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LIVRE
HUITIE-
MF.

Quand les familles régnantes obfervent les Loix. c'eft une Monarchie qui a plufieurs Monarques, & Chap.V qui eft très bonne par fa nature; prefque tous ces Monarques font liés par les Loix. Mais quand elle ne les obfervent pas, c'eft un Etat Defpotique qui a plufieurs Defpotes.

Dans ce cas la République ne fubfifte qu'à l'égard des Nobles, & entr'eux feulement. Elle eft dans le corps qui gouverne, & l'Etat Defpotique eft dans le corps qui eft gouverné; ce qui fait les deux corps du monde les plus défunis.

*

L'extreme corruption eft lorfque les Nobles deviennent héréditaires ; ils ne peuvent plus guères avoir de modération. S'ils font en petit nombre, leur pouvoir eft plus grand, mais leur fureté diminue; s'ils font en plus grand nombre, leur pouvoir eft moindre & leur fureté plus grande; enforte que le pouvoir va croiffant, & la fureté diminuant, jusqu'au Defpote fur la tête duquel eft l'excès du pouvoir & du danger.

Le grand nombre des Nobles dans l'Ariftocratie héréditaire rendra donc le Gouvernement moins violent : mais comme il y aura peu de vertu, on tombera dans un efprit de nonchalance, de pareffe, d'abandon, qui fera que l'Etat n'aura plus de force ni de reffort +.

Une Ariftocratie peut maintenir la force de fon prin

L'Ariftocratie fe change en Oligarchie.

cipe,

+Venife eft une des Républiques qui a le mieux corrigé par fes Loix les in convéniens de l'Ariftocratie héréditaire.

HUITIE

cipe, fi les loix font telles qu'elles faffent plus fentir aux LIVRE Nobles les périls & les fatigues du Commandement que ME. fes délices; & fi l'Etat eft dans une telle fituation Ch. VL qu'il y aît quelque chofe à redouter, & que la fureté vienne du dedans & l'incertitude du dehors.

Comme une certaine confiance fait la gloire & la fureté d'une Monarchie, il faut au contraire qu'une République redoute quelque chofe t. La crainte des Perfes maitint les Loix chez les Grecs. Carthage & Rome s'intimidèrent l'une l'autre & s'affermirent. Chofe fingulière ! plus ces Etats ont de fureté, plus comme des eaux trop tranquilles, ils font fujets à se

corrompre.

CHAPITRE VI.

De la corruption du principe de la Monarchie.

OMME les Démocraties fe perdent lorfque le

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peuple dépouille le Sénat, les Magiftrats & les Juges de leurs fonctions; les Monarchies fe corrompent lorsqu'on ôte peu-à-peu les prérogatives des Corps, ou les privilèges des villes. Dans le premier

cas

Juftin attribue à la mort d'Epaminondas l'extinction de la vertu à Athènes, N'ayant plus d'émulation, ils dépenfèrent leurs revenus en fêtes, frequentiùs. cœnam quàm caftra vifentes. Four lors les Macédoniens fortirent de l'obfcurité, Liv. 65

HUITIE

LIVRE cas on va au Defpotisine de tous; dans l'autre au Defpotifme d'un feul.

ME.

Ch. VI.

«Ce qui perdit les Dynafties de Tfin & de Soüi, dit un Auteur Chinois, «c'eft qu'au-lieu de fe borner com«me les anciens à une infpection générale, feule di«gne du Souverain, les Princes voulurent gouverner (a) Con- «tout immédiatement par eux-mêmes (2). » L'Auteur Chinois nous donne ici la corruption de toutes les Monarchies.

pilation

d'Ovra

ges faits fous les

Ming rap

portés par le P. Du

halde,

La Monarchie fe perd, lorfqu'un Prince croit qu'il montre plus fa puiffance en changeant l'ordre des chofes qu'en le fuivant, lorfqu'il ôte les fonctions naturelles des uns pour les donner arbitrairement à d'autres, & lorfqu'il eft plus amoureux de fes fantaisies que de fes volontés.

La Monarchie fe perd lorfque le Prince rapportant tout uniquement à lui, appelle l'Etat à sa Capitale, la Capitale à la Cour, & la Cour à sa seule perfonne. lorsqu'un Prince méconnoît fon l'amour de fes peuples; & lors

Enfin elle fe perd autorité, fa fituation,

qu'il ne fent pas bien

qu'un Monarque doit fe juger

en fureté, comme un Defpote doit se croire en péril.

CHA

L

CHAPITRE VII.

Continuation du même fujet.

E Principe de la Monarchie fe corrompt lorsque les premières Dignités font les marques de de la première Servitude, lorsqu'on ôte aux Grands le respect des Peuples, & qu'on les rend de vils inftrumens du Pouvoir arbitraire.

Il fe corrompt encore plus, lorfque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, & que l'on peut être à la fois couvert d'infamie & de digni

tez.

*

Il fe corrompt lorque le Prince change fa juftice en févérité; lorsqu'il met comme les Empereurs Romains une tête de Médufe fur fa poitrine † ; lorsqu'il prend cet air menaçant & terrible que Commode faifoit donder à fes Statues (a).

Tom. I.

A a

Le

*Sous le Regne de Tibère on éleva des Statues, & l'on donna les ornemens triomphaux aux délateurs; ce qui avilît tellement ces honneurs, que ceux qui les avoient mérités les dédaignèrent, Fragm. de Dion Liv. 58. tiré de l'Extrai des Vertus & des Vices de Conft. Porphirog. Voyez dans Tacite comment Néron, fur la découverte & la punition d'une prétendue conjuration, donna à Petronius Turpilianus, à Nerva, à Tigellinus, les ornemens triomphaux. Annal. Liv. 14. Voyez auffi comment les Généraux dédaignèrent de faire la guerre, parce qu'ils en méprifoient les honneurs, fervulgaris Triumphi infignibus, Tacit. Annal. Liv. 13.

+ Dans cet état le Prince fçavoit bien quel étoit le principe de fon Gouver

nemeut.

LIVRE HUITIE

ME.

Ch. VII.

(a) Hérodien.

LIVRE

HUITIE
ME.

Le principe de la Monarchie fe corrompt lorfque des ames fingulierement lâches tirent vanité de la Cb.VIII grandeur que pourroit avoir leur fervitude; & qu'el les croyent que ce qui fait que l'on doit tout au Prinl'on ne doit rien à fa Patrie.

ce,

fait que

Mais s'il eft vrai (ce que l'on a vu dans tous les tems), qu'à mesure que le pouvoir du Monarque devient immense, fa feureté diminue; corrompre ce pouvoir jufqu'à le faire changer de nature, n'eft - ce pas un crime de majefté contre lui?

CHAPITRE VIII.

Danger de la corruption du principe du Gouvernement Monarchique.

L

'INCONVENIENT n'eft pas lorfque l'Etat paffe d'un Gouvernement modéré à un Gouvernement modéré, comme de la République à la Monarchie, ou de la Monarchie à la République; mais quand il tombe & fe précipite du Gouvernement modéré au Defpotifie.

La plupart des Peuples d'Europe font encore gou vernés par les mœurs. Mais, fi par un long abus du pouvoir, fi par une grande conquête, le Defpotisme s'établiffoit à un certain point; il n'y auroit pas de mœurs ni de climat qui tinffent: & dans cette belle

par

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