoup que nos commerçans nous donnent l'idée de cette vertu dont nous parlent nos missionnaires; on peut les consulter sur les brigandages des mandarins (b). Je prends encore à témoin le grand homme milord Anson.

D'ailleurs, les lettres du P. Parennin, sur le procès que l'empereur fit faire à des princes du sang néophytes (a) qui lui avaient déplu, nous font voir un plan de tyrannie constamment suivi,

(a) C'est le bâton qui gouverne la Chine, dit le P. du Halde. (b) Voyez entre autres la relation de Lange.

(c) De la famille de Sourniama; Lettres édifiantes, dix-hui

tième recueil.

et des injures faites à la nature humaine avec règle, c'est-à-dire de sang-froid.

Nous avons encore les lettres de M. de Mairan et du même P. Parennin sur le gouvernement de la Chine. Après des questions et des réponses très-sensées, le merveilleux s'est évanoui.

Ne pourrait-il pas se faire que les missionnaires auraient été trompés par une apparence d'ordre; qu'ils auraient été frappés de cet excercice continuel de la volonté d'un seul, par lequel ils sont gouvernés eux-mêmes, et qu'ils aiment tant à trouver dans les cours des rois des Indes, parce que, n'y allant que pour y faire de grands changemens, il leur est plus aisé de convaincre les princes qu'ils peuvent tout faire, que de persuader aux peuples qu'ils peuvent tout souffrir (b).

Enfin il y a souvent quelque chose de vrai dans les erreurs mêmes. Des circonstances particulières, et peut-être uniques, peuvent faire que le gouvernement de la Chine ne soit pas aussi corrompu qu'il devrait l'être. Des causes tirées la plupart du physique du climat ont pu forcer les causes morales dans ce pays, et faire des espèces de prodiges.

Le climat de la Chine est tel qu'il favorise prodigieusement la propagation de l'espèce humaine.

(b) Voyez dans le P. du Halde comment les missionnaires se servirent de l'autorité de Canhi pour faire taire les mandarins, qui disaient toujours que par les lois du pays un culte étranger ne pouvait être établi dans l'empire.

Les femmes y sont d'une fécondité si grande que l'on ne voit rien de pareil sur la terre. La tyrannie la plus cruelle n'y arrête point les progrès de la propagation. Le prince n'y peut pas dire, comme Pharaon, opprimons-les avec sagesse. Il serait plutôt réduit à former le souhait de Néron que le genre humain n'eût qu'une tête. Malgré la tyrannie, la Chine, par la force du climat, se peuplera toujours, et triomphera de la tyrannie.

S

La Chine, comme tous les pays où croit le riz (a), est sujette à des famines fréquentes. Lorsque le peuple meurt de faim, il se disperse pour chercher de quoi vivre ; il se forme de toutes part des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs. La plupart sont d'abord exterminées; d'autres se grossissent, et sont exterminées encore. Mais, dans un si grand nombre de provinces, et si éloignées, il peut arriver que quelque troupe fasse fortune. Elle se maintient, se fortifie, se forme en corps d'armée, va droit à la capitale, et le chef monte sur le trône.

Telle est la nature de la chose, que le mauvais gouvernement y est d'abord puni. Le désordre y naît soudain, parce que ce peuple religieux y manque de subsistance. Ce qui fait que, dans d'autres pays, on revient si difficilement des abus, c'est qu'ils n'y ont pas des effets sensibles; le prince n'y est pas averti d'une manière prompte et éclatante, comme il l'est à laChine.. (a) Voyez ci-après, liv, XXIII, chap. XIV.

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