Il y a quatre sortes de crimes. Ceux de la première espèce choquent la religion; ceux de la seconde, les mœurs; ceux de la troisième, la tranquillité; ceux de la quatrième, la sûreté des citoyens. Les peines, que l'on inflige, doivent dériver de la nature de chacune de ces espèces. Je ne mets dans la classe des crimes qui intéressent la religion, que ceux qui l'attaquent directement, comme sont tous les sacrilèges simples. Car les crimes qui en troublent l'exercice, sont de la nature de ceux qui choquent la tranquillité des citoyens ou leur sûreté, et doivent être renvoyés à ces classes. Pour que la peine des sacrilèges simples soit tirée de la nature (*) de la chose, elle doit consister dans la privation de tous les avantages que donne la religion; l'expulsion hors des temples; la privation de la société des fidèles, pour un temps ou pour toujours; la fuite de leur présence, les exécrations, les détestations, les conjurations. Dans les choses qui troublent la tranquillité ou la sûreté de l'état, les actions cachées sont du ressort de la justice humaine. Mais dans celles qui blessent la divinité, là où il n'y a point d'action publique, il n'y a point de matière de crime tout s'y passe entre l'homme et Dieu, qui sait la mesure et le temps de ses vengeances. (*) Saint Louis fit des loix si outrées contre ceux qui juroient, que le pape se crut obligé de l'en avertir. Ce prince modéra son zèle, et adoucit ses loix. Voyer ses ordonnantes. Que si, confondant les choses, le magistrat recherche aussi le sacrilège caché, il porte une inquisition sur un genre d'action où elle n'est point nécessaire : il détruit la liberté des citoyens, en armant contre eux le zèle des consciences timides, et celui des consciences hardies. Le mal est venu de cette idée, qu'il faut venger la divinité. Mais il faut faire honorer la divinité, et ne la venger jamais. En effet, si l'on se conduisoit par cette dernière idée, quelle seroit la fin des supplices? Si les loix des hommes ont à venger un être infini, elles se régleront sur son infinité, et non pas sur les' foiblesses, sur les ignorances, sur les caprices' de la nature humaine. Un historien (*) de Provence rapporte un fait, qui nous peint très-bien ce que peut produire, sur des esprits foibles, cette idée de venger la divinité. Un Juif, accusé d'avoir blasphêmé contre la sainte Vierge, fut condamné à être écorché. Des chevaliers masqués, le couteau à la main, montèrent sur l'échafaud, et en chassèrent l'exécuteur , pour venger eux-mêmes l'honneur de la sainte Vierge. Je ne veux point prévenir les réflexions du lecteur. La seconde classe, est des crimes qui sont contre les mœurs. Telles sont la violation de la continence publique ou particulière; c'est-àdire, de la police sur la manière dont on doit jouir des plaisirs attachés à l'usage des sens et à (*) Le P. Bougerel. l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent encore être tirées de la nature de la chose la privation des avantages que la société a attachés à la pureté des mœurs, les amendes, la honte, la contrainte de se cacher, l'infamie publique, l'expulsion hors de la ville et de la société; enfin, toutes les peines qui sont de la jurisdiction correctionnelle, suffisent pour réprimer la témérité des deux sexes. En effet, ces choses sont moins fondées sur la méchanceté, que sur l'oubli ou le mépris de soi-même. Il n'est ici question que des crimes qui intéressent uniquement les mœurs, non de ceux qui choquent aussi la sûreté publique, tels que l'enlèvement et le viol, qui sont de la quatrième espèce. Les crimes de la troisième classe, sont ceux qui choquent la tranquillité des citoyens et les peines en doivent être tirées de la nature de la chose, et se rapporter à cette tranquillité; comme la privation, l'exil, les corrections, et autres peines qui ramènent les esprits inquiets, et les font rentrer dans l'ordre établi. Je restreins les crimes contre la tranquillité, aux choses qui contiennent une simple lésion de police: car celles qui, troublant la tranquillité, attaquent en même temps la sûreté, doivent être mises dans la quatrième classe. Les peines de ces derniers crimes, sont ce qu'on appelle des supplices. C'est une espèce de talion, qui fait que la société refuse la sûreté à un citoyen qui en a privé, ou qui a voulu en priver priver un autre. Cette peine est tirée de la nature de la chose, puisée dans la raison, et dans les sources du bien et du mal. Un citoyen mérite la mort, lorsqu'il a violé la sûreté au point qu'il a ôté la vie, ou qu'il a entrepris de l'ôter. Cette peine de mort est comme le remède de la société malade. Lorsqu'on viole la sûreté à l'égard des biens, il peut y avoir des raisons pour que la peine soit capitale : mais il vaudroit peut-être mieux, et il seroit plus de la nature, que la peine des crimes contre la sûreté des biens, fût punie par la perte des biens; et cela devroit être ainsi, si les fortunes étoient communes ou égales. Mais, comme ce sont ceux qui n'ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle suppléât à la pécuniaire. Tout ce que je dis est puisé dans la nature, et très-favorable à la liberté du citoyen. CHAPITRE V. De certaines accusations qui ont particulièrement besoin de modération et de prudence. MAXIME importante : il faut être très-cir conspect dans la poursuite de la magie et de 4 directement sur les actions d'un citoyen, mais plutôt sur l'idée que l'on s'est faite de son caractère, elle devient dangereuse à proportion de l'ignorance du peuple; et pour lors un citoyen est toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne sont pas des garans contre les soupçons de ces crimes. Sous Manuel Comnène, le protestator (1) fut accusé d'avoir conspiré contre l'empereur, et de s'être servi pour cela de certains secrets qui rendent les hommes invisibles. Il est dit, dans la vie de cet empereur (2), que l'on surprit Aaron lisant un livre de Salomon, dont la lec+ ture faisoit paroître des légions de démons. Or, en supposant dans la magie une puissance qui arme l'enfer, et en partant de là, on regarde celui que l'on appelle un magicien, comme l'homme du monde le plus propre à troubler et à renverser la société, et l'on est porté à le punir sans mesure. L'indignation croît, lorsque l'on met dans la magie le pouvoir de détruire la religion. L'his toire de Constantinople (3) nous apprend que, sur une révélation qu'avoit eue un évêque, qu'un miracle avoit cessé à cause de la magie d'un particulier, lui et son fils furent condamnés (1) Nicétas, vie de Manuel Comnène, liv. IV. : (2) Ibid. (3) Histoire de l'empereur Maurice, par ThéophyLacte, chap. XI. |