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un des principes de leur politique (1). C'est ainsi qu'ils donnoient des loix; c'est ainsi qu'ils vouloient qu'on gouvernât les cités.

Je crois que je pourrois expliquer ceci. Il faut se mettre dans l'esprit que, dans les villes grecques, sur-tout celles qui avoient pour principal objet la guerre, tous les travaux et toutes les professions qui pouvoient conduire à gagner de l'argent, étoient regardés comme indignes d'un homme libre. « La plupart des arts, dit » Xénophon (2), corrompent le corps de ceux

qui les exercent; ils obligent de s'asseoir à » l'ombre, où près du feu: on n'a de temps >> ni pour ses amis, ni pour la république » Ce ne fut que dans la corruption de quelques démocraties, que les artisans parvinrent à être citoyens. C'est ce qu'Aristote (3) nous apprend; et il soutient qu'une bonne république ne leur donnera jamais le droit de cité (4).

L'agriculture étoit encore une profession servile, et ordinairement c'étoit quelque peuple

(1) Platon, liv. IV des Loix, dit que les préfectures de la musique et de la gymnastique sont les plus impor tans emplois de la cité; et, dans sa République, liv. III, « Damon yous dira, dit-il, quels sont les sons capables "de faire naître la bassesse de l'ame, l'insolence, et » les vertus contraires ».

(2) Liv. V. Dits mémorables.

(3) Politiq. liv. III, chap. iv.

(4) Diophante, dit Aristote, Politiq. ch. VII, établit autrefois à Athènes, que les artisans seroient esclaves

du public.

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vaincu qui l'exerçoit; les Ilotes, chez les Lacédémoniens; les Périéciens, chez les Crétois ; les Pénestes, chez les Thessaliens; d'autres (1 peuples esclaves, dans d'autres républiques.

Enfin, tout bas commerce (2) étoit infame chez les Grecs. Il auroit fallu qu'un citoyen eût rendu des services à un esclave, à un locataire, à un étranger cette idée choquoit l'esprit de la liberté grecque. Aussi Platon (3) veut-il, dans ses Loix, qu'on punisse un citoyen qui feroit le

commerce.

On étoit donc fort embarrassé dans les répu bliques grecques. On ne vouloit pas que les citoyens travaillassent au commerce, à l'agriculture, ni aux arts; on ne vouloit pas non plus qu'ils fussent oisifs (4). Ils trouvoient une occupation dans les exercices qui dépendoient de la gymnastique, et dans ceux qui avoient du rapport à la guerre (5). L'institution ne leur

(1) Aussi Platon et Aristote veulent-ils que les esclaves cultivent les terres, Loix, liv. VII. Politique, liv. VII, chap. X. Il est vrai que l'agriculture n'étoit pas par-tout exercée par des esclaves; au contraire, comme dit Aristote, les meilleures républiques étoient celles où les citoyens s'y attachoient; mais cela n'arriva que par la corruption des anciens gouvernemens devenus démocratiques; car, dans les premiers temps, les villes de Grèce vivoient dans l'aristocratie.

(2) Cauponatio.

(3) Lib. II.

(4) Aristote, Politiq. lib. X.

(5) Ars corporum exercendorum, gymnastica; variis cer saminibus terendorum, padotribica, Aristote, Politique, lib. VIII, ch. III.

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en donnoit point d'autres. Il faut donc regarder les Grecs comme une société d'athlètes et de combattans. Or, ces exercices si propres à faire des gens durs et sauvages (*), avoient besoin. d'être tempérés par d'autres qui pussent adoucir les mœurs. La musique, qui tient à l'esprit par les organes du corps, étoit très-propre à cela. C'est un milieu entre les exercices du corps qui rendent les hommes durs, et les sciences de spéculation qui les rendent sauvages. On ne peut pas dire que la musique inspirât la vertu ; cela seroit inconcevable: mais elle empêchoit l'effet de la férocité de l'institution, et faisoit que l'ame avoit dans l'éducation une part qu'elle n'y auroit point eue.

Je suppose qu'il y ait parmi nous une société de gens si passionnés pour la chasse, qu'ils s'en occupassent uniquement; il est sûr qu'ils en contracteroient une certaine rudesse. Si ces mêmes gens venoient à prendre encore du goût pour la musique, on trouveroit bientôt de la différence dans leurs manières et dans leurs mours. Enfin, les exercices des Grecs n'excitoient en eux qu'un genre de passions, la rudesse, la colère, la cruauté. La musique les excite toutes, et peut faire sentir à l'ame la douceur, la pitié, la tendresse, le doux plaisir. Nos auteurs de morale, qui, parmi nous,

(*) Aristote dit que les enfans des Lacédémoniens, qui commençoient ces exercices dès l'âge le plus tendre, en contractoient trop de férocité. Politique, liv. VIII, ch. IV,

Tome 1,

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proscrivent si fort les théatres, nous font assez sentir le pouvoir que la musique a sur nos

ames.

Si, à la société dont j'ai parlé, on ne don noit que des tambours et des airs de trompettes, n'est-il pas vrai que l'on parviendroit moins à son but, que si l'on donnoit une musique tendre Les anciens avoient donc raison lorsque, dans certaines circonstances, ils préféroient pour les mœurs un mode à un autre.

Mais, dira-t-on, pourquoi choisir la musique par préférence? C'est que, de tous les plaisirs des sens, il n'y en a aucun qui corrompe moins l'ame. Nous rougissons de lire dans Plutarque (*), que les Thébains, pour adoucir les mœurs de leurs jeunes gens, établirent par les loix un amour qui devroit être proscrit par toutes les nations du monde.

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LIVRE V.

Que les loix que le législateur donne, doivent être relatives au principe du gouvernement.

CHAPITRE PREMIER.

Idée de ce livre.

Nous venons de voir que les loix de l'édu

cation doivent être relatives au principe de chaque gouvernement. Celles que le législateur donne à toute la société, sont de même. Ce rapport des loix avec ce principe, tend tous les ressorts du gouvernement; et ce principe en reçoit, à son tour, une nouvelle force. C'est ainsi que, dans les mouvemens physiques, l'action est toujours suivie d'une réaction.

Nous allons examiner ce rapport dans chaque gouvernement; et nous commencerons par l'état républicain, qui a la vertu pour principe.

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