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d'autres fonctions que de dispenser de la loi ; une autre ( 1 ) enfin, où le pape est peint comme un magicien, qui fait croire que trois ne font qu'un, que le pain qu'on mange n'est pas du pain.... On peut ajouter que l'apparition des Lettres Persanes est la première époque de ce déluge d'écrits qui ont paru depuis contre le christianisme et le gouvernement. Montesquieu, sentant le coup que l'exclusion et les motifs de l'exclusion pouvoient porter sur sa personne et sur sa famille, prit un tour très-adroit pour obtenir l'agrément du cardinal. On prétend (c'est l'auteur du siècle de Louis XIV qui rapporte cette anecdote; mais elle paroît fausse et sans vraisemblance :) qu'il fit faire en peu de jours une nouvelle édition de son livre, dans laquelle on retrancha, ou on adoucit tout ce qui pouvoit être condamné par un cardinal et par un ministre. Il porta lui-même l'ouvrage au cardinal de Fleury, qui ne lisoit guère, et qui en lut une partie. Cet air de confiance, soutenu par quelques personnes de crédit, et sur-tout par le maréchal d'Estrées son ami, pour lors directeur de l'académie françoise, ramena (dit-on) le cardinal, et Montesquieu entra dans cette compagnie. Son Discours de réception, fort court, mais plein de traits de force et de lumière, fut prononcé le 24 Janvier 1728 (2). Le dessein que Montesquieu avoit formé de peindre les nations dans son

(1) Lettre 4.

(2) Il est à la suite de cet avis avec la réponse de M. Malet, directeur.

Efprit des Loix, l'obligea de les aller étudier chez elles. Après avoir parcouru l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie, la Suisse et la Hollande, il se fixa près de deux ans en Angleterre. Il fut recherché par tous les philosophes de cette isle, et chéri par leur reine, qui étoit encore plus digne qu'eux de converser avec l'auteur des Lettres Persanes. Des différentes observations qu'il fit dans ses voyages, il résultoit que l'Allemagne étoit faite pour y voyager, l'Italie pour y séjourner, l'Angleterre pour y penser, et la France pour y vivre. De retour dans sa patrie, il mit la dernière main à son ouvrage sur la cause de la grandeur et de la décadence des Romains. Des réflexions très-fines et des peintures trèsfortes donnèrent le mérite de la nouveauté à cette matière, traitée tant de fois et par tant d'écrivains supérieurs. Un Romain qui auroit eu l'ame du grand Corneille, jointe à celle de Tacite, n'auroit rien fait de mieux, dans les temps les plus florissans de la république. Cette histoire politique de la naissance et de la chûte de la nation romaine, à l'usage des hommes d'état et des philosophes, parut en 1734, in-12. L'illustre écrivain trouve les causes de la grandeur des Romains dans l'amour de la liberté, du travail et de la patrie; dans la sévérité de la discipline militaire; dans le principe où ils furent toujours de ne faire jamais la paix qu'après des victoires. Il trouve les causes de leur décadence dans l'agrandissement même de l'état; dans le droit de bourgeoisie accordé à tant de

nations; dans la corruption introduite par le luxe de l'Asie; dans les proscriptions de Sylla; dans l'obligation où ils furent de changer de maximes en changeant de gouvernement; dans cette suite de monstres qui régnèrent, presque sans interruption, depuis Tibère jusqu'à Constantin ; enfin, dans la translation et le partage de l'empire. Le génie mâle et rapide qui brille dans la grandeur des Romains, se fit encore plus sentir dans l'Esprit des Loix, publié en 1748, en deux vol. in-4°. Dans cet ouvrage, qui est plutôt l'Esprit des Nations que l'Esprit des Loix, l'auteur distingue trois sortes de gouvernemens: le républicain, le monarchique et le despotique. Le républicain est celui où le peuple, en corps, ou en partie, a la souveraine puissance; le monarchique, celui où gouverne un seul, mais selon des loix fixes: le despotique, celui où un seul entraîne tout par sa volonté, sans autre loi que cette volonté même. Dans ces divers états, les loix doivent être relatives à leur c'est-à-dire, à ce qui les constitue; et à leur principe, c'est-à-dire, à ce qui les soutient et les fait agir distinction importante, la clef d'une infinité de loix, et dont l'auteur tire bien des conséquences. Les principales loix, relatives à la nature de la démocratie, sont : que le peuple y soit à certains égards le monarque, à d'autres le sujet ; qu'il élise et juge ses magistrats, et que les magistrats, en certaines occasions, décident. La nature de la monarchie demande qu'il y ait entre le monarque et le peuple beaucoup de

nature,

pouvoirs et de rangs intermédiaires; et un corps dépositaire des loix, médiateur entre les sujets et le prince. La nature du despotisme exige que le Tyran exerce son autorité, ou par lui seul, ou par un seul qui le représente. Quant aux principes des trois gouvernemens, celui de la démocratie est l'amour de la république, c'està-dire, de l'égalité : ce que l'auteur exprime par le mot vague de vertu. Dans les monarchies, où un seul est le dispensateur des distinctions et des récompenses, et où l'on s'accoutume à confondre l'état avec le monarque; le principe est l'honneur, c'est-à-dire, l'ambition et l'amour de l'estime. Sous le despotisme enfin, c'est la crainte. Plus ces principes sont en vigueur, plus le gouvernement est stable; plus ils s'altèrent et se corrompent, plus il incline à sa destruction. Les loix que les législateurs donnent, doivent être conformes aux principes de ces différens gouvernemens. Dans la république, entretenir l'égalité et la frugalité dans la monarchie, soutenir la noblesse, sans écraser le peuple: sous le gouvernement despotique, tenir également tous les états dans le silence. Si l'on excepte le despotique, qui n'existe point tel que l'auteur l'a peint, ces gouvernemens ont chacun leurs avantages. Le républicain est plus propre aux petits états, le monarchique aux grands. Le républicain plus sujet aux excès le monarchique aux abus. Le républicain apporte plus de maturité dans l'exécution des loix, le monarchique plus de promptitude. La différence

des principes des trois gouvernemens, doit en produire dans le nombre et l'objet des loix. Mais la loi commune de tous les gouvernemens modérés et par conséquent justes, est la liberté politique dont chaque citoyen doit jouir. Cette liberté n'est point la licence absurde de faire tout ce qu'on veut, mais le pouvoir de faire tout ce que les loix permettent. La liberté extrême a ses inconvéniens, comme l'extrême servitude; et, en général, la nature humaine s'accommode mieux d'un état mitoyen. Après ces observations générales sur les différens gouvernemens, l'auteur examine les récompenses qu'on y propose, les peines qu'on y décerne les vertus qu'on y pratique, les fautes qu'on y commet, l'éducation qu'on y donne, le luxe qui y règne, la monnoie qui y a cours, la religion qu'on y professe. Il compare le commerce d'un peuple, avec celui d'un autre ; celui des anciens, avec celui d'aujourd'hui ; celui d'Europe, avec celui des trois autres parties du monde. Il examine quelles religions conviennent mieux à certains climats, à certains gouvernemens. Notre siècle n'a point produit d'ouvrage, où il y ait plus d'idées profondes et de pensées neuves. La partie la plus intéressante, de l'histoire de tous les temps et de tous les lieux, y est répandue adroitement, pour éclaircir les principes, et en être éclaircie à son tour. Les faits deviennent entre ses mains des principes lumineux. Son style, sans être toujours exact, est nerveux. « Il n'étincelle point (dit

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