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» bras et nos vies à choses faisables ». Ce grandet généreux courage regardoit une lâcheté comme une chose impossible.

Il n'y a rien que l'honneur prescrive plus à la noblesse, que de servir le prince à la guerre: en effet, c'est la profession distinguée parce que ses hasards, ses succès et ses malheurs même conduisent à la grandeur. Mais, en imposant cette loi, l'honneur veut en être l'arbitre; et, s'il se trouve choqué, il exige ou permet qu'on se retire chez soi.

Il veut qu'on puisse indifféremment aspirer aux emplois, ou les refuser; il tient cette liberté. au-dessus de la fortune même.

L'honneur a donc ses règles suprêmes, et l'éducation est obligée de s'y conformer: (*). Les principales sont, qu'il nous est bien permis. de faire cas de notre fortune, mais qu'il nous est souverainement défendu d'en faire aucun de notre vie.

La seconde est que, lorsque nous avons été une fois placés dans un rang, nous ne devons) rien faire ni souffrir qui fasse voir que nous nous tenons inférieurs à ce rang même.

La troisième, que les choses que l'honneur défend, sont plus rigoureusement défendues, I lorsque les loix ne concourent point à les proscrire; et que celles qu'il exige sont plus fortement. exigées, lorsque les loix ne les demandent pas.:

(*) On dit ici ce qui est, et non pas ce qui doit être : l'honneur est un préjugé que la religion travaille, tantôt à détruire, tantôt à régler.

CHAPITRE II I.

De l'éducation dans le gouvernement despotique.

COMME l'éducation dans les monarchies ne travaille qu'à élever le cœur, elle ne cherche qu'à l'abaisser dans les états despotiques. Il faut qu'elle y soit servile. Ce sera un bien, même dans le commandement, de l'avoir eue telle; personne n'y étant tyran, sans être en même temps esclave.

L'extrême obéissance suppose de l'ignorance dans celui qui obéit; elle en suppose même dans celui qui commande. Il n'a point à délibérer, à douter, ni à raisonner; il n'a qu'à vouloir.

Dans les états despotiques, chaque maison est un empire séparé. L'éducation, qui consiste principalement à vivre avec les autres, y est donc très-bornée; elle se réduit à mettre la crainte dans le cœur, et à donner à l'esprit la connoissance de quelques principes de religion fort simples. Le savoir y sera dangereux, l'ému, lation funeste: et, pour les vertus, Aristote ne peut croire qu'il y en ait quelqu'une de propre aux esclaves (*); ce qui borneroit bien l'éducation dans ce gouvernement.

L'éducation y est donc en quelque façon (*) Politique, liv. I

nulle. Il faut ôter tout, afin de donner quelque chose; et commencer par faire un mauvais sujet, pour faire un bon esclave.

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Eh! pourquoi l'éducation s'attacheroit-elle à y former un bon citoyen qui prît part au malheur public? S'il aimoit l'état, il seroit tenté de relâcher les ressorts du gouvernement: s'il ne réussissoit pas, il se perdroit; s'il réussissoit, il courroit risque de se perdre, lui, le prince, et l'empire.

CHAPITRE IV.

Différence des effets de l'éducation chez les anciens et parmi nous.

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LA plupart des peuples anciens vivoient dans des gouvernemens qui ont la vertu pour principe; et, lorsqu'elle y étoit dans sa force, on y faisoit des choses que nous ne voyons plus aujourd'hui, et qui étonnent nos petites ames.

Leur éducation avoit un autre avantage sur la nôtre; elle n'étoit jamais démentie. Epami nondas, la dernière année de sa vie, disoit écoutoit, voyoit, faisoit les mêmes choses que dans l'âge où il avoit commencé d'être instruit.

- Aujourd'hui, nous recevons trois éducations différentes ou contraires; celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde. Ce qu'on nous dit dans la dernière renverse toutes les 201

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idées des premières. Cela vient, en quelque partie, du contraste qu'il y a parmi nous entre les engagemens de la religion et ceux du monde; chose que les anciens ne connoissoient pas.

CHAPITRE V.

De l'éducation dans le gouvernement républicain.

C'EST

que

'EST dans le gouvernement républicain, l'on a besoin de toute la puissance de l'éducation. La crainte des gouvernemens despo tiques naît d'elle-même parmi les menaces et les châtimens; l'honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très-pénible,

On peut définir cette vertu, l'amour des loix et de la patrie, Cet amour, demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières; elles ne sont que cette préférence.

Cet amour est singuliérement affecté aux démocraties. Dans elles seules, le gouverne ment est confié à chaque citoyen. Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde; pour le conserver, il faut l'aimer.

On n'a jamais qui dire que les rois n'aimassent

pas

IV, CHAP. VIA 57. pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme.

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Tout dépend done d'établir dans la république cet amour; et c'est à l'inspirer, que l'éducation doit être attentive. Mais, pour que les enfans puissent l'avoir, il y a un moyen sûr; c'est que les pères l'aient eux-mêmes.

On est ordinairement le maître de donner à ses enfans ses connoissances; on l'est encore plus de leur donner ses passions,

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Si cela n'arrive pas, c'est que ce qui a été fait dans la maison paternelle, est détruit par les impressions du dehors.

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Ce n'est point le peuple naissant qui dégénère; il ne se perd que lorsque les hommes, faits sont déjà corrompus.

CHAPITRE V I.

De quelques institutions des Grecs Les anciens Grecs, pénétrés de la nécessité que les peuples qui vivoient sous un gouvernement populaire, fussent élevés à la vertų, firent, pour l'inspirer, des institutions singu-, lières. Quand vous voyez, dans la vie, de, Lycurgue, les loix qu'il donna aux Lacédémo-> niens, vous croyez lire l'histoire des Sévarambes. Les loix de Crète étoient l'original de celles de Lacédémone; et celles de Platon en étoient la correction,

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