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dissolvoit (*) la monarchie par ses chimériques remboursemens, et sembloit vouloir racheter la constitution même.

Il ne suffit pas qu'il y ait, dans une monarchie, des rangs intermédiaires; il faut encore un dépôt de loix. Ce dépôt ne peut être que dans les corps politiques, qui annoncent les loix lorsqu'elles sont faites, et les rappellent lorsqu'on les oublie. L'ignorance naturelle à la noblesse, son inattention, son mépris pour le gouvernement civil, exigent qu'il y ait un corps. qui fasse sans cesse sortir les loix de la poussière où elles seroient ensevelies. Le conseil du prince n'est pas un dépôt convenable. Il est, par sa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince qui exécute, et non pas le dépôt des loix fondamentales. De plus, le conseil du monarque change sans cesse; il n'est point permanent; il ne sauroit être nombreux; il n'a point à un assez haut degré la confiance du peuple : il n'est donc pas en état de l'éclairer dans les temps difficiles, ni de le ramener à l'obéissance.

Dans les états despotiques, où il n'y a point de loix fondamentales, il n'y a pas non plus de dépôt de loix. De - là vient que, dans ces pays, la religion a ordinairement tant de force; c'est qu'elle forme une espèce de dépôt et de permanence: et, si ce n'est pas la religion, ce sont les coutumes qu'on y vénère, au lieu des loix.

(*) Ferdinand, roi d'Aragon, se fit grand-maître des: ordres, et cela seul altéra la constitutionib

CHAPITRE V.

Des loix relatives à la nature de l'état despotique.

IL

L résulte de la nature du pouvoir despotique, que l'homme seul qui l'exerce, le fasse de même exercer par un seul. Un homme à qui ses cinq sens disent sans cesse qu'il est tout, et que les autres ne sont rien, est naturellement paresseux, ignorant, voluptueux. Il abandonne donc les affaires. Mais, s'il les confioit à plusieurs, il y auroit des disputes entre eux; on feroit des brigues pour être le premier esclave; le prince seroit obligé de rentrer dans l'administration. Il est donc plus simple qu'il l'abandonne à un vizir (*) qui aura d'abord la même puissance que lui. L'établissement d'un vizir est, dans cet état, une loi fondamentale.

On dit qu'un pape, à son élection, pénétré de son incapacité, fit d'abord des difficultés infinies. Il accepta enfin, et livra à son neveu toutes les affaires. Il étoit dans l'admiration, et disoit : « Je n'aurois jamais cru que cela eût » été si aisé ». Il en est de même des princes d'Orient. Lorsque, de cette prison où des eunuques leur ont affoibli le cœur et l'esprit, et souvent leur ont laissé ignorer leur état même,

(*) Les rois d'Orient ont toujours des vizirs, dit M. Chardin,

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on les tire pour les placer sur le trône, ils sont d'abord étonnés: mais, quand ils ont fait un vizir; et que, dans leur serrail, ils se sont livrés aux passions les plus brutales; lorsqu'au milieu d'une cour abattue, ils ont suivi leurs caprices. les plus stupides, ils n'auroient jamais cru que cela eût été si aisé.

Plus l'empire est étendu, plus le serrail s'agrandit, et plus, par conséquent, le prince est enivré de plaisirs. Ainsi, dans ces états, plus le prince a de peuples à gouverner, moins il pense au gouvernement; plus les affaires y sont grandes, et moins on y délibère sur les affaires.

*

LIVRE III.

Des principes des trois gouvernemens.

CHAPITRE PREMIER.

Différence de la nature du gouvernement, et de
son principe.

APRÈS
PRÈS avoir examiné quelles sont les loix
relatives à la nature de chaque gouvernement,
il faut voir celles qui le sont à son principe.

Il y a cette différence (*) entre la nature du gouvernement, et son principe, que sa nature est ce qui le fait être tel; et son principe, ce qui le fait agir. L'une est sa structure particulière, et l'autre les passions humaines qui le font mouvoir.

Or, les loix ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque gouvernement, qu'à sa nature. Il faut donc chercher quel est ce principe. C'est ce que je vais faire dans ce livre-ci.

(*) Cette distinction est très - importante, et j'en tirerai bien des conséquences; elle est la clef d'une infinité de loix,

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CHAPITRE II.

Du principe des divers gouvernemens.

J'AI dit

que la nature du gouvernement républicain, est que le peuple en corps, ou de certaines familles, y aient la souveraine puissance: celle du gouvernement monarchique, que le prince y ait la souveraine puissance, mais qu'il l'exerce selon des loix établies: celle du gouvernement despotique, qu'un seul y gouverne selon ses volontés et ses caprices. Il ne m'en faut pas davantage pour trouver leurs trois. principes; ils en dérivent naturellement. Je commencerai par le gouvernement républicain, et je parlerai d'abord du démocratique.

IL

CHAPITRE III,

Du principe de la Démocratie.

L ne faut pas beaucoup de probité, pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne ou se soutienne. La force des loix dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un état populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU.

Ce que je dis est confirmé par le corps

entier

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