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les riches donnassent des dots aux pauvres (1) et

les

n'en reçussent pas, et que pauvres reçussent de l'argent pour leurs filles et n'en donnassent pas. Mais je ne sache point qu'aucune république se soit accommodée d'un réglement pareil. Il met les citoyens sous des conditions dont les différences sont si frappantes, qu'ils haïraient cette égalité même que l'on chercherait à introduire. Il est bon quelquefois que les lois ne paraissent pas aller si directement au but qu'elles se proposent (2).

Quoique dans la démocratie l'égalité réelle soit l'âme de l'état, cependant elle est si difficile à établir, qu'une exactitude extrême à cet égard ne conviendrait pas toujours. Il suffit que l'on établisse un sens (a) qui réduise ou fixe les différences à un certain point; après quoi c'est à des lois particulières d'égaliser (3), pour ainsi dire, les inégalités, par les charges qu'elles imposent aux riches, et le soulagement qu'elles accordent

(1) Est-ce que la bienfaisance peut être l'objet d'une loi? (2) Pourquoi pas, quand elles n'ont pour but que le bonheur

des hommes?

(a) Solon fit quatre classes: la première, de ceux qui avaient cinq cents mines de revenu, tant en grains qu'eu fruits liquides; la seconde, de ceux qui en avaient trois cents, et pouvaient entretenir un cheval; la troisième, de ceux qui n'en avaient que deux cents; la quatrième, de tous ceux qui vivaient de leurs bras. Plutarque, Vie de Solon.

(3) Toutes les lois des anciens législateurs peignent l'inquiétude et l'incertitude de leurs vues.

aux pauvres. Il n'y a que les richesses médiocres qui puisseut donner ou souffrir ces sortes de compensations; car, pour les fortunes immodérées, tout ce qu'on ne leur accorde pas de puissance et d'honneur, elles le regardent comme une injure.

Toute inégalité dans la démocratie doit être tirée de la nature de la démocratie et du principe même de l'égalité. Par exemple, on y peut craindre que des gens qui auraient besoin d'un travail continuel pour vivre ne fussent trop appauvris par une magistrature, ou qu'ils n'en négligeassent les fonctions; que des artisans ne s'enorgueillissent; que des affranchis trop nombreux ne devinssent plus puissans que les anciens citoyens. Dans ces cas, l'égalité entre les citoyens (a) peut être ôtée dans la démocratie pour l'utilité de la démocratie. Mais ce n'est qu'une égalité apparente que l'on ôte : car un homme ruiné par une magistrature serait dans une pire condition que les autres citoyens; et ce même homme qui serait obligé d'en négliger les fonctions, mettrait les autres citoyens dans une condition pire que la sienne, et ainsi du reste.

(a) Solon exclut des charges tous ceux du quatrième sens.

CHAPITRE VI.

Comment les lois doivent entretenir la frugalité dans la
démocratie.

Il ne suffit pas, dans une bonne démocratie, que les portions de terre soient égales, il faut qu'elles soient petites comme chez les Romains. «A Dieu ne plaise, disaient Curius à ses soldats (a), qu'un citoyen estime peu de terre ce qui est suffisant pour nourrir un homme! »>

Comme l'égalité des fortunes entretient la frugalité, la frugalité maintient l'égalité des fortunes. Ces choses, quoique différentes, sont telles qu'elles ne peuvent subsister l'une sans l'autre ; chacune d'elles est la cause et l'effet; si l'une se retire de la démocratie, l'autre la suit toujours.

Il est vrai que, lorsque la démocratie est fondée sur le commerce (1), il peut fort bien arriver que des particuliers y aient de grandes richesses, et que les mœurs n'y soient pas corrompues. C'est que l'esprit de commerce entraîne avec soi celui

(a) Ils demandaient une plus grande portion de la terre conquise. Plutarque, OEuvres morales, Vies des anciens rois et capitaines.

(1) Qu'est-ce qu'une démocratie fondée sur le commerce? c'est ériger les faits en principes. Les bons effets attribués au commerce ne sont que l'effet de certaines positions, Tyr et Carthage avaient de grands commerçans; voyez leurs mœurs et les suites de leurs richesses.

de frugalité, d'économie, de modération, de travail, de sagesse, de tranquillité, d'ordre et de règle. Ainsi tandis que cet esprit subsiste, les richesses qu'il produit n'ont aucun mauvais effet. Le mal arrive lorsque l'excès des richesses détruit cet esprit de commerce; on voit tout à coup naître les désordres de l'inégalité, qui ne s'étaient pas encore fait sentir.

Pour maintenir l'esprit de commerce, il faut que les principaux citoyens le fassent eux-mêmes; que cet esprit règne seul, et ne soit point croisé par un autre; que toutes les lois le favorisent; que ces mêmes lois, par leurs dispositions, divisant les fortunes à mesure que le commerce les grossit, mettent chaque citoyen pauvre dans une assez grande aisance pour pouvoir. travailler comme les autres; et chaque citoyen riche dans une telle médiocrité, qu'il ait besoin de son travail pour conserver ou pour acquérir.

C'est une très-bonne loi, dans une république commerçante, que celle qui donne à tous les enfans une portion égale dans la succession des pères (1). Il se trouve par-là que, quelque fortune que le père ait faite, ses enfans, toujours moins riches que lui, sont portés à fuir le luxe et à travailler comme lui. Je ne parle que des républiques commerçantes (2); car, pour celles

(1) Ce devrait être une loi naturelle dans tous les gouvernemens. C'est le délire de l'ambition de s'en écarter. (2) Pourquoi cette distinction?

qui ne le sont pas, le législateur a bien d'autres réglemens à faire (a).

Il y avait dans la Grèce deux sortes de républiques les unes étaient militaires, comme Lacédémone; d'autres étaient commerçantes, comme Athènes. Dans les unes on voulait que les citoyens fusent oisifs; dans les autres on cherchait à donner de l'amour pour le travail. Solon fit un crime de l'oisiveté, et voulut que chaque citoyen rendît compte de la manière dont il gagnait sa vie (1). En effet, dans une bonne démocratie, où l'on ne doit dépenser que pour le nécessaire, chacun doit l'avoir; car de qui le recevrait-on ?

CHAPITRE VII.

Autres moyens de favoriser le principe de la démocratie.

On ne pent pas établir un partage égal des terres dans toutes les démocraties (2). Il y a des circonstances où un tel arrangement serait impraticable, dangereux, et choquerait même la constitution. On n'est pas toujours obligé de prendre les voies extrêmes. Si l'on voit, dans une démocratie, que ce partage qui doit maintenir les

(a) On y doit borner beaucoup les dots des femmes (*). (1) Quiconque ne demande rien aux autres est le maître de ne rien faire, et n'a point de compte à rendre.

(2) Pas plus que fixer exactement la même population.

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