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la famille des Tang (a), tenaient pour maxime que, s'il y avait un homme qui ne labourât point, ou une femme qui ne s'occupât point à filer, quelqu'un souffrait le froid ou la faim dans l'empire.... » Et, sur ce principe, il fit détruire une infinité de monastèrés de bonzes.

Le troisième empereur de la vingt-unième dynastie (b), à qui on apporta des pierres précieuses trouvées dans une mine, la fit fermer, ne voulant pas fatiguer son peuple à travailler pour une chose qui ne pouvait ni le nourrir ni le vêtir.

«Notre luxe est si grand, dit Kiayventi (c), que le peuple orne de broderies les souliers des jeunes garçons et des filles qu'il est obligé de vendre ». Tant d'hommes étant occupés à faire des habits pour un seul, le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'habits? Il y a dix hommes qui mangent le revenu des terres, contre un laboureur (1): le moyen qu'il n'y ait pas bien des gens qui manquent d'alimens?

(a) Dans une ordonnance rapportée par le P. du Halde tome II, page 497.

(b) Histoire de la Chine, vingt-unième dynastie, dans l'oudu P. du Halde, tome 1.

vrage

(c) Dans un discours rapporté par le P. du Halde, tome II, page 418.

(1) Si le laboureur suffit pour nourrir dix hommes, qu’importe?

ESPRIT DES LOIS. T. I.

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CHAPITRE VII.

Fatale conséquence du luxe à la Chine.

On voit, dans l'histoire de la Chine (1), qu'elle a eu vingt-deux dynasties qui se sont succédées, c'est-à-dire qu'elle a éprouvé vingt-deux révolu– tions générales, sans compter une infinité de particulières. Les trois premières dynasties durèrent assez long-temps, parce qu'elles furent sagement gouvernées, et que l'empire était moins. étendu qu'il ne le fut depuis. Mais on peut dire en général que toutes ces dynasties commencèrent assez bien. La vertu, l'attention, la vigilance, sont nécessaires à la Chine: elles y étaient dans le У commencement des dynasties; elles manquaient à la fin. En effet, il était naturel que des empereurs nourris dans les fatigues de la guerre, qui parvenaient à faire descendre du trône une famille noyée dans les délices, conservassent la vertu qu'ils avaient éprouvée si utile, et craignissent les voluptés qu'ils avaient vues si funestes. Mais, après ces trois ou quatre premiers princes, la corruption, le luxe, l'oisiveté, les délices, s'emparent des successeurs (2). Ils s'enferment dans le palais; leur esprit s'affaiblit, leur vie (1) On parle toujours de la Chine en aveugle.

(2) Voilà bien les mœurs des plus absurdes despotes.

s'accourcit, la famille décline; les grands s'élèvent, les eunuques s'accréditent, on ne met sur le trône que des enfans; le palais devient ennemi de l'empire, un peuple oisif qui l'habite ruine celui qui travaille; l'empereur est tué ou détruit par un usurpateur qui fonde une famille, dont le troisième ou quatrième successeur va dans le même palais se renfermer encore.

CHAPITRE VIII.

De la continence publique.

Il y a tant d'imperfections attachées à la perte de la vertu dans les femmes, toute leur âme en est si fort dégradée, ce point principal ôté en fait tomber tant d'autres, que l'on peut regarder, dans un état populaire, l'incontinence publique comme le dernier des malheurs et la certitude d'un changement dans la constitution.

Aussi les bons législateurs y ont-ils exigé des femmes une certaine gravité de mœurs (1). Ils

(1) Les bons législateurs n'exigent point une certaine gravité de mœurs ils se bornent à établir, par des lois indirectes, la pureté des mœurs; et cela est plus aisé qu'on ne croit. Avec cette gravité de mœurs, la société domestique est dure, impérieuse, tyrannique; et ce n'est pas là le but d'une bonne légi lation, car ce n'est pas le but de la nature. Que si l'on me de-mande comment on établit la pureté des mœurs par des lois indirectes, je réponds que c'est en favorisant les mariages et le divorce, en rendant les successions égales entre frères et sœurs, les charges non héréditaires, et surtout l'institution nationale bien éclairéc.

ont proscrit de leurs républiques non seulement le vice, mais l'apparence même du vice. Ils ont banni jusqu'à ce commerce de galanterie qui produit l'oisiveté, qui fait que les femmes corrompent avant même d'être corrompues, qui donne un prix à tous les riens, et rabaisse ce qui est important, et qui fait que l'on ne se conduit que sur les maximes du ridicule que les femmes entendent si bien à établir.

CHAPITRE IX.

De la condition des femmes dans les divers gouvernemens.

Les femmes ont peu de retenue dans les monarchies, parce que la distinction des rangs les appelant à la cour, elles y vont prendre cet esprit de liberté (1) qui est à-peu-près le seul qu'on y tolère. Chacun se sert de leurs agrémens et de leurs passions pour avancer sa fortune; et comme leur faiblesse ne leur permet pas l'orgueil, mais la vanité, le luxe y règne toujours avec elles.

Dans les états despotiques, les femmes n'introduisent point le luxe; mais elles sont elles-mêmes un objet de luxe. Elles doivent être extrêmement esclaves. Chacun suit l'esprit du gouvernement, et porte chez soi ce qu'il voit établi ailleurs.

(1) C'est le pays de la servitude déguisée.

Comme les lois y sont sévères et exécutées sur-lechamp, on a peur que la liberté des femmes n'y fasse des affaires (1). Leurs brouilleries, leurs indiscrétions, leurs répugnances, leurs penchans, leurs jalousies, leurs piques, cet art qu'ont les petites âmes d'intéresser les grandes, n'y sauraient être sans conséquence.

De plus, comme dans ces états les princes se jouent de la nature humaine, ils ont plusieurs femmes; et mille considérations les obligent de les renfermer.

Dans les républiques, les femmes sont libres par les lois, et captivées par les mœurs; le luxe en est banni, et avec lui la corruption et les vices.

Dans les villes grecques, où l'on ne vivait pas sous cette religion qui établit que, chez les hommes mêmes, la pureté des mœurs est une partie de la vertu (2); dans les villes grecques, où un vice aveugle régnait d'une manière effrénée, où l'amour n'avait qu'une forme que l'on n'ose dire, tandis que la seule amitié s'était retirée dans les mariages (a); la vertu la simplicité, la chasteté des femmes, y étaient telles, qu'on n'a guèrc

(1) C'est plutôt des amans.

(2) Tout cela est bien vague, et peu conforme aux faits.

(a) Quand au vrai amour, dit Plutarque, les femmes n'y ont aucune part. OEuvres morales, Traité de l'amour, page 600. Il parlait comme son siècle. Voyez Xénophon, au dialogue intitulé HIERON.

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