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CHAPITRE XI I.

Abus de l'esclavage.

DANs les états mahométans (1), on est non

seulement maître de la vie et des biens des
femmes esclaves, mais encore de ce qu'on ap-
pelle leur vertu ou leur honneur. C'est un des
malheurs de ces pays, que la plus grande partie
de la nation n'y soit faite que pour servir à la
volupté de l'autre. Cette servitude est récom-
pensée par
la paresse dont on fait jouir de pa-
reils esclaves; ce qui est encore pour l'état un
nouveau malheur.

C'est cette paresse qui rend les serrails d'Orient (2) des lieux de délices pour ceux même contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail, peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles. Mais on voit que par-là on choque même l'esprit de l'établissement de l'esclavage.

La raison veut que le pouvoir du maître ne s'étende point au-delà des choses qui sont de son service; il faut que l'esclavage soit pour l'utilité, et non pas pour la volupté. Les loix de la pudicité sont du droit naturel, et doivent être senties par toutes les nations du monde.

(1) Voyez Chardin, voyage de Perse.

(2) Voyez Chardin, tome II, dans sa description du marché d'izagour,

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Que si la loi qui conserve la pudicité des esclaves est bonne dans les états où le pouvoir sans bornes se joue de tout; combien le serat-elle dans les monarchies? combien le serat-elle dans les états républicains?

Il y a une disposition de la loi (*) des Lombards, qui paroît bonne pour tous les gouvernemens. « Si un maître débauche la femme de » son esclave, ceux-ci seront tous deux libres». Tempérament admirable pour prévenir et arrêter, sans trop de rigueur, l'incontinence des maîtres.

Je ne vois pas que les Romains aient eu à cet égard une bonne police. Ils lâchèrent la bride à l'incontinence des maîtres; ils privèrent même en quelque façon leurs esclaves du droit des mariages. C'étoit la partie de la nation la plus vile: mais quelque vile qu'elle fût, il étoit bon qu'elle eût des moeurs: et de plus, en lui ôtant les mariages, on corrompoit ceux des citoyens.

CHAPITRE XII I.

Danger du grand nombre d'esclaves. LE grand nombre d'esclaves a des effets différens dans les divers gouvernemens. Il n'est point à charge dans le gouvernement despotique; l'esclavage politique, établi dans le corps de l'état, fait que l'on sent peu l'esclavage

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civil. Ceux que l'on appelle hommes libres, ne le sont guère plus que ceux qui n'y ont pas ce titre; et ceux-ci, en qualité d'eunuques, d'affranchis ou d'esclaves, ayant en main presque toutes les affaires, la condition d'un homme libre et celle d'un esclave se touchent de fort près. Il est donc presque indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l'esclavage.

Mais, dans les états modérés, il est trèsimportant qu'il n'y ait point trop d'esclaves. La liberté politique y rend précieuse la liberté civile; et celui qui est privé de cette dernière, est encore privé de l'autre. Il voit une société heureuse, dont il n'est pas même partie; il trouve la sûreté établie pour les autres, et non pas pour lui; il sent que son maître a une ame qui peut s'agrandir, et que la sienne est contrainte de s'abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes, que de voir toujours des hommes libres, et de ne l'être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société; et leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que, dans les gouvernemens modérés, l'état ait été si troublé par la révolte des esclaves, et que cela soit arrivé si rarement (*) dans les états despotiques.

(*) La révolte des Mammelus étoit un cas particuher: c'étoit un corps de milice qui usurpa l'empire. Tome I. Hhh

CHAPITRE XI V.

Des esclaves armés.

Il est moins dangereux dans la monarchie d'armer les esclaves, que dans les républiques. Là, un peuple guerrier, un corps de noblesse, contiendront assez ces esclaves armés. Dans la république, des hommes uniquement citoyens ne pourront guère contenir des gens qui, ayant les armes à la main, se trouveront égaux aux citoyens.

Les Goths qui conquirent l'Espagne, se répandirent dans le pays, et bientôt se trouvèrent très-foibles. Ils firent trois réglemens considérables : ils abolirent l'ancienne coutume qui leur défendoit de (1) s'allier par mariage avec les Romains: ils établirent que tous les affranchis (2) du fisc iroient à la guerre, sous peine d'être réduits en servitude : ils ordonnèrent que chaque Goth meneroit à la guerre et armeroit la dixième (3) partie de ses esclaves. Ce nombré étoit peu considérable en comparaison de ceux qui restoient. De plus, ces esclaves, menés à la guerre par leur maître, ne faisoient pas un corps séparé, ils étoient dans l'armée, et restoient, pour ainsi dire, dans la famille.

(1) Loi des Wisigoths, liv. III, tit. 1, §. 1. (2) Ibid. liv. V, tit. 7, §. 20.

(3) Ibid, liv, IX, tit, 2, §. 9.

CHAPITRE X V.

QUAND

Continuation du même sujet.

UAND toute la nation est guerrière, les esclaves armés sont encore moins à craindre.

Par la loi des Allemands, un esclave qui voloit (1) une chose qui avoit été déposée, étoit soumis à la peine qu'on auroit infligée à un homme libre: mais s'il l'enlevoit (2) par violence, il n'étoit obligé qu'à la restitution de la chose enlevée. Chez les Allemands, les actions qui avoient pour principe le courage et la force, n'étoient point odieuses. Ils se servoient de leurs esclaves dans leurs guerres. Dans la plupart des républiques on a toujours cherché à abattre le courage des esclaves le peuple allemand, sûr de luimême, songeoit à augmenter l'audace des siens; toujours armé, il ne craignoit rien d'eux; c'étoient des instrumens de ses briz gandages ou de sa gloire.

(1) Loi des Allemands, chap. V, §. 3. (2) Hid. chap. V, §. 5, per virtutem.

A

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