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l'ordre des choses pour cela. Il est moralement sûr qu'il a plus l'esprit de probité et de justice que ses commissaires, qui se croient toujours assez justifiés par ses ordres, par un obscur intérêt de l'état, par le choix qu'on a fait d'eux, et par leurs craintes même.

Sous Henri VIII, lorsqu'on faisoit le procès à un pair, on le faisoit juger par des commissaires tirés de la chambre des pairs: avec cette méthode, on fit mourir tous les pairs qu'on voulut.

CHAPITRE XXI I I.

Des espions dans la monarchie.

FAUT-IL des espions dans la monarchie ? Ce n'est pas la pratique ordinaire des bons princes. Quand un homme est fidèle aux loix, il a satisfait à ce qu'il doit au prince. Il faut au moins qu'il ait sa maison pour asyle, et le reste de sa conduite en sûreté. L'espionnage seroit peut-être tolérable, s'il pouvoit être exercé par d'honnêtes gens; mais l'infamie nécessaire de la personne peut faire juger de l'infamie de la chose. Un prince doit agir avec ses sujets avec candeur, avec franchise, avec confiance. Celui qui a tant d'inquiétudes, de soupçons et de craintes, est un acteur qui est embarrassé à jouer son rôle. Quand il voit qu'en général, les loix sont dans leur force,

et qu'elles sont respectées, il peut se juger en sûreté. L'allure générale lui répond de celle de tous les particuliers. Qu'il n'ait aucune crainte, il ne sauroit croire combien on est porté à l'aimer. Eh! pourquoi ne l'aimeroit-on pas? Il est la source de presque tout le bien qui se fait; et quasi toutes les punitions sont sur le compte des loix. Il ne se montre jamais au peuple qu'avec un visage serein: sa gloire même se communique à nous, et sa puissance nous soutient. Une preuve qu'on l'aime, c'est que l'on a de la confiance en lui; et que, lorsqu'un ministre refuse, on s'imagine toujours que le prince auroit accordé. Même dans les calamités publiques, on n'accuse point sa personne; on se plaint de ce qu'il ignore, ou de ce qu'il est obsédé par des gens corrompus: si le prince savoit, dit le peuple. Ces paroles sont une espèce d'invocation, et une preuve de la confiance qu'on a en lui.

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CHAPITRE XXI V.
Des lettres anonymes.

LES Tartares sont obligés de mettre leur nom sur leurs flèches, afin que l'on connoisse la main dont elles partent. Philippe de Macédoine ayant été blessé au siège d'une ville, on trouva sur le javelot, Aster a porté ce coup mortel à Philippe (1). Si ceux qui accusent un homme le faisoient en vue du bien public, ils ne l'accuseroient pas devant le prince, qui peut être aisément prévenu, mais devant les magistrats, qui 'ont des règles qui ne sont formidables qu'aux calomniateurs. Que s'ils ne veulent pas laisser les loix entre eux et l'accusé, c'est une preuve qu'ils ont sujet de les craindre; et la moindre peine qu'on puisse leur infliger, c'est de ne les point croire. On ne peut y faire d'attention què dans les cas qui ne sauroient souffrir les lenteurs de la justice ordinaire, et où il s'agit du salut du prince. Pour lors, on peut croire que celui qui accuse, a fait un effort qui a délié sa langue, et l'a fait parler. Mais, dans les autres cas, il faut dire avec l'empereur Constance : << nous ne »saurions soupçonner celui à qui il a manqué >> un accusateur, lorsqu'il ne lui manquoit pas » un ennemi (2),

(1) Plutarque, Euvres morales, collat. de quelques hist. romaines et grecques, tome II, page 487. (2) Leg. VI, cod. Théod. de famos. libellis,

CHAPITRE X X V.

De la manière de gouverner dans la monarchie. L'AUTORITÉ royale est un grand ressort, qui doit se mouvoir aisément et sans bruit. Les Chinois vantent un de leurs empereurs, qui gouverna, disent-ils, comme le ciel, c'est-àdire, par son exemple..

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Il y a des cas où la puissance doit agir dans toute son étendue : il y en a où elle doit agir par ses limites. Le sublime de l'administration, est de bien connoître quelle est la partie du pouvoir, grande ou petite, que l'on doit employer dans les diverses circonstances.

Dans une monarchie, toute la félicité consiste dans l'opinion que le peuple a de la dou ceur du gouvernement. Un ministre mal-habile veut toujours vous avertir que vous êtes esclaves. Mais, si cela étoit, il devroit chercher à le faire ignorer. Il ne sait vous dire ou vous écrire, si ce n'est que le prince est fâché; qu'il est surpris qu'il mettra ordre. Il y a une cértaine facilité dans le commandement : il faut que le prince encourage, et que ce soient les loix qui menacent (*).

(*) Nerva, dit Tacije, augmenta la facilité de l'empire:

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CHAPITRE

X X V I.

Que; dans la monarchie, le prince doit être accessible.

CELA se sentira beaucoup mieux par les contrastes.<< Le czar Pierre premier, dit le sieur Perry (*), a fait une nouvelle ordonnance, qui défend de lui présenter de re» quête ; qu'après en avoir présenté deux à ses » officiers. On peut, en cas de déni de jus»tice, lui présenter la troisieme : mais celui qui » a tort, doit perdre la vie. Personne depuis » n'a adressé de requête au czar ».

CHAPITRE XXVII. Des mœurs du monarque,

LES

ES moeurs du prince contribuent autant à la liberté que les loix: il peut, comme elles, faire des hommes des bêtes, et des bêtes faire des hommes. S'il aime les ames libres, il aura des sujets; s'il aime les ames basses, il aura des esclaves. Veut-il savoir le grand art de régner? qu'il approche de lui l'honneur et la vertu, qu'il appelle le mérite personnel. Il peut même jetter quelquefois les yeux sur les talens. Qu'il ne craigne point ces rivaux, qu'on ap❤ Relle les hommes de mérite; il est leur égal,

(1) L'état de la Grande Russie, page 173, édit. de Paris, 1717. dès

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