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tes les actions humaines celle qui intéresse le plus la société, il a bien fallu qu'ils fussent réglés par les lois civiles.

Tout ce qui regarde le caractere du mariage, sa forme, la maniere de le contracter, la fécondité qu'il procure, qui a fait comprendre à tous les peuples qu'il étoit l'objet d'une béné diction particuliere qui, n'y étant pas toujours attachée, dépendoit de certaines graces supérieures; tout cela est du ressort de la religion.

Les conséquences de cette union par rap-port aux biens, les avantages réciproques, tout ce qui a du rapport à la famille nouvelle, à celle dont elle est sortie, à celle qui doit naitre; tout cela regarde les lois civiles.

Comme un des grands objets du mariage est d'ôter toutes les incertitudes des conjonctions illégitimes, la religion y imprime son caractere, et les lois civiles y joignent le leur, afin qu'il ait toute l'authenticité possible. Ainsi, outre les conditions que demande la religon pour que le mariage soit valide, les lois civiles en peuvent encore exiger d'autres.

Ce qui fait que les lois civiles ont ce pouvoir, c'est que ce sont des caracteres ajoutés, et non pas des caracteres contradictoires. La loi de la religion veut de certaines cérémonies, et les lois civiles veulent le consentement des peres; elles demandent en cela quelque chose de plus, mais elles ne demandent rien qui soit contraire.

Il suit de là que c'est à la loi de la religion

a décider si le lien sera indissoluble ou non; ear si les lois de la religion avoient établi le lien indissoluble, et que les lois civiles eussent réglé qu'il se peut rompre, ce seroient deux choses contradictoires.

Quelquefois les caracteres imprimés au mariage par les lois civiles ne sont pas d'une absolue nécessité; tels sont ceux qui sont établis par les lois qui, au lieu de casser le mariage, se sont contentées de punir ceux qui le contractoient.

Chez les Romains les lois Pappiennes déclarerent injustes les mariages qu'elles prohiboient, et les soumirent seulement à des peines (1); et le sénatus-consulte rendu sur le discours de l'empereur Marc-Antonin les déclara nuls; il n'y eut plus (2) de mariage, de femme, de dot, de mari. La loi civile se détermine selon les circonstances; quelquefois elle est plus attentive à réparer le mal, quelquefois à le prévenir.

CHAPITRE XIV.

Dans quels cas, dans les mariages entre parents, il faut se régler par les lois de la nature; dans quels cas on doit se régler par les lois civiles.

En fait de prohibition de mariage entre pa

(1) Voyez ce que j'ai dit ci-dessus au chap. XXI du livre des lois, dans le rapport qu'elles ont avec le nombre des habitants. -(2) Voyez la loi XVI, ff. de ritu nuptiarum; et la loi III, §. 1, aussi au digeste, de donationibus inter virum et uxorem.

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rents, c'est une chose très délicate de bien poser le point auquel les lois de la nature s'arrêtent, et où les lois civiles commencent. Pour cela il faut établir des principes.

Le mariage du fils avec la mere confond l'état des choses: le fils doit un respect sans bornes à sa mere, la femme doit un respect sans bornes à son mari ; le mariage d'une mere avec son fils renverseroit dans l'un et dans l'autre leur état naturel.

Il y a plus: la nature a avancé dans les femmes le temps où elles peuvent avoir des en-fants; elle l'a reculé dans les hommes; et, par la même raison, la femme cesse plutôt d'avoir cette faculté, et l'homme plus tard. Si le mariage entre la mere et le fils étoit permis, il arriveroit presque toujours que lorsque le mari seroit capable d'entrer dans les vues de la nature la femme n'y seroit plus.

Le mariage entre le pere et la fille répugne à la nature comme le précédent; mais il répugne moins, parcequ'il n'a point ces deux obstacles. Aussi les Tartares, qui peuvent épouser leurs filles (1), n'épousent-ils jamais leurs meres, comme nous le voyons dans les

relations (2).

(1) Cette loi est bien ancienne parmi eux. Attila, dit Priscus dans son ambassade, s'arrêta dans un certain lieu pour épouser Esca, sa fille : Chose permise, dit-il, par les lois des Scythes, p. 22.—(2) Histoire des Tattars, part. III, p. 256.

Il a toujours été naturel aux peres de veiller sur la pudeur de leurs enfants. Chargés du soin de les établir, ils ont dû leur conserver et le corps le plus parfait et l'ame la moins corrompue, tout ce qui peut mieux inspirer des desirs, et tout ce qui est le plus propre à donner de la tendresse. Des peres toujours occupés à conserver les mœurs de leurs enfants ont dû avoir un éloignement naturel pour tout ce qui pourroit les corrompre. Le mariage n'est point une corruption, dira-t-on. Mais, avant le mariage, il faut parler, il faut se faire aimer, il faut séduire; c'est cette séduction qui a dû faire horreur.

Il a donc fallu une barriere insurmontable entre ceux qui devoient donner l'éducation et ceux qui devoient la recevoir, et éviter toute sorte de corruption, même pour cause légitime. Pourquoi les peres privent-ils si soigneusement ceux qui doivent épouser leurs filles de leur compagnie et de leur familiarité ?

L'horreur pour l'inceste du frere avec la sœur a dû partir de la même source. Il suffit que les peres et les meres aient voulu conserver les mœurs de leurs enfants et leurs maisons pures, pour avoir inspiré à leurs enfants de l'horreur pour tout ce qui pouvoit les porter à l'union des deux sexes.

La prohibition du mariage entre cousinsgermains a la même origine. Dans les premiers temps, c'est-à-dire dans les temps saints, dans les âges où le luxe n'étoit point connu, tous

les (1) enfants restoient dans la maison, et s'y établissoient: c'est qu'il ne falloit qu'une maison très petite pour une grande famille. Les enfants (2) des deux freres, ou les cousinsgermains, étoient regardés et se regardoient entre eux comme freres. L'éloignement qui étoit entre les freres et les sœurs pour le mariage étoit donc aussi entre les cousins - germains (3).

Ces causes sont si fortes et si naturelles qu'elles ont agi presque par toute la terre indépendamment d'aucune communication. Ce ne sont point les Romains qui ont appris aux habitants de Formose (4) que le mariage avec leurs parents au quatrieme degré étoit incestueux; ce ne sont point les Romains qui l'ont dit aux Arabes (5); ils ne l'ont point enseigné aux Maldives (6).

Que si quelques peuples n'ont point rejeté les mariages entre les peres et les enfants, les

(1) Cela fut ainsi chez les premiers Romains.— (2) En effet, chez les Romains ils avoient le même nom; les cousins-germains étoient nommés freres.

(3) Ils le furent à Rome dans les premiers temps, jusqu'à ce que le peuple fit une loi pour les permettre : il vouloit favoriser un homme extrêmement populaire, et qui s'étoit marié avec sa cousinegermaine. Plutarque, au traité, Des demandes des choses romaines. (4) Recueil des voyages des Indes, tome V, part. I; Relation de l'état de l'isle de Formose.-(5) L'Alcoran, chap. Des femmes.— (6) Voyez François Pyrard.

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