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Bonnes raisons, que la répudiation, une fois admise, devroit être permise aux femmes comme aux hommes.

Si le climat a tant d'influence sur la servitude

domestique et civile, il n'en a pas moins sur la servitude politique, c'est-à-dire, sur celle qui sounet un peuple à un autre. Les peuples du Nord sont plus forts et plus courageux que ceux du Midi : ceux-ci doivent donc, en général, être subjugués, ceux-là conquérans ; ceux-ci esclaves, ceux-là libres. C'est aussi ce que l'histoire confirme: l'Asie a été conquise onze fois par les peuples du Nord; l'Europe a souffert beaucoup moins de révolutions.

A l'égard des loix relatives à la nature du terrein, il est clair que la démocratie convient mieux que la monarchie aux pays stériles, où la terre a besoin de toute l'industrie des hommes. La liberté d'ailleurs est, en ce cas, une espèce de dédommagement de la dureté du travail. II faut plus de loix pour un peuple agriculteur, que pour un peuple qui nourrit des troupeaux; pour celui-ci, que pour un peuple chasseur; pour un peuple qui fait usage de la monnoie, que pour celui qui l'ignore.

Enfin, on doit avoir égard au génie particulier de la nation. La vanité, qui grossit les objets, est un bon ressort pour le gouvernement; l'orgueil, qui les méprise, est un ressort dangereux. Le législateur doit respecter, jusqu'à un certain point, les préjugés, les passions, les abus. Il doit imiter Solon, qui avoit donné aux Tome 1. Р

Athéniens, non les meilleures loix en elles mêmes, mais les meilleures qu'ils pussent avoir : le caractère gai de ces peuples demandoit des loix plus faciles; le caractère dur des Lacédémoniens, des loix plus sévères. Les loix sont un mauvais moyen pour changer les manières et les usages; c'est par les récompenses et l'exemple qu'il faut tâcher d'y parvenir. Il est pourtant vrai, en même temps, que les loix d'un peuple, quand on n'affecte pas d'y choquer grossiérement et directement ses mœurs, doivent influer insensiblement sur elles, soit pour les affermir, soit pour les changer.

Après avoir approfondi de cette manière la nature et l'esprit des loix par rapport aux différentes espèces de pays et de peuples, l'auteur revient de nouveau à considérer les états les uns par rapport aux autres. D'abord, en les comparant entre eux d'une manière générale, il n'avoit pu les envisager que par rapport au mal qu'ils peuvent se faire; ici, il les envisage par rapport aux secours mutuels qu'ils peuvent şe donner: or, ces secours sont principalement fondés sur le commerce. Si l'esprit de commerce produit naturellement un esprit d'intérêt opposé à la sublimité des vertus morales, il rend aussi un peuple naturellement juste, et en éloigne l'oisiveté et le brigandage. Les, nations libres, qui vivent sous des gouvernemens modérés, doivent s'y livrer plus que les nations esclaves. Jamais une nation ne doit exclure de son commerce une autre nation, sans de grandes raisons.

Au reste, la liberté en ce genre n'est pas une faculté absolue accordée aux négocians de faire ce qu'ils veulent; faculté qui leur seroit souvent préjudiciable; elle consiste à ne gêner les négocians qu'en faveur du commerce. Dans la monarchie, la noblesse ne doit point s'y adonner, encore moins le prince. Enfin, il est des nations auxquelles le commerce est désavantageux: cé ne sont pas celles qui n'ont besoin de rien, mais celles qui ont besoin de tout: paradoxe que l'auteur rend sensible par l'exemple de la Pologne, qui manque de tout, excepté du bled, et qui, par le commerce qu'elle en fait, prive les paysans de leur nourriture, pour satisfaire au luxe des seigneurs. M. de Montesquieu, à l'occasion des loix que le commerce exige, fait l'histoire de ces différentes révolutions; et cette partié de son livre n'est ni la moins intéressante, ni la moins curieuse. Il compare l'appauvrissement de l'Espagne, par la découverte de l'Amérique, au sort de ce prince imbécille de la fable, prêt à mourir de faim, pour avoir demandé aux dieux que tout ce qu'il toucheroit se convertît en or. L'usage de la monnoie étant une partie considérable de l'objet du commerce, et son principal instrument, il a cru devoir, en conséquence, traiter des opérations sur la monnoie, du change, du paiement des dettes publiques, du prêt à intérêt, dont il fixe les loix et les limites, et qu'il ne confond nullement avec les excès, si justement condamnés, de l'usure.

La population et le nombre des habitans ont,

avec le commerce, un rapport immédiat; et les mariages ayant pour objet la population, M. de Montesquieu approfondit ici cette impor tante matière. Ce qui favorise le plus la propagation et la continence publique, l'expérience prouve que les conjonctions illicites y contribuent peu, et même y nuisent. On a établi avec justice, pour les mariages, le consentement des pères cependant on y doit mettre des restrictions; car la loi doit, en général, favoriser les mariages. La loi qui défend le mariage des mères avec les fils, est (indépendamment des préceptes de la religion) une très-bonne loi civile; car, sans parler de plusieurs autres raisons, les contractans étant d'âge très-différent, ces sortes de mariages peuvent rarement avoir la propagation pour objet. La loi qui défend le mariage du père avec la fille, est fondée sur les mêmes motifs : cependant (à ne parler que civilement) elle n'est pas si indispensablement nécessaire que l'autre à l'objet de la population, puisque la vertu d'engendrer finit beaucoup plus tard dans les hommes; aussi l'usage contraire a-t-il eu lieu chez certains peuples, que la lumière du christianisme n'a point éclairés. Comme la nature porte d'ellemême au mariage, c'est un mauvais gouvernement que celui où on aura besoin d'y encourager. La liberté, la sûreté, la modération des impôts, la proscription du luxe, sont les vrais principes et les vrais soutiens de la population: cependant on peut, avec succès, faire des loix

pour encourager les mariages, quand malgré la corruption, il reste encore des ressorts dans le peuple qui l'attachent à sa patrie. Rien n'est plus beau que les loix d'Auguste pour favoriser la propagation de l'espèce. Par malheur, il fit ces loix dans la décadence, ou plutôt dans la chûte de la république; et les citoyens décou ragés devoient prévoir qu'ils ne mettoient plus au monde que des esclaves: aussi l'exécution de ces loix fut-elle bien foible durant tout le temps des empereurs païens. Constantin enfin les abolit en se faisant chrétien; comme si le christianisme avoit pour but de dépeupler la société, en conseillant à un petit nombre la perfection du célibat.

L'établissement des hôpitaux, selon l'esprit dans lequel il est fait, peut nuire à la population, ou la favoriser. Il peut, et il doit même y avoir des hôpitaux dans un état dont la plupart des citoyens n'ont que leur industrie pour ressource, parce que cette industrie peut quelquefois être malheureuse; mais les secours, que ces hôpitaux donnent, ne doivent être que passagers, pour ne point encourager la mendicité et la fainéantise. Il faut commencer par rendre le peuple riche et bâtir ensuite des hôpitaux pour les besoins imprévus et pressans. Malheureux les pays où la multitude des hôpitaux et des monastères, qui ne sont que des hôpitaux perpétuels, fait que tout le monde est à son aise, excepté ceux qui travaillent!

M. de Montesquieu n'a encore parlé que des

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