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aux armées; qui ne conservèrent l'empire que parce qu'ils le donnèrent tous les jours. Quelques-uns de ces favoris conspirèrent contre leurs empereurs. Ils firent plus, ils conspirèrent contre l'empire; ils y appellèrent les Barbares: et quand on voulut les arrêter, l'état étoit si foible, qu'il fallut violer leur loi, et s'exposer au crime de lèse-majesté pour les punir.

C'est pourtant sur cette loi que se fondoit le rapporteur de monsieur de Cinq-Mars (1), lorsque, voulant prouver qu'il étoit coupable du crime de lèse-majesté pour avoir voulu chasser le cardinal de Richelieu des affaires, il dit: << Le crime qui touche la personne des ministres » des princes, est réputé, par les constitutions » des empereurs, de pareil poids que celui qui » touche leur personne. Un ministre sert bien » son prince et son état; on l'ôte à tous les >> deux; c'est comme si l'on privoit le premier » d'un bras (2), et le second d'une partie de »sa puissance ». Quand la servitude elle-même viendroit sur la terre, elle ne parleroit pas

autrement.

Une autre loi de Valentinien, Théodose et Arcadius (3), déclare les faux-monnoyeurs coupables du crime de lèse - majesté. Mais,

(1) Mémoires de Montrésor, tome I.

(2) Nàm ipsi pars corporis nostri sunt. Même loi au code ad leg. Jul. maj.

(3) C'est la neuvième au code Théod. de falsâ monetá

n'étoit-ce

n'étoit-ce pas confondre les idées des choses? Porter sur un autre crime le nom de lèse-majesté, n'est-ce pas diminuer l'horreur du crime de lèse-majesté ?

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CHAPITRE I X.

Continuation du même sujet.

PAULIN ayant mandé à l'empereur Alexandre

» qu'il se préparoit à poursuivre, comme cri» minel de lèse-majesté, un juge qui avoit pro»noncé contre ses ordonnances; l'empereur » lui répondit, que dans un siècle comme le sien, les crimes de majesté indirects n'avoient » point de lieu ( 1 ) ».

Faustinien ayant écrit au même empereur, qu'ayant juré, par la vie du prince, qu'il ne pardonneroit jamais à son esclave, il se voyoit obligé de perpétuer sa colère, pour ne pas se rendre coupable du crime de lèse-majesté : << Vous avez pris de vaines terreurs (2), lui » répondit l'empereur, et vous ne connoissez pas » mes maximes ».

Un sénatus-consulte (3) ordonna que celui qui avoit fondu des statues de l'empereur, qui

(1) Etiàm ex aliis caussis majestatis crimina cessant meo saculo. Leg. 1, cod. lib. 9, tit. 8, ad leg. Jul. maj. (2) Alienam secta mea solicitudinem concepisti, Leg. 2, cod. lib. 43, tit. 4, ad leg. Jul. maj.

(3) Voyez la loi 4, au ff. ad leg. Jul. maj. liv. 48,

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áuroient été réprouvées, ne seroit point coupable de lèse-majesté. Les empereurs Sévère et Antonin écrivirent à Pontius (1) que celui qui vendroit des statues de l'empereur non consa crées, ne tomberoit point dans le crime de lèse-majesté. Les mêmes empereurs écrivirent à Julius Cassianus, que celui qui jetteroit, par hazard, une pierre contre une statue de l'empereur, ne devoit point être poursuivi comme criminel de lèse-majesté (2). La loi Julie demandoit ces sortes de modifications: car elle avoit rendu coupable de lèse-majesté, non-seulement ceux qui fondoient les statues des empereurs, mais ceux qui commettoient quelque action semblable (3), ce qui rendoit ce crime arbitraire. Quand on eut établi bien des crimes de lèse-majesté, il fallut nécessairement distinguer ċes crimes. Aussi le jurisconsulte Ulpien, après avoir dit que l'accusation du crime de lèsemajesté ne s'éteignoit point par la mort du coupable, ajoute-t-il que cela ne regarde pas tous (4) les crimes de lèse-majesté établis par la loi Julie; mais seulement celui qui contient un attentat contre l'empire, ou contre la vie de l'empereur.

(1) Voyez la loi 5, au ff. ad leg. Jul, maj. (2) Ibid.

(3) Aliudve quid simile admiserint, Leg. 6, ff. ad leg. Jul. maj.

(4) Dans la loi dernière, au ff. ad leg. Jul. maj.

CHAPITRE X.O

Continuation du même sujet.

UNE loi d'Angleterre, passée sous Henri

VIII, déclaroit coupables de haute trahison tous ceux qui prédiroient la mort du roi. Cette loi étoit bien vague. Le despotisme est si terrible, qu'il se tourne même contre ceux qui l'exercent. Dans la dernière maladie de ce roi les médecins n'osèrent jamais dire qu'il fût en danger, et ils agirent, sans doute, en conséquence (1).

CHAPITRE XL.

Des pensées.

UN Marsias songea qu'il coupoit la gorge à Denys (2). Celui-ci le fit mourir, disant qu'il n'y auroit pas songé la nuit, s'il n'y eût pensé le jour. C'étoit une grande tyrannie: car, quand même il y auroit pensé, il n'avoit pas attenté (3). Les loix ne se chargent de punir que les actions. extérieures.

(1) Voyez l'histoire de la réformation, par M. Burnet. (2) Plutarque, vie de Denys.

(3) Il faut que la pensée soit jointe à quelque sorte

d'action,

CHAPITRE XII.

Des paroles indiscrettes.

RIEN ne rend encore le crime de lèse-majesté plus arbitraire, que quand des paroles indiscrettes en deviennent la matière. Les discours sont si sujets à interprétation, il y a tant de différence entre l'indiscrétion et la malice, et il y en a si peu dans les expressions qu'elles emploient, que la loi ne peut guère soumettre les paroles à une peine capitale, à moins qu'elle ne déclare expressément celles qu'elle y soumet (*).

Les paroles ne forment point un corps de délit; elles ne restent que dans l'idée. La plupart du temps elles ne signifient point par ellesmêmes, mais par le ton dont on les dit. Souvent, en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens; ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois le silence exprime plus que tous les discours. Il n'y a rien de si équivoque que tout cela. Comment donc en faire un crime de lèse-majesté ! Par-tout où cette loi est établie, non-seulement la liberté n'est plus, mais son ombre même.

(*) Si non tale sit delictum, quod vel ex scripturá legis descendit, vel ad exemplum legis vindicandum est, dit Modestinus dans la loi 7, au ff. ad leg. Jul, maj,

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