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LIVRE I V.

Que les loix de l'éducation doivent être relatives aux principes du gouvernement.

CHAPITRE PREMIER.

Des loix de l'éducation,

LES Les loix de l'éducation sont les premières que nous recevons. Et, comme elles nous préparent à être citoyens, chaque famille particulière doit être gouvernée sur le plan de la grande famille qui les comprend toutes.

Si le peuple en général a un principe, les parties qui le composent, c'est-à-dire, les familles, l'auront aussi. Les loix de l'éducation seront donc différentes dans chaque espèce de gouvernement. Dans les monarchies, elles auront pour objet l'honneur; dans les républi ques, la vertu; dans le despotisme, la crainte,

*

CHAPITRE

CE

CHAPITRE II

De l'éducation dans les monarchies.

E n'est point dans les maisons publiques où l'on instruit l'enfance, que l'on reçoit dans les monarchies la principale éducation; c'est lorsque l'on entre dans le monde, que l'éducation en quelque façon commence. Là est l'école de ce que l'on appelle l'honneur, ce maître universel qui doit par-tout nous conduire.

C'est-là que l'on voit et que l'on entend' toujours dire trois choses; qu'il faut mettre dans Les vertus une certaine noblesse, dans les mœurs une certaine franchise, dans les manières une certaine politesse.

Les vertus qu'on nous y montre sont toujours moins ce que l'on doit aux autres, que ce que l'on se doit à soi-même: elles ne sont pas tant ce qui nous appelle vers nos concitoyens, que ce qui nous en distingue."

On n'y juge pas les actions des hommes. comme bonnes, mais comme belles; comme justes, mais comme grandes; comme raisonnables, mais comme extraordinaires.

Dès que l'honneur y peut trouver quelque chose de noble, il est ou le juge qui les rend légitimes, ou le sophiste qui les justifie.

Il permet la galanterie, lorsqu'elle est unie à l'idée des sentimens du cœur, ou à l'idée de Tome I.

G

conquête ; et c'est la vraie raison pour laquelle les mœurs ne sont jamais si pures dans les monarchies, que dans les gouvernemens répu blicains.

Il permet la ruse, lorsqu'elle est jointe à l'idée de la grandeur de l'esprit ou de la grandeur des affaires; comme dans la politique, dont les finesses ne l'offensent pas.

Il ne défend l'adulation, que lorsqu'elle est séparée de l'idée d'une grande fortune, et n'est jointe qu'au sentiment de sa propre bassesse.

A l'égard des mœurs, j'ai dit que l'éducation des monarchies doit y mettre une certaine fran chise. On y veut donc de la vérité dans les discours. Mais est-ce par amour pour elle? point du tout. On la veut, parce qu'un homme qui est accoutumé à la dire, paroît être hardi et libre. En effet, un tel homme semble ne dépendre que des choses, et non pas de la manière dont un autre les reçoit.

C'est ce qui fait qu'autant qu'on y recommande cette espèce de franchise, autant on y méprise celle du peuple, qui n'a que la vérité et la simplicité pour objet.

Enfin, l'éducation dans les monarchies exige dans les manières une certaine politesse. Les hommes, nés pour vivre ensemble, sont nés aussi pour se plaire; et celui qui n'observeroit pas les bienséances, choquant tous ceux avec qui il vivroit, se décréditeroit au point qu'il deviendroit incapable de faire aucun bien.

Mais ce n'est pas d'une source si pure, que

la politesse a coutume de tirer son origine. Elle naît de l'envie de se distinguer. C'est par orgueil que nous sommes polis: nous nous sentons flattés d'avoir des manières qui prouvent que nous ne sommes pas dans la bassesse, et que nous n'avons pas vécu avec cette sorte de gens que l'on a abandonnés dans tous les âges.

Dans les monarchies, la politesse est naturalisée à la cour. Un homme excessivement grand rend tous les autres petits. De-là les égards que l'on doit à tout le monde; de-là naît la politesse, qui flatte autant ceux qui sont polis, que ceux à l'égard de qui ils le sont; parce qu'elle fait comprendre qu'on est de la cour, ou qu'on est digne d'en être.

L'air de la cour consiste à quitter sa grandeur propre, pour une grandeur empruntée. Celle-ci flatte plus un courtisan que la sienne même. Elle donne une certaine modestie superbe qui se répand au loin; mais dont l'orgueil diminue insensiblement à proportion de la distance où l'on est de la source de cette grandeur.

On trouve à la cour une délicatesse de goût en toutes choses, qui vient d'un usage continuel des superfluités d'une grande fortune, de la variété, et sur-tout de la lassitude des plaisirs, de la multiplicité, de la confusion même des fantaisies, qui, lorsqu'elles sont agréables, y sont toujours reçues.

C'est sur toutes ces choses que l'éducation

:

se porte, pour faire ce qu'on appelle l'honnête homme, qui a toutes les qualités et toutes les vertus que l'on demande dans ce gouver

nement.

Là l'honneur, se mêlant par-tout, entre dans toutes les façons de penser et toutes les manières de sentir, et dirige même les principes.

Cet honneur bizarre fait que les vertus ne sont que ce qu'il veut, et comme il les veut : il met, de son chef, des règles à tout ce qui nous est prescrit; il étend ou il borne nos devoirs à sa fantaisie, soit qu'ils aient leur source dans la religion, dans la politique, ou dans la morale.

Il n'y a rien dans la monarchie que les loix, la religion et l'honneur prescrivent tant que l'obéissance aux volontés du prince: mais cet honneur nous dicte que le prince ne doit jamais nous prescrire une action qui nous déshonore, parce qu'elle nous rendroit incapables de le

servir.

Crillon refusa d'assassiner le duc de Guise, mais il offrit à Henri III de se battre contre lui. Après la S. Barthélemi, Charles IX ayant écrit à tous les gouverneurs de faire massacrer les huguenots, le vicomte d'Orte, qui commandoit dans Bayonne, écrivit au roi (*): « SIRE, je » n'ai trouvé, parmi les habitans et les gens » de guerre, que de bons citoyens, de braves » soldats, et pas un bourreau; ainsi, eux et » moi, supplions votre majesté d'employer nos

(*) Voyez l'histoire de d'Aubigné,

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