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Tels sont, en général, les établissemens que doit former un législateur qui songe à fonder ou introduire l'un de ces trois gouvernemens. Mais s'il veut que son ouvrage soit durable, après avoir réglé la nature de son gouvernement, il faut aussi qu'il s'occupe de son principe, c'est-à-dire, de ce qui le soutiendra et le fera agir. Ainsi, il faut que, pour une république, il trouve le secret d'insinuer et de per pétuer, dans le cœur des citoyens, l'amour de la république, c'est-à-dire, l'amour de l'égalité; ensorte que les magistratures n'y soient pas regardées comme un objet d'ambition, mais comme une occasion de signaler son attachement pour la patrie, et de se livrer tout entier au maintien de la liberté des citoyens et de l'égalité entre eux.

Pour le mouvement et le maintien d'un état monarchique, il faut que le cœur des sujets soit animé par l'honneur, c'est-à-dire, par l'ambi tion et par l'amour de l'estime : ces deux passions sont nécessaires, mais elles se tempèrent mutuellement, Le monarque est le seul dispensateur des distinctions et des récompenses: il faut donc que l'ambition de les obtenir inspire le desir de le servir utilement pour l'état, et de se signaler assez pour qu'il apperçoive ces services, et les récompense. Si les graces et les récompenses dépendoient d'un autre pou voir que de celui du monarque, son autorité seroit nulle; il n'auroit aucun ressort dans la main, pour faire agir les différentes parties de

l'état, soit pour les affaires du dehors, soit pour celles du dedans. Si les graces et les récompenses n'étoient pas le fruit du mérite; si elles étoient subordonnées à l'arbitraire, et jettées au hasard, il seroit inutile de chercher à les mériter, et chacun resteroit dans l'inertie; on ne seroit pas réveillé par la vertu, c'est-à-dire, par l'amour de la patrie; parce que, dans les monarchies, on est accoutumé à confondre l'état avec le monarque. On ne feroit donc rien pour un homme de qui on n'attendroit aucun

retour.

Mais il faut que cette ambition soit réglée par l'amour de l'estime. Si le monarque est subjugué par ses passions; si, pour mériter les graces qu'il dispense, il faut servir ses caprices contre les loix, on craindra le mépris public, on s'abstiendra des places auxquelles sont attachées les fonctions qu'il veut faire employer à l'exécution de ses injustices, ou l'on abdiquera ces places, et l'on restera dans une glorieuse oisiveté.

Si ces deux passions ne sont pas combinées dans le cœur des sujets, ou le monarque perd sa puissance, ou il devient despote.

Quant au gouvernement despotique, son principe est la crainte. Si les ordres du maître étoient reçus de sang-froid; si cette passion n'interceptoit pas, au moindre signal de sa volonté, toute faculté de raisonner, on pourroit faire attention à leur justice, remonter à celle qui maintient un tyran sur le trône:

comme ce n'est que la loi du plus fort, en tournant ses propres forces contre lui, on l'extermineroit. Si, d'ailleurs l'amour de la liberté s'emparoit subitement du peuple, comme il arriva à Rome sous Tarquin, le coup qui abattoit le tyran, abattoit la tyrannie; le despotisme seroit anéanti, et l'on verroit naître une république.

Ces principes sont lumineux; ils sont puisés dans l'essence même des choses. M. de Montesquieu, à l'occasion de ces réflexions, entre dans quelques détails, pour indiquer les routes qui peuvent conduire à l'établissement et au maintien de la nature et du principe de chaque gouvernement. Mais il traite ces détails en grand homme; il écarte toutes les minuties qui caractérisent le génie étroit.

Le faiseur de notes n'a point apperçu tout cela. Il en a placé une fort longue à la fin du quatrième livre. Il dit que M. de Montesquieu s'est lourdement trompé, soit qu'il ait voulu nous développer ce qui est, soit qu'il ait voulu nous développer ce qui doit être.

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Dans le premier cas, cet auteur, dit le censeur est contredit par l'expérience. On voit, dit-il, que chaque nation, chaque souverain, est conduit par un objet particulier, vers lequel ils tournent le systême de leur gouvernement. Les uns visent aux richesses, les autres à la conquête, les autres au commerce, &c.: et les systêmes politiques sont plus ou moins stables, à mesure que le souverain est plus ou

moins despote; parce que le successeur sub stitue ses idées à celles de celui qui l'a précédé, et change par conséquent tout le plan du gouvernement qu'il a établi. Les républiques sont moins sujettes à ces variations, qui ne peuvent arriver qu'autant que l'esprit de la nation entière viendroit à changer.

Ces réflexions, qui sont répétées dans tous nos livres, et qu'un coup-d'oeil sur le cœur humain et sur son histoire nous font appercevoir, sont de la plus grande vérité. Mais que la pas sion dominante d'une république, soit l'amour des richesses, ou la jalousie contre les états qui l'environnent; qu'elle tourne, tant qu'elle voudra, ses opérations du côté de cet objet : cela fera-t-il que, pour qu'elle soit république, il soit indispensable que le peuple soit libre; et pour qu'il reste libre, qu'il ait, et qu'il conserve le droit d'élire et de juger ses magistrats?

Qu'un monarque tourne ses vues du côté de la conquête, ou du côté du commerce; que son successeur change d'objet; ces variations feront-elles que l'on puisse concevoir une monarchie sans un souverain dont le pouvoir soit tempéré par les loix, si ces loix ne sont confiées à des dépositaires qui puissent les faire valoir en faveur de la nation; et, s'il n'y a enfin, dans l'état, différens canaux qui transmettent successivement les ordres du souverain aux extrêmités du peuple? En sera-t-il moins vrai que cette sorte de gouvernement ne se maintiendra point, si le monarque n'a dans sa main

des motifs qui excitent les sujets à se livrer au service de l'état; et si ceux-ci n'en ont un qui les arrête, quand ces motifs leur sont présentés comme un appât pour se prêter à des injustices, ou pour les exécuter?

Ön doit dire la même chose du despotisme: quelles que soient les vues du despote, il ne le sera pas, s'il y a dans ses états d'autres loix que sa volonté; et il cessera de l'être, dès que la crainte ne sera pas la cause de l'obéis

sance.

Si M. de Montesquieu a voulu nous peindre ce qui doit être, le critique trouve que son erreur est encore plus grossière : et, pour établir cette erreur, il appelle à son secours la théorie et l'expérience. Elles nous apprennent, dit-il, que la vertu, par laquene il entend toutes les vertus morales qui nous portent à la perfection, est le seul principe de conduite pour tous les gouvernemens, quels qu'ils soient, et qui ait fait fleurir et qui fera fleurir les états.

Cette maxime est encore de toute vérité. Quand le peuple, et ceux qui le gouvernent sont doués de toutes les vertus morales, l'état est nécessairement florissant: on évite avec prudence tout ce qui peut nuire, et l'on exécute de même tout ce qui est utile. Ceux qui gouvernent sont justes envers le peuple ; le peuple est juste envers eux; et tous sont justes envers les étrangers: on exécute avec fermeté les résolutions que la prudence a inspirées; on oppose la même vertu à la violence et aux injustices, et

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