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plaisoient toujours. On connoît la réponse qu'il fit à quelqu'un qui lui rapportoit un trait difficile à croire, ou que ce grand homme affectoit de regarder comme tel. Le narrateur, à chaque doute de la part de son auditeur, s'émerveilloit à protester de sa véracité. Enfin pour dernier trait: Je vous donne ma tête, dit-il à Montesquieu, si... J'accepte le présent, interrompit celui-ci; les petits dons entretiennent l'amitié. Econome sans avarice, il ne connoissoit pas le faste, et n'en avoit pas besoin pour s'annoncer. Les grands le recherchoient; mais leur société n'étoit pas nécessaire à son bonheur. Il fuyoit dès qu'il pouvoit, à sa terre. On voyoit cet homme si grand et si simple, sous un arbre de la Brède conversant dans le patois gascon avec ses paysans, assoupissant leurs querelles et prenant part à leurs peines. S'il parut quelquefois trop jaloux des droits seigneuriaux; s'il fut plus attaché qu'un philosophe n'auroit dû l'être aux prérogatives de la naissance, on excusoit en lui ces foiblesses, qui furent celles de Montagne et de quelques autres sages. Montesquieu étoit fort doux envers ses domestiques. Il lui arriva cependant un jour de les gronder vivement; mais se tournant aussi-tôt en riant vers une personne témoin de cette scène : ce sont, lui dit-il, des horloges qu'il est quelquefois besoin de remonter. On a publié après sa mort un recueil de ses œUVRES en 3 vol. in-4°. Il y a dans cette collection quelques petits ouvrages dont nous n'avons pas parlé. Le plus remarquable est le

Temple de Gnide, espèce de poëme en prose; où l'auteur fait une peinture riante, animée quelquefois trop voluptueuse, trop fine et trop recherchée, de la naïveté et de la délicatesse de l'amour, tel qu'il est dans une ame neuve. Ce roman a toute la légéreté de la prose et toutes les graces de la poésie. Deux de nos poëtes françois (MM. Colardeau et Léonard) ont prêté à cette ingénieuse production le charme des vers le premier l'a mise en grands vers françois; le second a varié la mesure à chaque chant. On trouve encore à la fin de l'ouvrage de Montesquieu, un fragment sur le goût, où il y a plusieurs idées neuves et quelques-unes obscures. M. de Secondat, digne fils de ce grand homme, conserve dans sa bibliothèque 6 vol. in-4°, manuscrits, sous le titre de Matériaux de l'Esprit des Loix; un roman politique et moral intitulé Arsace (*), et des lambeaux de l'histoire de Théodoric, roi des Ostrogoths. Mais le public ne jouira pas de ces fragmens, non plus que d'une histoire de Louis XI, que son illustre père jetta au feu par mégarde, croyant y jetter le brouillon que son secrétaire avoit déja brûlé. On a donné en 1767, in-12, les Lettres familières de M. de Montesquieu, Il y en a quelques-unes qu'on lit avec plaisir, et dans lesquelles on reconnoît l'auteur des Lettres Persanes; les autres ne sont que de simples billets, qui n'étoient pas faits pour l'impression, &c.

(*) Ce roman est à la fin du cinquième volume de cette édition.

PRONONCÉ PAR M. LE PRÉSIDENT

DE MONTESQUIEU,

Lorsqu'il fut reçu à l'Académie françoise, à la place de feu M. DE SACY, le 24 janvier 1728.

MESSIEURS,

EN m'accordant la place de M. de Sacy, vous avez moins appris au public ce que je suis, que ce que je dois être.

Vous n'avez pas voulu me comparer à lui, mais me le donner pour modèle. Fait pour la société, il y étoit aimable, étoit utile; il mettoit la douceur dans les manières, et la sévérité dans les

il y

mœurs.

Il joignoit à un beau génie une ame plus belle encore; les qualités de l'esprit n'étoient chez lui que dans le second

ordre; elles ornoient le mérite, mais ne le faisoient pas.

Il écrivoit pour instruire, et en instruisant il se faisoit toujours aimer; tout respire, dans ses ouvrages, la candeur et la probité; le bon naturel s'y fait sentir; le grand homme ne s'y montre jamais qu'avec l'honnête homme.

Il suivoit la vertu par un penchant naturel, et il s'y attachoit encore par ses réflexions: il jugeoit qu'ayant écrit sur la morale, il devoit être plus difficile qu'un autre sur ses devoirs; qu'il n'y avoit point pour lui de dispenses, puisqu'il avoit donné les règles; qu'il seroit ridicule qu'il n'eût pas la force de faire des choses dont il avoit cru tous les hommes capables; qu'il abandonnât ses propres maximes; et que, dans chaque action, il eût en même temps à rougir de ce qu'il auroit fait, et de ce qu'il auroit dit.

Avec quelle noblesse n'exerçoit-il pas sa profession? Tous ceux qui avoient besoin de lui, devenoient ses amis; il ne trouvoit presque pour récompense à la fin de chaque jour, que quelques bonnes actions de plus; toujours moins riche, et

toujours

toujours plus désintéressé, il n'a presque laissé à ses enfans que l'honneur d'avoir eu un si illustre père.

Vous aimez, MESSIEURS, les hommes vertueux; vous ne faites grace au plus beau génie d'aucune qualité du cœur ; et vous regardez les talens sans la vertu comme des présens funestes, uniquement propres à donner de la force, ou un plus grand jour à nos vices.

Et par-là vous êtes bien dignes de ces grands protecteurs qui vous ont confié le soin de leur gloire, qui ont voulu aller à la postérité, mais qui ont voulu y aller

avec vous.

Bién des orateurs et des poëtes les ont célébrés; mais il n'y a que vous qui ayez été établis pour leur rendre, pour ainsi dire, un culte réglé.

Pleins de zèle et d'admiration pour ces grands hommes, vous les rappellez sans cesse à notre mémoire; effet surprenant de l'art! vos chants sont continuels, et ils nous paroissent toujours nouveaux.

Vous nous étonnez toujours, quand vous célébrez ce grand ministère qui tira du chaos les règles de la monarchie, qui apprit à la France le secret de ses forces,

Tome I.

C

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