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loix humaines. Il passe maintenant à celles de la religion, qui, dans presque tous les états, font un objet si essentiel du gouvernement. Par-tout il fait l'éloge du christianisme; il en montre les avantages et la grandeur; il cherche à le faire aimer; il soutient qu'il n'est pas impossible, comme Bayle l'a prétendu, qu'une société de parfaits chrétiens forme un état subsistant et durable. Mais il s'est cru permis aussi d'examiner ce que les différentes religions (humainement parlant) peuvent avoir de conforme ou de contraire au génie et à la situation des peuples qui les professent. C'est dans ce point. de vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit sur cette matière, et qui a été l'objet de tant de déclamations injustes. Il est surprenant surtout que, dans un siècle qui en appelle tant d'autres barbares, on lui ait fait un crime de ce qu'il dit de la tolérance, comme si c'étoit approuver une religion, que de la tolérer; comme si enfin l'évangile même ne proscrivoit pas tout autre moyen de la répandre, que la douceur et la persuasion. Ceux en qui la superstition n'a pas éteint tout sentiment de compassion et de justice, ne pourront lire, sans être attendris, la remontrance aux inquisiteurs, ce tribunal odieux, qui outrage la religion, en paroissant la venger.

Enfin, après avoir traité en particulier des différentes espèces de loix que les hommes peuvent avoir, il ne reste plus qu'à les comparer toutes ensemble, et à les examiner dans leur

rapport avec les choses sur lesquelles elles statuent. Les hommes sont gouvernés par différentes espèces de loix; par le droit naturel commun à chaque individu; par le droit divin, qui est celui de la religion; par le droit ecclé. siastique, qui est celui de la police de la religion; par le droit civil, qui est celui des membres d'une même société; par le droit politique, qui est celui du gouvernement de cette société; par le droit des gens, qui est celui des sociétés les unes par rapport aux autres. Ces droits ont chacun leurs objets distingués, qu'il faut bien se garder de confondre. On ne doit jamais régler par l'un ce qui appartient à l'autre, pour ne point mettre de désordre ni d'injustice dans les principes qui gouvernent les hommes. Il faut enfin que les principes qui prescrivent le genre des loix, et qui en circons crivent l'objet, règnent aussi dans la manière de les composer. L'esprit de modération doit, autant qu'il est possible, en dicter toutes les dispositions. Des loix bien faites seront conformes à l'esprit du législateur, même en paroissant s'y opposer. Telle étoit la fameuse loi de Solon, par laquelle tous ceux qui ne prenoient point de part dans les séditions étoient déclarés infames. Elle prévenoit les séditions, ou les rendoit utiles, en forçant tous les membres de la république à s'occuper de ses vrais intérêts. L'ostracisme même étoit une très-bonne loi: car, d'un côté, elle étoit honorable au citoyen qui en étoit l'objet ; et

prévenoit, de l'autre, les effets de l'ambition: il falloit d'ailleurs un très-grand nombre de suffrages, et on ne pouvoit bannir que tous les cinq ans. Souvent les loix qui paroissent les mêmes, n'ont ni le même motif, ni le même effet, ni la même équité; la forme du gouvernement, les conjonctures et le génie du peuple changent tout. Enfin, le style des loix doit être simple et grave. Elles peuvent se dispenser de motiver, parce que le motif est supposé exister dans l'esprit du législateur; mais quand elles motivent, ce doit être sur des principes évidens elles ne doivent pas ressembler à cette loi, qui, défendant aux aveugles de plaider, apporte pour raison qu'ils ne peuvent pas voir les ornemens de la magistrature.

M. de Montesquieu, pour montrer, par des exemples, l'application de ses principes, a choisi deux différens peuples, les plus célèbres de la terre, et ceux dont l'histoire nous intéresse le plus, les Romains et les François. Il ne s'attache qu'à une partie de la jurisprudence du premier; celle qui regarde les successions. A l'égard des François, il entre dans le plus grand détail sur l'origine et les révolutions de leurs loix civiles, et sur les différens usages, abolis ou subsistans, qui en ont été la suite. Il s'étend principalement sur les loix féodales, cette espèce de gouvernement inconnu à toute l'antiquité, qui le sera peut-être pour toujours aux siècles futurs, et qui a fait tant de biens et tant de maux. Il discute sur-tout ces loix dans

dans le rapport qu'elles ont avec l'établissement et les révolutions de la monarchie françoise. Il prouve, contre M. l'abbé du Bos, que les Francs sont réellement entrés en conquérans dans les Gaules; et qu'il n'est pas vrai, comme cet auteur le prétend, qu'ils aient été appellés par les peuples pour succéder aux droits des empereurs romains qui les opprimoient : détail profond, exact et curieux, mais dans lequel il nous est impossible de le suivre.

Telle est l'analyse générale, mais très-informe et très-imparfaite, de l'ouvrage de M, de Montesquieu. Nous l'avons séparée du reste de son éloge, pour ne pas trop interrompre la suite de notre récit.

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DE L'AUTEUR.

Pour l'intelligence des quatre premiers livres de cet ouvrage, il faut observer que ce que j'appelle la vertu dans la république, est l'amour de la patrie, c'est-à-dire, l'amour de l'égalité. Ce n'est point une vertu, morale, ni une vertu chrétienne, c'est la vertu politique ; et celle-ci est le ressort qui fait mouvoir le gouvernement républicain, comme l'honneur est le ressort qui fait mouvoir la monarchie. J'ai donc appellé vertu politique l'amour de la patrie et de l'égalité. J'ai eu des idées nouvelles ; il a bien fallu trouver de nouveaux mots, ou donner aux anciens de nouvelles acceptions. Ceux qui n'ont pas compris ceci, m'ont fait dire des choses absurdes, et qui seroient révoltantes dans Lous les pays du monde; parce que, dans tous les pays du monde, on veut de la morale.

Ou

2o. Il faut faire attention qu'il y a une très-grande différence entre dire qu'une certaine qualité, modification de l'ame vertu, n'est pas le ressort qui fait agir un gouvernement, et dire qu'elle n'est point dans ce gouvernement. Si je disois: telle

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