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rable que le prince lèverait difficilement sur des sujets abîmés : iln'y a même, dans ces pays, aucune famille qu'on veuille conserver.

Dans les états modérés c'est tout autre chose. Les confiscations rendraient la propriété des biens incertaine; elles dépouilleraient des enfans innocens; elles détruiraient une famille lorsqu'il ne s'agirait que de punir un coupable. Dans les républiques, elles feraient le mal d'ôter l'égalité qui en fait l'âme, en privant un citoyen de son nécessaire physique ( a ).

Une loi romaine veut (b) qu'on ne confisque que dans le cas de crime de lèse-majesté au premier chef (1). Il serait souvent très-sage de suivre l'esprit de cette loi, et de borner les confiscations à de certains crimes. Dans les pays où une coutume locale a disposé des propres, Bodin (c) dit très-bien qu'il ne faudrait confisquer que les acquêts.

(a) Il me semble qu'on aimait trop les confiscations dans la république d'Athènes.

(b) Authen. BONA DAMNATORUM. Cod. de Bon. proscript.

seu dam.

(1) L'histoire prouve qu'il n'est aucune espèce de gouvernement où l'appât des confiscations n'ait mis en danger la vie des meilleurs citoyens. Les admettre pour quelque crime que ce soit, c'est créer des tyrans pour enrichir des délateurs.

(c) Liv. V, chap. III.

CHAPITRE XVI.

De la communication du pouvoir.

Dans le gouvernement despotique, le pouvoir passe tout entier dans les mains de celui à qui on le confie. Le visir est le despote lui-même, et chaque officier particulier est le visir. Dans le gouvernement monarchique, le pouvoir s'applimoins immédiatement; le monarque, en le donnant, le tempère (a). Il fait une telle distribution de son autorité, qu'il n'en donne jamais une partie qu'il n'en retienne une plus grande.

que

Ainsi, dans les états monarchiques, les gouverneurs particuliers des villes ne relèvent pas tellement du gouverneur de la province qu'ils ne relèvent du prince encore davantage; et les officiers particuliers des corps militaires ne dépendent pas tellement du général qu'ils ne dépendent du prince encore plus.

Dans la plupart des états monarchiques on a sagement établi que ceux qui ont un commandement un peu étendu ne soient attachés à aucun corps de milice; de sorte que, n'ayant de commandement que par une volonté particulière du prince, pouvant être employés et ne l'être pas,

(a) Ut esse Phobi dulcius lumen solet

Jamjam cadentis.

ils sont en quelque façon dans le service, et en quelque façon dehors.

Ceci est incompatible avec le gouvernement despotique. Car si ceux qui n'ont pas un emploi actuel avaient néanmoins des prérogatives et des titres, il y aurait dans l'état des hommes grands par eux-mêmes; ce qui choquerait la nature de ce gouvernement.

Que si le gouverneur d'une ville était indépendant du bacha, il faudrait tous les jours des tempéramens pour les accommoder; chose absurde dans un gouvernement despotique. Et de plus, le gouverneur particulier pouvant ne pas obéir, comment l'autre pourrait-il répondre de sa province sur sa tête ?

Dans ce gouvernement l'autorité ne peut être balancée ; celle du moindre magistrat ne l'est pas plus que celle du despote. Dans les pays modérés la loi est partout sage, elle est partout connue, et les plus petits magistrats peuvent la suivre. Mais dans le despotisme, où la loi n'est que la volonté du prince, quand le prince serait sage, comment un magistrat pourrait-il suivre une volonté qu'il ne connait pas? Il faut qu'il suive la sienne.

que

Il y a plus ; c'est la loi n'étant que ce que le prince veut, et le prince ne pouvant vouloir que ce qu'il connaît, il faut bien qu'il y ait une infinité de gens qui veuillent pour lui et comme

lui.

Enfin, la loi étant la volonté momentanée du prince, il est nécessaire que ceux qui veulent lui veuillent subitement comme lui.

pour

CHAPITRE XVII.

Des présens.

C'est un usage reçu dans les pays despotiques que l'on n'aborde qui que ce soit au-dessus de soi sans lui faire uu présent, pas même les rois. L'empereur du Mogol (a) ne reçoit point les requêtes de ses sujets qu'il n'en ait reçu quelque chose. Ces princes vont jusqu'à corrompre leurs propres grâces.

Cela doit être ainsi dans un gouvernement où personne n'est citoyen; dans un gouvernement où l'on est plein de l'idée que le supérieur ne doit rien à l'inférieur; dans un gouvernement où les hommes ne se croient liés que par les châtimens que les uns exercent sur les autres; dans un gouvernement où il y a peu d'affaires, et où il est rare que l'on ait besoin de se présenter devant un grand, de lui faire des demandes, et encore moins des plaintes.

Dans une république les présens sont une chose odieuse, parce que la vertu n'en a pas besoin.

(a) Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome I, page 80.

Dans une monarchie l'honneur est un motif plus fort que les présens. Mais dans l'état despotique, où il n'y a ni honneur ni vertu, on ne peut être déterminé à agir que par l'espérance des commodités de la vie.

C'est dans les idées de la république que Platon (a) voulait que ceux qui recevaient des présens pour faire leur devoir fussent punis de mort. « Il n'en faut prendre, disait-il, ni pour les choses bonnes ni pour les mauvaises. »

C'était une mauvaise loi que cette loi romaine (b) qui permettait aux magistrats de prendre de petits présens (c), pouvu qu'il ne passassent pas cent écus dans toute l'année. Ceux à qui on ne donne rien ne désirent rien; ceux à qui on donne un peu désirent bientôt un peu plus, et ensuite beaucoup. D'ailleurs, il est plus aisé de convaincre celui qui, ne devant rien prendre, prend quelque chose, que celui qui prend plus lorsqu'il devrait prendre moins, et qui trouve toujours pour cela des prétextes, des excuses, des causes et des raisons plausibles.

(a) Liv. XII des Lois.

(b) Leg. VI, §. II, Dig. ad leg. Jul. repet. (c) Munuscula.

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