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pays. C'est sur le mont Caïète qu'est inhumée sa nourrice, qui lui a donné son nom; le plus fameux trompette de son armée a donné le sien au promontoire de Misène; un autre cap a reçu celui de Palinure, l'un de ses plus habiles pilotes, qui périt malheureusement dans la mer de Sicile. Enfin, un habitant de l'Italie pouvoit, l'Énéide à la main, la parcourir toute entière, en trouvant à chaque pas de grands souvenirs et d'illustres monumens des antiquités du Latium, des évènemens militaires, politiques ou religieux, et arriver de port en port, de ville en ville, presque de village en village, jusqu'à la ville impériale.'

M. de Laharpe seroit-il le seul qui n'eût pas senti le charme de ce bel épi

sode d'Évandre,admiré par tous les gens de lettres? Ce bon roi, parent d'Énée, et bientôtson allié, habite dans un coin de l'Italie un palais de chaume; sa musique est le chant des oiseaux perchés sur son toit; son trône est une chaise d'érable; son lit, quelques feuilles recouvertes d'une peau de lion; sa garde, deux chiens fidèles qui l'accompagnent dans ses courses. Toute la campagne qui environne sa petite ville, est encore inculte et sauvage; mais c'est là que doit être un jour l'emplacement de Rome. Des troupeaux bêlent ou mugissent encore dans ces lieux agrestes; mais là doit exister un jour le Forum romanum, théâtre de la gloire de Cicéron, où se traiteront les plus grands intérêts du peuple-souverain; là sera

le magnifique quartier des Carênes, couvert encore de pâturages, de buissons et de ronces, qui doivent faire place aux palais des Crassus, des Lucullus, et devenir le rendez-vous du luxe, et le siège de la magnificence de Rome. Évandre, en montrant ces lieux à Énée, n'oublie aucun de ceux qui seront un jour célèbres : il lui montre le bois d'Argilette, la porte Carmentale, ainsi appelée du nom de la prêtresse qui avoit prophétisé les grandeurs de Rome; cette roche Tarpéïenne destinée à une si terrible célébrité, et ce superbe Capitole d'où devoient partir, pour tous les royaumes du monde, la paix ou la guerre, des couronnes ou des fers. Déjà les habi

tans du pays ne voyoient qu'avec res

pect cette roche fameuse et le bois qui l'environnoit; déjà ils étoient persuadés qu'une divinité habitoit dans ces lieux; déjà, dans leur orgueilleuse superstition, ils avoient cru voir plus d'une fois Jupiter lui-même, assis sur un nuage, secouer sa redoutable égide, et faire gronder son tonnerre, qui sembloit proclamer la puissance romaine. Je doute que les Grecs aient pu trouver, dans aucun passage de l'Iliade, une peinture de leurs antiquités aussi intéressante pour eux que celleci l'étoit pour les Romains; et, s'il s'agit de poésie, quoi de plus sublime que ces contrastes admirables entre l'état obscur et sauvage de ces lieux, et la splendeur des pompes triomphales qui leur étoit réservée?

CARACTÈRES.

Je ne me chargerai pas de justifier le caractère d'Énée, objet de tant de critiques mal fondées, et de vaines déclamations. Il suffira de citer ici l'apologie sans réplique, qu'en a faite l'abbé Desfontaines : « Le caractère d'Énée est » à couvert de toute critique juste et » sensée; c'est un caractère parfait, qui » allie la bonté avec la fermeté, l'aus» térité avec la douceur, la valeur avec » la politique; c'est un prince religieux » dont la valeur n'est point effrénée, » qui sait triompher de ses passions, >> et vaincre l'amour, pour obéir au » ciel et pour se rendre digne de sa >> haute destinée. Il est aussi brave que » Turnus son rival, mais d'une autre

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