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sous l'action de la loi Aquilienne la blessure faite à une bête, et celle faite à un efclave; on n'avoit attention qu'à la diminution de leur prix. A Athènes (*), on punissoit sévérement, quelquefois même de mort, celui qui avoit maltraité l'esclave d'un autre. La loi d'Athènes, avec raison, ne vouloit point ajouter la perte de la sûreté à celle de la liberté.

CHAPITRE XVIII.

ON

Des affranchissemens.

N sent bien que quand, dans le gouvernement républicain, on a beaucoup d'esclaves, il faut en affranchir beaucoup. Le mal est que, si on a trop d'esclaves, ils ne peuvent être contenus; si l'on a trop d'affranchis, ils ne peuvent pas vivre, et ils deviennent à charge à la république : outre que celle-ci peut être également en danger de la part d'un trop grand nombre d'affranchis et de la part d'un trop grand nombre d'esclaves. Il faut donc que les loix aient l'œil sur ces deux inconvéniens.

Les diverses loix et les sénatus-consultes qu'on fit à Rome pour et contre les esclaves, tantôt pour gêner, tantôt pour faciliter les affranchissemens, font bien voir l'embarras où

(*) Démosthènes, orat. contrà Mediam, page 610, édition de Francfort, de l'an 1604.

Tome I.

Iii

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l'on se trouvoit à cet égard. Il y eut même des temps où l'on n'osa pas faire des loix. Lorsque, sous Néron (1), on demanda au sénat qu'il fût permis aux patrons de remettre en servitude les affranchis ingrats, l'empereur écrivit qu'il falloit juger les affaires particulières, et ne rien statuer de général.

Je ne saurois guère dire quels sont les réglemens qu'une bonne république doit faire làdessus; cela dépend trop des circonstances. Voici quelques réflexions.

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Il ne faut pas faire tout-à-coup et par une loi générale un nombre considérable d'affranchissemens. On sait que, chez les Volsiniens (2), les affranchis, devenus maîtres des suffrages, firent une abominable loi, qui leur donnoit le droit de coucher les premiers avec les filles qui se marioient à des ingénus.

Il y a diverses manières d'introduire insensiblement de nouveaux citoyens dans la république. Les loix peuvent favoriser le pécule, et mettre les esclaves en état d'acheter leur liberté; elles peuvent donner un terme à la servitude, comme celles de Moïse, qui avoient borné à six ans celle des esclaves hébreux (3). Il est aisé d'affranchir toutes les années un certain nombre d'esclaves, parmi ceux qui, par leur âge, leur santé, leur industrie, auront

(1) Tacite, Annales, liv. XIII.

(2) Supplément de Freinshemius, décade II, liv. V. (3) Exode, chap. XXI.

le moyen de vivre. On peut même guérir le mal dans sa racine : comme le grand nombre d'esclaves est lié aux divers emplois qu'on leur donne; transporter aux ingénus une partie de ces emplois, par exemple, le commerce ou la navigation, c'est diminuer le nombre des esclaves.

Lorsqu'il y a beaucoup d'affranchis, il faut que les loix civiles fixent ce qu'ils doivent à leur patron, ou que le contrat d'affranchissement fixe ces devoirs pour elles.

On sent que leur condition doit être plus favorisée dans l'état civil que dans l'état politique, parce que, dans le gouvernement même populaire, la puissance ne doit point tomber entre les mains du bas peuple.

A Rome, où il y avoit tant d'affranchis, les loix politiques furent admirables à leur égard. On leur donna peu, et on ne les exclut presque de rien; ils eurent bien quelque part à la légis lation, mais ils n'influoient presque point dans les résolutions qu'on pouvoit prendre. Ils pouvoient avoir part aux charges et au sacerdoce même (1); mais ce privilège étoit, en quelque façon, rendu vain, par les désavantages qu'ils avoient dans les élections. Ils avoient droit d'entrer dans la milice; mais, pour être soldat, il falloit un certain cens. Rien n'empêchoit les affranchis (2) de s'unir par mariage avec les

(1) Tacite, Annales, liv. III.
(2) Harangue d'Auguste, dans

Dion, liv. LV.

familles ingénues; mais il ne leur étoit pas permis de s'allier avec celles des sénateurs. Enfin, leurs enfans étoient ingénus, quoiqu'ils ne le fussent pas eux-mêmes.

CHAPITRE XIX.

Des affranchis et des eunuques.

AINSI, dans le gouvernement de plusieurs, il est souvent utile que la condition des affranchis soit peu au-dessous de celle des ingénus, et que les loix travaillent à leur ôter le dégoût de leur condition. Mais, dans le gouvernement d'un seul, lorsque le luxe et le pouvoir arbitraire règnent, on n'a rien à faire à cet égard. Les affranchis se trouvent presque toujours au-dessus des hommes libres. Ils dominent à la cour du prince et dans les palais des grands et comme ils ont étudié les foiblesses de leur maître et non pas ses vertus, ils le font régner, non pas par ses vertus, mais par ses foiblesses. Tels étoient à Rome les affranchis du temps des empereurs.

Lorsque les principaux esclaves sont eunuques, quelque privilège qu'on leur accorde on ne peut guère les regarder comme des affranchis. Car, comme ils ne peuvent avoir de famille, ils sont, par leur nature, attachés. à une famille; et ce n'est que par une espèce

de fiction qu'on peut les considérer comme citoyens.

Cependant il y a des pays où on leur donne toutes les magistratures: « au Tonquin (1), » dit Dampierre (2), tous les mandarins civils » et militaires sont eunuques ». Ils n'ont point de famille; et quoiqu'ils soient naturellement avares, le maître ou le prince profite à la fin de leur avarice même.

Le même Dampierre (3) nous dit que, dans ce pays, les eunuques ne peuvent se passer de femmes, et qu'ils se marient. La loi qui leur permet le mariage, ne peut être fondée, d'un côté, que sur la considération que l'on y a pour de pareilles gens; et de l'autre, sur le mépris qu'on y a pour les femmes.

Ainsi l'on confie à ces gens-là les magistratures, parce qu'ils n'ont point de famille et d'un autre côté, on leur permet de se marier, parce qu'ils ont les magistratures.

C'est pour lors que les sens qui restent veulent obstinément suppléer à ceux que l'on a perdus; et que les entreprises du désespoir sont une espèce de jouissance. Ainsi, dans Milton, cet esprit à qui il ne reste que des

(1) C'étoit autrefois de même à la Chine. Les deux Arabes mahométans qui y voyagèrent au neuvième siècle, disent l'eunuque, quand ils veulent parler du gouverneur d'une ville.

(2) Tome III, page 91. (3) Tome III, page 94.

L

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