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les biens restassent dans la famille du testateur (1). Il contredisoit les siennes propres ; car, en supprimant les dettes, il avoit cherché l'égalité.

C'étoit une bonne loi pour la démocratie, que celle qui défendoit d'avoir deux hérédités (2). Elle prenoit son origine du partage égal des terres et des portions données à chaque citoyen. La loi n'avoit pas voulu qu'un seul homme eût plusieurs portions,

La loi qui ordonnoit que le plus proche parent épousât l'héritière, naissoit d'une source pareille. Elle est donnée chez les Juifs après un pareil partage. Platon (3), qui fonde ses loix sur ce partage, la donne de même; et c'étoit une loi athénienne.

Il y avoit à Athènes une loi, dont je ne sache pas que personne ait connu l'esprit. Il étoit permis d'épouser sa sœur consanguine, et non pas sa sœur utérine (4). Cet usage tiroit son origine des républiques, dont l'esprit étoit de ne pas mettre sur la même tête deux portions

(1) Ibid,

(2) Philolais de Corinthe établit à Athènes, que le nombre des portions de terre et celui des hérédités seroit toujours le même. Aristote, Polit. liv. II, ch. XII.

(3) République, liv. VIII.

(4) Cornelius Nepos, in præfat. Cet usage étoit des premiers temps. Aussi Abraham dit-il de Sara: Elle est ma sœur, fille de mon père, et non de ma mère. Les mêmes raisons avoient fait établir une même loi chez différens peuples.

Tome 1,

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de fonds de terre, et par conséquent deux hérédités. Quand un homme épousoit sa soeur du côté du père, il ne pouvoit avoir qu'une héré dité, qui étoit celle de son père : mais, quand il épousoit sa sœur utérine, il pouvoit arriver que le père de cette sœur, n'ayant pas. d'enfans mâles, lui daissât sa succession; et que par conséquent son frère, qui l'avoit épousée, en eût deux.iner un d'eus'a icrð

Qu'on ne m'objecte pas ce que dit Philon (1)'s que, quoiqu'à Athènes on épousât sa sœur consanguine, et non pas sa sœur utérine, on pous voit à Lacédémone épouser sa sœur utérine et non pas sa sœur consanguine. Car je trouve dans Strabon (2), que quand à Lacédémone une sœur épousoit son frère, elle avoit pour sa dot la moitié de la portion du frère. Il est clair que cette seconde loi étoit faite pour pré venir les mauvaises suites de la première. Pour empêcher que le bien (de) la famille de la soeur ne passât dans celle du frère, on donnoit en dot à la sœur la moitié du bien du frère.c.1

Sénèque (3), parlant de Silanus qui avoit épousé sa sœur, dit qu'à Athènes la permission étoit restreinte, et qu'elle étoit générale à Alexandrie. Dans le gouvernement d'un seul,

(1) De specialibus legibus quæ pertinent ad præcepta Decalogi.

(2) Lib. X.

(3) Athenis dimidium licet, Alexandriæ totum, Sénèque, de morte Claudii

.2:

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il n'étoit guère question de maintenir le partage des biens, 19

Pour maintenir ce partage des terres dans la démocratie, c'étoit une bonne loi que celle qui vouloit qu'un père qui avoit plusieurs enfans, en choisit un pour succéder à sa portion (1), et donnât les autres en adoption à quelqu'un qui n'eût point d'enfans, afin que le nombre des citoyens put toujours se mainpût tenir égal à celui des partages.

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Phaléas de Calcédoine (2) avoit imaginé une façon de rendre égales les fortunes dans une république où elles ne l'étoient pas. Il vouloit que les riches donnassent des dots aux pauvres, et n'en, reçussent pas; et que les pauvres reçussent de l'argent pour leurs filles, et n'en donnassent pas. Mais je ne sache point qu'aucune république se soit accommodée d'un réglement pareil. Il met les citoyens sous, des conditions dont les différences sont si frappantes, qu'ils hajroient cette, égalité, même que l'on cherchoit à introduire. Il est bon quelquefois que les loix ne paroissent pas aller si directement au but qu'elles se proposent.

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Quoique, dans la démocratie, l'égalité réelle soit l'ame de l'état, cependant elle est si difficile à établir, qu'une exactitude extrême à Fet égard he conviendroit pas toujours. Il suffit

(1) Platon fait une pareille loi, liv. III des Loix, (2) Aristote, Politiq. liv. II, ch. vII.

que l'on établisse un cens (1), qui réduise ou fixe les différences à un certain point; après quoi, c'est à des loix particulières d'égaliser, pour ainsi dire, les inégalités, par les charges qu'elles imposent aux riches, et le soulagement qu'elles accordent aux pauvres. Il n'y a que les richesses médiocres qui puissent donner ou souffrir ces sortes de compensations: car, pour les fortunes immodérées, tout ce qu'on ne leur accorde pas de puissance et d'honneur, elles le regardent comme une injure.

Toute inégalité, dans la démocratie, doit être tirée de la nature de la démocratie et du príncipe même de l'égalité. Par exemple, on y peut craindre que des gens qui auroient besoin d'un travail continuel pour vivre, ne fussent trop appauvris par une magistrattire, ou qu'ils n'en négligeassent les fonctions; que des artisans ne s'enorgueillissent; que des affranchis trop nombreux ne devinssent plus puissans que les anciens citoyens. Dans ces cas, l'égalité entre les citoyens (2) peut être ôtée dans la démocratie, pour l'utilité de la démocratie. Mais ce n'est qu'une égalité apparente que l'on

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(1) Solon fit quatre classes: la première, de ceux qui avoient cinq cent mines de revenu, tant en grains qu'en fruits liquides; la seconde, de ceux qui en avoient trois cent, et pouvoient entretenir un cheval; la troisième de ceux qui n'en avoient que deux cent; la quatrième, de tous ceux qui vivoient de leurs bras. Plutarque, vie de Solon.

(2) Solon exclut des charges tous ceux du quatrième

cens,

ôte: car un homme, ruiné par une magistrature, seroit dans une pire condition que les autres citoyens; et ce même homme, qui seroit obligé d'en négliger les fonctions, mettroit les autres citoyens dans une condition pire que la sienne; et ainsi du reste.

CHAPITRE V I.

Comment les loix doivent entretenir la frugalité dans la démocratie.

IL ne suffit pas, dans une bonne démocratie,

que les portions de terre soient égales; il faut qu'elles soient petites, comme chez les Romains. « A Dieu ne plaise, disoit Curius à ses soldats (*), » qu'un citoyen estime peu de terre, ce qui » est suffisant pour nourrir un homme ».

Comme l'égalité des fortunes entretient la frugalité, la frugalité maintient l'égalité des fortunes. Ces choses, quoique différentes, sont telles qu'elles ne peuvent subsister l'une sans l'autre; chacune d'elles est la cause et l'effet ; si l'une se retire de la démocratie, l'autre la suit toujours.

Il est vrai que, lorsque la démocratie est fondée sur le commerce, il peut fort bien

(*) Ils demandoient une plus grande portion de la terre conquise. Plutarque, œuvres morales, vies des anciens rois et capitaines,

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