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Dans le manifeste de la Czarine Anne, donné contre la famille d'Olgourouki (1), un de ces princes est condamné à mort, pour avoir proféré des paroles indécentes qui avoient du rapport à sa personne; un autre, pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l'empire, et offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses.

Je ne prétends point diminuer l'indignation que l'on doit avoir contre ceux qui veulent flétrir la gloire de leur prince: mais je dirai bien que, si l'on veut modérer le despotisme, une simple punition correctionnelle conviendra mieux dans ces occasions, qu'une accusation de lèse-majesté toujours terrible à l'innocence même (2).

Les actions ne sont pas de tous les jours; bien des gens peuvent les remarquer: une fausse accusation sur des faits peut être aisément éclaircie. Les paroles, qui sont jointes à une action, prennent la nature de cette action. Ainsi, un homme qui va dans la place publique exhorter les sujets à la révolte, devient coupable de lèse-majesté, parce que les paroles sont jointes à l'action, et y participent. Ce ne sont point les paroles que l'on punit; mais une action commise, dans laquelle on emploie les paroles. Elles ne deviennent des crimes, que lorsqu'elles préparent, qu'elles accompagnent,

(1) En 1730.

(2) Nec lubricum linguæ ad pœnam facilè trahendum est. Modestin, dans la loi 7, au ff, ad leg. Jul, maj,

ou qu'elles suivent une action criminelle. On renverse tout, si l'on fait des paroles un crime capital, au lieu de les regarder comme le signe d'un crime capital.

Les empereurs Théodose, Arcadius, et Honorius, écrivirent à Ruffin, préfet du prétoire: « Si quelqu'un parle mal de notre personne ou » de notre gouvernement, nous ne voulons » point le punir (*): s'il a parlé par légéreté, » il faut le mépriser; si c'est par folie, il faut » le plaindre; si c'est une injure, il faut lui » pardonner. Ainsi, laissant les choses dans » leur entier, vous nous en donnerez connois» sance, afin que nous jugions des paroles » par les personnes, et que nous pensions bien » si nous devons les soumettre au jugement, » ou les négliger ».

CHAPITRE XI I I.

ES

Des écrits.

Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles; mais lorsqu'ils ne préparent pas au crime de lèse-majesté, ils ne sont point une matière du crime de lèse-majesté.

Auguste et Tibère y attachèrent pourtant la

(*) Si id ex levitate processerit, contemnendum est ; si ex insania, miseratione dignissimum; si ab injuriâ, remittendum, Leg, unicâ, cod. si quis imperat, maled,

peine de ce crime ( 1 ); Auguste', à l'occasion de certains écrits faits contre des hommes et des femmes illustres; Tibère, à cause de ceux qu'il crut faits contre lui. Rien ne fut plus fatal à la liberté romaine. Crémutius Cordus fut accusé, parce que, dans ses annales, il avoit appellé Cassius le dernier des Romains (2).

Les écrits satyriques ne sont guère connus dans les états despotiques, où l'abattement d'un côté, et l'ignorance de l'autre, ne donnent ni le talent, ni la volonté d'en faire. Dans la démocratie, on ne les empêche pas, par la raison même qui, dans le gouvernement d'un seul, les fait défendre. Comme ils sont ordinairement composés contre des gens puissans, ils flattent dans la démocratie la malignité du peuple qui gouverne. Dans la monarchie, on les défend; mais on en fait plutôt un sujet de police, que de crime. Ils peuvent amuser la malignité générale, consoler les mécontens, diminuer l'envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, et le faire rire de ses souffrances.

L'aristocratie est le gouvernement qui pros crit le plus les ouvrages satyriques. Les magistrats y sont de petits souverains, qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Si dans la monarchie, quelque trait va contre le

(1) Tacite, Annales, liv. I. Cela continua sous les règnes suivans. Voyez la loi première au code de famos. libellis.

(2) Tacite, Annales, liv. IV.

monarque, il est si haut que le trait n'arrive point jusqu'à lui. Un seigneur aristocratique en est percé de part en part. Aussi les décemvirs qui formoient une aristocratie, punirent-ils de mort les écrits satyriques (1).

CHAPITRE XI V.

Violation de la pudeur dans la punition des crimes.

Il y a des règles de pudeur observées chez

presque toutes les nations du monde : il seroit absurde de les violer dans la punition des crimes, qui doit toujours avoir pour objet le rétablissement de l'ordre.

Les Orientaux, qui ont exposé des femmes à des éléphans dressés pour un abominable genre de supplice, ont-ils voulu faire violer la loi par la loi ?

Un ancien usage des Romains défendoit de faire mourir les filles qui n'étoient pas nubiles. Tibère trouva l'expédient de les faire violer par le bourreau, avant de les envoyer au supplice (2); tyran subtil et cruel, il détruisoit les mœurs pour conserver les coutumes.

Lorsque la magistrature Japonoise a fait exposer dans les places publiques les femmes

(1) La loi des douze tables.

(2) Suetonius, in Tiberio.

nues,

nues, et les a obligées de marcher à la manière des bêtes, elle a fait frémir la pudeur (1): mais, lorsqu'elle a voulu contraindre une mere.... lorsqu'elle a voulu contraindre un fils... je ne puis achever, elle a fait frémir la nature même (2).

CHAPITRE X V.

De l'affranchissement de l'esclavage, pour accuser

le maître.

AUGUSTE établit

UGUSTE établit que les esclaves de ceux qui auroient conspiré contre lui, seroient vendus au public, afin qu'ils pussent déposer contre leur maître (3). On ne doit rien négliger de ce qui mène à la découverte d'un grand crime. Ainsi, dans un état où il y a des esclaves, il est naturel qu'ils puissent être indicateurs : mais ils ne sauroient être témoins.

Vindex indiqua la conspiration faite en faveur de Tarquin : mais il ne fut pas témoin contre les enfans de Brutus. Il étoit juste de donner la liberté à celui qui avoit rendu un si grand service à sa patrie: mais on ne la lui donna pas, afin qu'il rendît ce service à sa patrie.

(1) Recueil des voyages qui ont servi à l'établissemens de la compagnie des Indes, tome V, part. II.

(2) Ibid. page 496.

(3) Dion, dans Xiphilin.

Tome I.

V v

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