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toujours avec prudence; enfin on ne desire. que ce qui est possible, et on s'abstient de tout excès.

Un état ainsi composé est sans doute une belle chimère; et, si elle se réalisoit, elle résisteroit à l'inconstance du temps. Mais pour cela, un état où il n'y auroit point de liberté, et où les magistrats seroient indépendans du peuple, soit quant à leur élection, soit quant à leur conduite, seroit-il une république ? Un état où le prince pourroit tout ce qu'il voudroit, où aucun frein n'arrêteroit ceux qu'il chargeroit de l'exécution de ses caprices, où l'on chercheroit à l'envi à s'en rendre l'agent aveugle par l'espoir des récompenses; un tel état seroitil une monarchie? enfin, seroit-ce un despote que celui qui ne pourroit pas tout ce qu'il voudroit, et dont on pourroit examiner et discuter les volontés ?

Au surplus, en lisant la défense de l'Esprit des Loix, on verra que cet annotateur ne connoît pas cet ouvrage, ou n'a pas voulu le connoître. Il y auroit appris à ne pas faire un crime à M. de Montesquieu d'employer les mots vertu et honneur, comme il les emploie : il y auroit appris que l'auteur ne s'en est servi qu'après les avoir définis : il y auroit appris que, quand un écrivain a défini un mot dans son ouvrage, quand il a donné son dictionnaire, il faut entendre ses paroles suivant la signification qu'il leur a donnée. C'est cependant d'après cette équivoque, que l'auteur des notes a fait à M. de Montesquieu,

plusieurs

plusieurs reproches qui, sans être exprimés sur le ton que M. Crévier a choisi, ne laissent pas de produire le même effet.

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Cet exemple suffiroit peut-être pour mettre le lecteur en état d'apprécier l'ouvrage dont on l'entretient ici : mais examinons encore comment l'auteur entend un autre des principes fondamentaux de l'Esprit des Loix.

M. de Montesquieu, livre XI, chapitre VI, dit qu'il y a, dans chaque état, trois sortes de pouvoirs; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Par la première, le prince ou le magistrat fait des loix pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers, M. de Montesquieu avertit qu'il appellera cette dernière, la puissance de juger; et l'autre simplement, la puissance exécutrice de l'état. Il est assurément le maître de ses expressions, quand il en a fixé le sens.

Rien n'est plus exact que cette distribution. Tout état, quant à son administration, est considéré sous deux points de vue: il est considéré relativement aux autres états qui l'environnent, et relativement aux sujets qui le composent. Sous le premier rapport, ce sont les loix Tome I.

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du droit des gens qui le gouvernent: mais comme ces loix lui sont communes avec les autres états, et qu'il n'a point d'empire sur eux, il ne les peut faire exécuter, en ce qui le concerne, que par la voie de la négociation: c'est ce qu'il fait par le canal des ambassadeurs qu'il envoie et qu'il reçoit; ou par la force, si la négociation ne suffit pas: c'est ce qu'il fait encore par le secours des troupes qui s'opposent aux invasions que la négociation n'a pu prévenir, ou qui vont attaquer, et arracher par les armes la justice que les représentations des ambassadeurs n'ont pu obtenir.

Tout état a donc essentiellement, quant au droit des gens, une puissance exécutrice, qui consiste à négocier, à se défendre, ou à atta quer. Mais, dans ce sens, il n'a pas la puissance législative, parce que les loix qui forment le droit des gens régissent tous les états, et ne dépendent d'aucun.

Il n'en est pas ainsi du droit civil: tout état, quant à ce droit, a la puissance civile, parce que tout état a le droit exclusif de former les loix de son administration intérieure. Mais ce droit seroit illusoire, s'il n'étoit pas accompagné du pouvoir de faire exécuter ces loix, Elles sont de deux sortes; les unes répriment les crimes; les autres règlent les propriétés, Pour les mettre à exécution, il faut être revêtu du pouvoir de punir les crimes, et de terminer impérativement les contestations qui naissent à l'occasion des propriétés.

M. de Montesquieu avoit présenté ces principes d'une manière assez lumineuse pour ceux qui savent lire; mais on a cru devoir les développer pour l'auteur des notes. Celui de l'Esprit des Loix, qui examine en quoi consiste la plus grande liberté possible des sujets, dit que, lorsque, dans la même personne, ou dans le même corps de magistrature, la puissance légis lative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté, parce qu'on peut craindre que le même monarque, ou le même sénat, ne fasse des loix tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Cette maxime est encore de la plus grande évidence: si celui qui fait les loix, tient en même temps dans sa main les forces nécessaires pour procurer à l'état l'exécution du droit des gens, et si les précautions requises par la nature du gouvernement monarchique ne dirigent pas ses volontés; il n'y aura pas de liberté, puisqu'il pourra tout ce qu'il voudra, En effet, s'il dépendoit d'un tel prince de faire des loix de ses caprices, il tourneroit ses forces exécutrices contre ses propres sujets, et seroit un vrai despote.

C'est ainsi que raisonne M. de Montesquieu; et il n'est pas possible de se refuser à l'évidence de ses raisonnemens. Mais l'annotateur dit qu'il faut corriger tout cela. Il n'y a point, dit-il, trois pouvoirs dans un état; mais il y a trois espèces de pouvoirs dans le pouvoir de gouverner, qui sont la puissance législative, la puissance judiciaire,

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et la puissance exécutrice. Par la première, le prince ou le magistrat fait des loix; par la seconde, il juge les actions des citoyens suivant ces loix; par la troisième, il exécute ses jugemens. Cet écrivain nous assure ensuite que M. de Montesquieu traite sa matière conformément à cette division, et qu'il s'est mis en contradiction avec lui-même; lorsqu'il a distingué une puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et une puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Il est plaisant de voir comment ce critique prouve la contradiction qu'il annonce : il faut copier ses propres termes : « De grace, dit-il, » quelle connexion la puissance de faire des loix » a-t-elle avec celle d'envoyer des ambassadeurs, » pour qu'on puisse regarder celle-ci comme » exécutrice de ce que le législateur établit? >> Comment l'acte d'envoyer des ambassadeurs » peut-il opérer tyranniquement sur les loix » auxquelles il ne s'étend point? La puissance

législative dénonce une peine contre les as»semblées supposons que ce soit une loi >> tyrannique; l'acte d'envoyer des ambassa» deurs peut-il être un moyen d'exécuter tyran»niquement cette loi?»

Il prétend ensuite que ces ridicules idées sont celles de M. de Montesquieu, qui s'est mal énoncé; mais qui a voulu dire que « la puissance législative défend les assemblées privées : cette loi est supposée tyrannique. Si la puissance » législative se trouvoit jointe à l'exécutrice,

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