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CHAPITRE

XXIII.

Idée générale du livre de l'établiffement de la monarchie Françoife dans les Gaules, par M. l'Abbé ĎUBOS.

L eft bon qu'avant de finir ce livre, j'examine un peu l'ouvrage de M. l'abbé Dubos, parce que mes idées font perpétuellement contraires aux fiennes; & que, s'il a trouvé la vérité, je ne l'ai pas trouvée.

Cet ouvrage a féduit beaucoup de gens, parce qu'il eft écrit avec beaucoup d'art; parce qu'on y fuppofe éternellement ce qui eft en question; parce que, plus on y manque de preuves, plus on y multiplie les probabilités; parce qu'une infinité de conjectures font mifes en principe, & qu'on en tire, comme conféquences, d'autres conjectures. Le lecteur oublie qu'il a douté, pour commencer à croire. Et comme une érudition fans fin eft placée, non pas dans le fyftême, mais à côté du fyftême l'efprit eft diftrait par des acceffoires, & ne s'occupe plus du principal. D'ailleurs, tant de recherches ne permettent

pas d'imaginer qu'on n'ait rien trouvé; la longueur du voyage fait croire qu'on eft enfin arrivé.

Mais, quand on examine bien, on trouve un coloffe immenfe qui a des pieds d'argile; & c'eft parce que les pieds font d'argile, que le coloffe eft immenfe. Si le fyftême de M. l'abbé Dubos avoit eu de bons fondemens, il n'auroit pas été obligé de faire trois mortels volumes pour le prouver; il auroit tout trouvé dans fon fujet; &, fans aller chercher de toutes parts ce qui en étoit très-loin, la raifon ellemême fe feroit chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L'hiftoire & nos lois lui auroient dit : »Ne prenez pas tant de peine : nous » rendrons témoignage de vous «<.

CHAPITRE

XXIV.

Continuation du même fujet. Réflexion fur le fond du fyftême.

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ONSIEUR l'abbé Dubos veut-ôter toute efpece d'idée que les Francs foient entrés dans les Gaules en con

quérans :

quérans : felon lui, nos rois, appellés par les peuples, n'ont fait que fe mettre à la place, & fuccéder aux droits des empereurs Romains.

Cette prétention ne peut pas s'appliquer au temps où Clovis, entrant dans les Gaules, faccagea & prit les villes; elle ne peut pas s'appliquer non plus au temps où il défit Syagrius, officier Romain, & conquit le pays qu'il tenoit: elle ne peut donc fe rapporter qu'à celui où Clovis, devenu maître d'une grande partie des Gaules par la violence, auroit été appellé, par le choix & l'amour des peuples, à la domination du refte du pays. Et il ne fuffit pas que Clovis ait été reçu, il faut qu'il ait été appelé; il faut que M. l'abbé Dubos prouve que les peuples ont mieux aimé vivre fous la domination de Clovis, que de vivre fous la domination des Romains, ou fous leurs propres lois. Or, les Romains de cette partie des Gaules qui n'avoit point encore été envahie par les Barbares, étoient, felon M. İ'abbé Dubos, de deux fortes; les uns étoient de la confédération Armorique, & avoient chaffé les officiers de l'empeTome IV.

E

reur, pour fe défendre eux-mêmes contre les Barbares, & fe gouverner par leurs propres lois ; les autres obéif foient aux officiers Romains. Or, M. l'abbé Dubos prouve-t-il que les Romains, qui étoient encore foumis à l'empire, ayent appellé Clovis? point du tout. Prouve-t-il que la république des Armoriques ait appellé Clovis, & fait même quelque traité avec lui? point du tout encore. Bien loin qu'il puiffe nous dire quelle fut la deftinée de cette république, il n'en fauroit pas même montrer l'existence; & quoiqu'il la fuive depuis le temps d'Honorius jufqu'à la conquête de Clovis, quoiqu'il y rapporte avec un art admirable tous les événemens de ces temps-là, elle est reftée invifible dans les auteurs. Car il y a bien de la différence entre prouver, par un paffage de Zozyme (a), que, fous l'empire d'Honorius, la contrée Armorique (6) & les autres provinces des Gaules fe révolterent & formerent une espece de république; & faire voir que, malgré les diverfes pacifications

(a) Hift. liv. VI.

(b) Tetufque tractus Armoricus, aliæque Galliarum provincia. Ibid.

des Gaules, les Armoriques formerent toujours une république particuliere, qui subsista jusqu'à la conquête de Clovis. Cependant il auroit befoin, pour établir fon fyftême, de preuves bien fortes & bien précises. Car, quand on voit un conquérant entrer dans un état, & en foumettre une grande partie par la force & par la violence; & qu'on voit quelque temps après l'état entier foumis, fans que l'hiftoire dife comment il l'a été; on a un très-jufte fujet de croire que l'affaire a fini comme elle a commencé.

Ce point une fois manqué, il eft aifé de voir que tout le fyftême de M. l'abbé Dubos croule de fond en comble; & toutes les fois qu'il tirera quelques conféquences de ce principe, que les Gaules n'ont pas été conquifes par les Francs, mais que les Francs ont été ap pelés par les Romains, on pourra toujours la lui nier.

M. l'abbé Dubos prouve fon principe par les dignités Romaines dont Clovis fut revêt: il veut que Clovis ait fuccédé à Childéric fon pere, dans l'emploi de maître de la milice. Mais ces deux charges font purement de fa création.

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