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CHAPITRE XV I.

Précautions à prendre dans le gouvernement modéré.

L'HUMANITÉ que l'on aura pour les esclaves,

pourra prévenir dans l'état modéré les dangers que l'on pourroit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s'accoutument à tout, et à la servitude même, pourvu que le maître ne soit pas plus dur que la servitude. Les Athéniens traitoient leurs esclaves avec une grande douceur : on ne voit point qu'ils aient troublé l'état à Athènes, comme ils ébranlèrent celui de Lacédémone.

On ne voit point que les premiers Romains aient eu des inquiétudes à l'occasion de leurs esclaves. Ce fut lorsqu'ils eurent perdu pour eux tous les sentimens de l'humanité, que l'on vit naître ces guerres civiles, qu'on a comparées aux guerres puniques (*).

Les nations simples, et qui s'attachent ellesmêmes au travail, ont ordinairement plus de douceur pour leurs esclaves celles qui y que ont renoncé. Les premiers Romains vivoient, › travailloient et mangeoient avec leurs esclaves: ils avoient pour eux beaucoup de douceur et

(*) « La Sicile, dit Florus, plus cruellement dévastée » par la guerre servile, que par la guerre punique ». Liv. III.

d'équité: la plus grande peine qu'ils leur infligeassent, étoit de les faire passer devant leurs voisins avec un morceau de bois fourchu sur le dos. Les moeurs suffisoient pour maintenir la fidélité des esclaves; il ne falloit point de loix.

Mais, lorsque les Romains se furent agrandis, que leurs esclaves ne furent plus les compagnons de leur travail, mais les instrumens de leur luxe et de leur orgueil; comme il n'y avoit point de mœurs, on eut besoin de loix. Il en fallut même de terribles pour établir la sûreté de ces maîtres cruels qui vivoient au milieu de leurs esclaves comme au milieu de leurs ennemis.

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On fit le sénatus consulte Sillanien, et d'autres loix (1) qui établirent que, lorsqu'un maître seroit tué, tous les esclaves qui étoient sous le même toît, ou dans un lieu assez près de la maison pour qu'on pût entendre la voix d'un homme, seroient, sans distinction, condamnés à la mort. Ceux qui, dans ce cas, refugioient un esclave pour le sauver, étoient punis comme meurtriers (2). Celui-là même à qui son maître auroit ordonné (3) de le tuer, et qui lui auroit obéi, auroit été coupable;

(1) Voyez tout le titre de senat. consult. Sillan. au ff. (2) Leg. Si quis, §. 12, au ff. de senat. consult. Sillan. (3) Quand Antoine commanda à Eros de le tuer, ce n'étoit point lui commander de le tuer, mais de se tuer lui-même; puisque, s'il lui eût obéi, il auroit été puni comme meurtrier de son maître,

celui qui ne l'auroit point empêché de se tuer lui-même, auroit été puni (1). Si un maître avoit été tué dans un voyage, on faisoit mourir (2) ceux qui étoient restés avec lui, et ceux qui s'étoient enfuis. Toutes ces loix avoient lieu contre ceux même dont l'innocence étoit prouvée; elles avoient pour objet de donner aux esclaves pour leur maître un respect prodigieux. Elles n'étoient pas dépendantes du gouvernement civil, mais d'un vice ou d'une imperfection du gouvernement civil. Elles ne dérivoient point de l'équité des loix civiles, puisqu'elles étoient contraires aux principes des loix civiles. Elles étoient proprement fondées sur le principe de la guerre, à cela près, que c'étoit dans le sein de l'état, qu'étoient les ennemis. Le sénatus-consulte Sillanien dérivoit du droit des gens, qui veut qu'une société, même imparfaite, se conserve.

C'est un malheur du gouvernement, lorsque la magistrature se voit contrainte de faire ainsi des loix cruelles. C'est parce qu'on a rendu l'obéissance difficile, que l'on est obligé d'aggraver la peine de la désobéissance, ou de soupçonner la fidélité. Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible. C'est parce que les esclaves ne purent avoir, chez les Romains, de confiance dans la loi, que la loi ne put avoir de confiance en

eux.

(1) Leg. 1, §. 22. ff. de senat. consult. Sillan.
(2) Leg. 1, §. 31, ff. ibid. lib. 29, tit, f.

CHAPITRE XVII.

Réglemens à faire entre le maître et les esclaves.

LE

E magistrat doit veiller à ce que l'esclave ait sa nourriture et son vêtement: cela doit être réglé par la loi.

Les loix doivent avoir attention qu'ils soient soignés dans leurs maladies et dans leur vieillesse. Claude (1) ordonna que les esclaves, qui auroient été abandonnés par leurs maîtres, étant malades, seroient libres s'ils échappoient. Cette loi assuroit leur liberté ; il auroit encore fallu assurer leur vie.

Quand la loi permet au maître d'ôter la vie à son esclave, c'est un droit qu'il doit exercer comme juge, et non pas comme maître: il faut que la loi ordonne des formalités, qui ôtent le soupçon d'une action violente.

Lorsqu'à Rome il ne fut plus permis aux pères de faire mourir leurs enfans, les magistrats infligèrent (2) la peine que le père vouloit prescrire. Un usage pareil entre le maître et les esclaves seroit raisonnable dans les pays où les maîtres ont droit de vie et de mort. La loi de Moïse étoit bien rude. « Si quel» qu'un frappe son esclave, et qu'il meure

(1) Xiphilin, in Claudio.

(2) Voyez la loi III au code de patriâ potestate, qui est de l'empereur Alexandre,

» sous sa main, il sera puni: mais s'il survit » un jour ou deux, il ne le sera pas, parce » que c'est son argent ». Quel peuple que celui où il falloit que la loi civile se relâchât de la loi naturelle !

Par une loi des Grecs (1), les esclaves trop rudement traités par leurs maîtres, pouvoient demander d'être vendus à un autre. Dans les derniers temps, il y eut à Rome une pareille loi (2). Un maître irrité contre son esclave, et un esclave irrité contre son maître, doivent être séparés.

Quand un citoyen maltraite l'esclave d'un autre, il faut que celui-ci puisse aller devant le juge. Les (3) loix de Platon et de la plupart des peuples ôtent aux esclaves la défense naturelle: il faut donc leur donner la défense civile.

A Lacédémone, les esclaves ne pouvoient avoir aucune justice contre les insultes ni contre les injures. L'excès de leur malheur étoit tel, qu'ils n'étoient pas seulement esclaves d'un citoyen, mais encore du public; ils appartenoient à tous et à un seul. A Rome, dans le tort fait à un esclave, on ne considéroit que (4) l'intérêt du maître : on confondoit

(1) Plutarque, de la superstition.

(2) Voyez la constitution d'Antonin Pie, Institut liv. I, tit. 7.

(3) Liv. IX.

(4) Ce fut encore souvent l'esprit des loix des peuples qui sortirent de la Germanie, comme on le peut yoir dans leurs codes.

sous

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