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par la mer; les insulaires ne sont pas enveloppés dans la conquête, et ils conservent plus aisément leurs lois.

CHAPITRE VI.

Des formés par
pays

l'industrie des hommes.

Les pays que l'industrie des hommes a rendus habitables, et qui ont besoin pour exister de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. Il y en a principalement trois de cette espece; les deux belles provinces de Kiang-Nan et Tche-Kiang à la Chine, l'Egypte, et la Hollande.

Les anciens empereurs de la Chine n'étoient point conquérants. La premiere chose qu'ils firent pour s'agrandir fut celle qui prouva le plus leur sagesse. On vit sortir de dessous les eaux les deux plus belles provinces de l'empire; elles furent faites par les hommes. C'est la fertilité inexprimable de ces deux provinces qui a donné à l'Europe les idées de la félicité de cette vaste contrée. Mais un soin continuel et nécessaire pour garantir de la destruction une partie si considérable de l'empire demandoit plutôt les mœurs d'un peuple sage que celles d'un peuple voluptueux, plutôt le pouvoir légitime d'un monarque que la puissance tyrannique d'un despote. Il falloit que le pouy fût modéré, comme il l'étoit autrefois en Egypte; il falloit que le pouvoir y fût modéré comme il l'est en Hollande, que la nature

voir

a faite pour avoir attention sur elle-même, et non pas pour être abandonnée à la nonchalance ou au caprice.

Ainsi, malgré le climat de la Chine où l'on est naturellement porté à l'obéissance servile, malgré les horreurs qui suivent la trop grande étendue d'un empire, les premiers législateurs de la Chine furent obligés de faire de très bonnes lois, et le gouvernement fut souvent obligé de les suivre.

CHAPITRE VII.

Des ouvrages des hommes.

Les hommes, par leurs soins et par de bonnes lois, ont rendu la terre plus propre à être leur demeure. Nous voyons couler les rivieres là où étoient des lacs et des marais : c'est un bien que la nature n'a point fait, mais qui est entretenu par la nature. Lorsque les Perses (1) étoient les maîtres de l'Asie, ils permettoient à ceux qui ameneroient de l'eau de fontaine en quelque lieu qui n'auroit point été encore arrosé d'en jouir pendant cinq générations; et, comme il sort quantité de ruisseaux du mont Taurus, ils n'épargnerent ancune dépense pour en faire venir de l'eau. Aujourd'hui, sans savoir d'où elle peut venir, on la trouve dans ses champs et dans ses jardins.

Ainsi, comme les nations destructrices font

(1) Polybe, liv. X.

des maux qui durent plus qu'elles, il y a des nations industrieuses qui font des biens qui ne finissent pas même avec elles.

ES

CHAPITRE VIII.

Rapport général des lois.

Les lois ont un très grand rapport avec la façon dont les divers peuples se procurent la subsistance. Il faut un code de lois plus étendu pour un peuple qui s'attache au commerce et à la mer, que pour un peuple qui se contente. de cultiver ses terres. Il en faut un plus grand pour celui-ci que pour un peuple qui vit de ses troupeaux. Il en faut un plus grand pour ce dernier, que pour un peuple qui vit de sa

chasse.

CHAPITRE IX.

Du terrain de l'Amérique.

Св qui fait qu'il y a tant de nations sauvages en Amérique, c'est que la terre y produit d'ellemême beaucoup de fruits dont on peut se nourrir. Si les femmes y cultivent autour de la cabane un morceau de terre, le maïs y vient d'abord. La chasse et la pêche achevent de mettre les hommes dans l'abondance. De plus, les animaux qui paissent, comme les bœufs, les buffles, etc. y réussissent mieux que les bêtes carnassieres. Celles-ci ont eu de tout temps l'empire de l'Afrique.

Je crois qu'on n'auroit point tous ces avantages en Europe, si l'on y laissoit la terre inculte; il n'y viendroit guere que des forêts, des chênes, et autres arbres stériles.

CHAPITRE X.

Du nombre des hommes, dans le rapport avec la maniere dont ils se procurent la subsistance.

QUAND les nations ne cultivent pas les ter

res, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s'y trouve. Comme le produit d'un terrain inculte est au produit d'un terrain cultivé, de même le nombre des sauvages dans un pays est au nombre des laboureurs dans un autre : et quand le peuple qui cultive les terres cultive aussi les arts, cela suit des proportions qui demanderoient bien des détails.

Ils ne peuvent guere former une grande nation. S'ils sont pasteurs, ils ont besoin d'un grand pays pour qu'ils puissent subsister en certain nombre: s'ils sont chasseurs, ils sont encore en plus petit nombre, et forment pour vivre une plus petite nation.

Leur pays est ordinairement plein de forêts; et, comme les hommes n'y ont point donné de cours aux eaux, il est rempli de marécages, où chaque troupe se cantonne et forme une petite nation.

CHAPITRE XI.

Des peuples sauvages, et des peuples barbares. Il y a cette différence entre les peuples sauvages et les peuples barbares, que les premiers sont de petites nations dispersées qui, par quelques raisons particulieres, ne peuvent pas se réunir; au lieu que les barbares sont ordinairement de petites nations qui peuvent se réunir. Les premiers sont ordinairement des peuples chasseurs; les seconds, des peuples pasteurs. Cela se voit bien dans le nord de l'Asie. Les peuples de la Sibérie ne sauroient vivre en corps, parcequ'ils ne pourroient se nourrir; les Tartares peuvent vivre en corps pendant quelque temps, parceque leurs troupeaux peuvent être rassemblés pendant quelque temps. Toutes les hordes peuvent donc se réunir; et cela se fait lorsqu'un chef en a soumis beaucoup d'autres; après quoi il faut qu'elles fassent de deux choses l'une, qu'elles se séparent, ou qu'elles aillent faire quelque grande conquête dans quelque empire du midi.

CHAPITRE XII.

Du droit des gens chez les peuples qui ne cultivent point les terres.

CEs peuples, ne vivant pas dans un terrain limité et circonscrit, auront entre eux bien des sujets de querelle; ils se disputeront la

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