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CHAPITRE VI.

De la corruption du principe de le monarchie.

Comme les démocraties se perdent lorsque le peuple dépouille le sénat, les magistrats et les juges de leurs fonctions; les monarchies se corrompent lorsqu'on ôte peu à peu les prérogatives des corps ou les priviléges des villes. Dans le premier cas on va au despotisme de tous, dans l'autre au despotisme d'un seul.

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«Ce qui perdit les dynasties de Tsin et de Soüi, dit un auteur chinois, c'est qu'au lieu de se borner, comme les anciens, à une inspection générale, seule digne du souverain, les princes voulurent gouverner tout immédiatement par euxmêmes (a). » L'auteur chinois nous donne ici la cause de la corruption de presque toutes les monarchies.

La monarchie se perd lorsqu'un prince croit qu'il montre plus sa puissance en changeant l'ordre des choses qu'en le suivant; lorsqu'il ôte les fonctions naturelles des uns pour les donner arbitrairement à d'autres; et lorsqu'il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés. La monarchie se perd lorsque le prince, rap

(a) Compilation d'ouvrages faits sous les Ming, rapportés par le P. du Halde.

portant tout uniquement à lui; appelle l'état à sa capitale, la capitale à sa cour, et la cour à sa seule personne.

Enfin elle se perd lorsqu'un prince méconnaît son autorité, sa situation, l'amour de ses peuples, et lorsqu'il ne sent pas bien qu'un monarque doit se juger en sûreté, comme un despote doit se croire en péril.

CHAPITRE VII.

Continuation du même sujet.

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude; lorsqu'on ôte aux grands le respect des peuples, et qu'on les rend de vils instrumens du pouvoir arbitraire.

Il se corrompt encore plus lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et l'on peut être à la fois couvert d'infamie (a) et de dignité.

que

(a) Sous le règne de Tibère on éleva des statues et l'on donna les ornemens triomphaux aux délateurs; ce qui avilit tellement ces honneurs, que ceux qui les avaient mérités les dédaignérent. Fragm. de Dion, liv. LVIII, tiré de l'Extrait des vertus et des vices de Const. Porphyrog. Voyez dans Tacite comment Néron, sur la découverte et la punition d'une prétendue conjuration, donna à Petronius Turpilianus, à Nerva, à Tigelliles ornemens triomphaux. Annal., liv. XIV. Voyez aussi

nns,

Il se corrompt lorsque le prince change sa justice en sévérité; lorsqu'il met, comme les empereurs romains, une tête de Méduse sur sa poitrine (a); lorsqu'il prend cet air menaçant et terrible Commode faisait donner à ses statues (b).

que

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque des âmes singulièrement lâches tirent vanité de la grandeur que pourrait avoir leur servitude, et qu'elles croient que ce qui fait que l'on doit tout au prince fait que l'on ne doit rien à sa patrie.

Mais s'il est vrai (ce que l'on a vu dans tous les temps) qu'à mesure que le pouvoir du monarque devient immense, sa sûreté diminue; corrompre ce pouvoir jusqu'à le faire changer de nature, n'est-ce pas un crime de lèse- majesté contre lui?

CHAPITRE VIII.

Danger de la corruption du principe du gouvernement
monarchique.

L'inconvénient n'est pas lorsque l'état passe d'un gouvernement modéré à un gouvernement comment les généraux dédaignèrent de faire la guerre, parce qu'ils en méprisaient les honneurs. PERVULGATIS TRIUMPHI INSIGNIBUS. Tacite, Annal,, liv. XIII.

(a) Dans cet état le prince savait bien quel était le principe de son gouvernement. - (b) Hérodien.

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modéré, comme de la république à la monarchie, ou de la monarchie à la république; mais quand il tombe et se précipite du gouvernement modéré au despotisme.

La plupart des peuples d'Europe sont encore gouvernés par les mœurs. Mais si par un long abus du pouvoir, si, par une grande conquête, le despotisme s'établissait à un certain point; il n'y aurait pas de mœurs ni de climat qui tinssent; et, dans cette belle partie du monde, la nature humaine souffrirait, au moins pour un temps, les insultes qu'on lui fait dans les trois

autres.

CHAPITRE IX.

Combien la noblesse est portée à défendre le trône.

La noblesse anglaise s'ensevelit avec Charles I sous les débris du trône; et, avant cela, lorsque Philippe II fit entendre aux oreilles des Français le mot de liberté, la couronne fut toujours soutenue par cette noblesse qui tient à honneur d'obéir à un roi, mais qui regarde comme la souveraine infamie de partager la puissance avec le peuple.

On a vu la maison d'Autriche travailler sans relâche à opprimer la noblesse hongroise. Elle ignorait de quel prix elle lui serait quelque jour.

Elle cherchait chez ces peuples de l'argent qui n'y était pas ; elle ne voyait pas des hommes qui y étaient. Lorsque tant de princes partageaient entre eux ses états, toutes les pièces de sa monarchie, immobiles et sans action, tombaient pour ainsi dire les unes sur les autres : il n'y avait de vie que dans cette noblesse, qui s'indigna, oublia tout pour combattre, et crut qu'il était de sa gloire de périr et de pardonner.

CHAPITRE X.

De la corruption du principe du gouvernement despotique

Le principe du gouvernement despotique se corrompt sans cesse, parce qu'il est corrompu par sa nature. Les autres gouvernemens périssent, parce que des accidens particuliers en violent le principe: celui-ci périt par son vice intérieur, lorsque quelques causes accidentelles n'empêchent point son principe de se corrompre. Il ne se maintient donc que quand des circonstances tirées du climat, de la religion, de la situation ou du génie du peuple, le forcent à suivre quelque ordre et à souffrir quelque règle. Ces choses forcent sa nature sans la changer; sa férocité reste, elle est pour quelque temps appri

voisée.

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