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Aussi l'empereur Tacite ordonna-t-il que les esclaves ne seroient pas témoins contre leur maître, dans le crime même de lèse-majesté (1): loi qui n'a pas été mise dans la compilation de Justinien.

CHAPITRE XV I.

Calomnie dans le crime de lèse - majesté.

Il faut rendre justice aux Césars ; ils n'ima

ginèrent pas les premiers les tristes loix qu'ils firent. C'est Sylla (2) qui leur apprit qu'il ne falloit point punir les calomniateurs. Bientôt on alla jusqu'à les récompenser (3).

(1) Flavius Vopiscus, dans sa vie.

(2) Sylla fit une loi de majesté, dont il est parlé dans les oraisons de Cicéron, pro Cluentio, art. 3; in Pisonem, art. 21; deuxième contre Verrès, art. 5; épîtres familières, liv. III, lett. II. César et Auguste les insérèrent dans les loix Julies; et d'autres y ajoutèrent.

(3) Ex quò quis distinctior accusator, eò magis honores assequebatur, ac veluti sacrosanctus erat, Tacite,

CHAPITRE XVII.

De la révélation des conspirations.

QUAND

UAND ton frère, ou ton fils, ou ta fille, » ou ta femme bien aimée, ou ton ami, qui est » comme ton ame, te diront en secret, allons » à d'autres dieux, tu les lapideras : d'abord ta » main sera sur lui, ensuite celle de tout le » peuple ». Cette loi du Deutéronôme (*) ne peut être une loi civile chez la plupart des peuples que nous connoissons, parce qu'elle y ouvriroit la porte à tous les crimes.

La loi qui ordonne dans plusieurs états, sous peine de la vie, de révéler les conspirations auxquelles même on n'a pas trempé, n'est guère moins dure. Lorsqu'on la porte dans le gouvernement monarchique, il est très-convenable de la restreindre.

Elle n'y doit être appliquée, dans toute sa sévérité, qu'au crime de lèse-majesté au premier chef. Dans ces états, il est très-important de ne point confondre les différens chefs de ce crime.

Au Japon, où les loix renversent toutes les idées de la raison humaine, le crime de nonrévélation s'applique aux cas les plus ordinaires.

(*) Chap. XIII, vers, 6, 7, 8 et 9.

Une relation (*) nous parle de deux demoiselles qui furent enfermées jusqu'à la mort dans un coffre hérissé de pointes ; l'une, pour avoir eu quelque intrigue de galanterie; l'autre, pour ne l'avoir pas révélée.

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Combien il est dangereux, dans les républiques, de trop punir le crime de lèse-majesté.

QUAND

VAND une république est parvenue à détruire ceux qui vouloient la renverser, il faut se hâter de mettre fin aux vengeances, aux peines, et aux récompenses même.

On ne peut faire de grandes punitions, et par conséquent de grands changemens, sans mettre dans les mains de quelques citoyens un grand pouvoir. Il vaut donc mieux, dans ce cas, pardonner beaucoup, que punir beaucoup; exiler peu, qu'exiler beaucoup; laisser les biens, que multiplier les confiscations. Sous prétexte de la vengeance de la république, on établiroit la tyrannie des vengeurs. Il n'est pas question de détruire celui qui domine, mais la domination. Il faut rentrer, le plutôt que l'on peut dans ce train ordinaire du gouvernement, où les loix protègent tout, et ne s'arment contre

personne.

(*) Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, page 423, liv. V, part. 2.

Les Grecs ne mirent point de bornes aux vengeances qu'ils prirent des tyrans ou de ceux qu'ils soupçonnèrent de l'être. Ils firent mourir les enfans (1), quelquefois cinq des plus proches parens (2). Ils chassèrent une infinité de familles. Leurs républiques en furent ébranlées; l'exil ou le retour des exilés furent toujours des époques qui marquèrent le changement de la constitution.

Les Romains furent plus sages. Lorsque Cassius fut condamné pour avoir aspiré à la tyrannie, on mit en question si l'on feroit mourir ses enfans: ils ne furent condamnés à aucune peine. « Ceux qui ont voulu, dit Denys d'Hali» carnasse (3), changer cette loi à la fin de la » guerre des Marses et de la guerre civile, et » exclure des charges les enfans des proscrits par Sylla, sont bien criminels ».

On voit, dans les guerres de Marius et de Sylla, jusqu'à quel point les ames chez les Romains, s'étoient peu-à-peu dépravées. Des choses si funestes firent croire qu'on ne les reverroit plus. Mais sous les triumvirs, on voulut être plus cruel, et le paroître moins: on est désolé de voir les sophismes qu'employa la cruauté. On trouve dans Appien (4) la formule des proscriptions. Vous diriez qu'on n'y a d'autre

(1) Denys d'Halicarnasse, antiquités rom. liv. VIII. (2) Tyranno occiso, quinque ejus proximos cognatione, magistratus necato. Cicéron, de inventione, lib. II. (3) Liv. VIII, page 547.

(4) Des guerres civiles, liv, IV,

objet que le bien de la république, tant on y parle de sang-froid, tant on y montre d'avantages, tant les moyens que l'on prend sont préférables à d'autres, tant les riches seront en sûreté, tant le bas peuple sera tranquille, tant on craint de mettre en danger la vie des citoyens, tant on veut appaiser les soldats, tant enfin on sera heureux (1).

Rome étoit inondée de sang, quand Lépidus triompha de l'Espagne : et par une absurdité sans exemple, sous peine d'être proscrit (2) il ordonna de se réjouir.

CHAPITRE XI X.

Comment on suspend l'usage de la liberté dans la république.

ILy a dans les états où l'on fait le plus de cas de la liberté, des loix qui la violent contre un seul, pour la garder à tous. Tels sont, en Angleterre, les bills appellés d'attainder (3). Ils se

(1) Quòd felix faustumque sit.

(2) Sacris et epulis dent hunc diem: qui secùs faxit, inter proscriptos esta.

(3) Il ne suffit pas, dans les tribunaux du royaume, qu'il y ait une preuve telle, que les juges soient convaincus; il faut encore que cette preuve soit formelle, c'est-à-dire, légale ; et la loi demande qu'il y ait deux témoins contre l'accusé; une autre preuve ne suffiroit pas, Or, si un homme, présumé coupable de ce qu'on

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