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les branches de la puissance exécutrice, parce qu'il étoit jaloux de sa gloire.

La part que le sénat prenoit à la puissance exécutrice, étoit si grande, que Polybe (*) dit, que les étrangers pensoient tous que Rome étoit une aristocratie. Le sénat disposoit des deniers publics, et donnoit les revenus à ferme ; il étoit l'arbitre des affaires des alliés ; il décidoit de la guerre et de la paix, et dirigeoit, à cet égard, les consuls; il fixoit le nombre des troupes romaines et des troupes alliées; distribuoit les provinces et les armées aux consuls ou aux préteurs; et, l'an du commandement expiré, il pouvoit leur donner un successeur; il décernoit les triomphes; il recevoit des ambassades, et en envoyoit ; il nommoit les rois, les récompensoit, les punissoit, les jugeoit, leur donnoit ou leur faisoit perdre le titre d'alliés du peuple romain.

Les consuls faisoient la levée des troupes qu'ils devoient mener à la guerre; ils commandoient les armées de terre ou de mer; disposoient des alliés : ils avoient dans les provinces toute la puissance de la république : ils donnoient la paix aux peuples vaincus, leur en imposoient les conditions, ou les renvoyoient au sénat.

Dans les premiers temps, lorsque le peuple prenoit quelque part aux affaires de la guerre et de la paix, il exerçoit plutôt sa puissance

(*) Liv. VI.

législative que sa puissance exécutrice. Il ne faisoit guère que confirmer ce que les rois, er, après eux, les consuls ou le sénat avoient fait. Bien loin que le peuple fût l'arbitre de la guerre, nous voyons que les consuls ou le sénat la faisoient souvent malgré l'opposition de ses tribuns. Mais, dans l'ivresse des prospérités, il augmenta sa puissance exécutrice: ainsi, il (1) créa lui-même les tribuns des légions, que les généraux avoient nommés jusqu'alors; et quelque temps avant la première guerre punique, il régla qu'il auroit, seul, le droit de déclarer la guerre (2).

CHAPITRE XVIII.

De la puissance de juger, dans le gouvernement de Rome.

LA puissance de juger fut donnée au peuple,

au sénat, aux magistrats, à de certains juges. Il faut voir comment elle fut distribuée. Je commence par les affaires civiles.

(1) L'an de Rome 444, Tite-Live, première décade; liv. IX. La guerre contre Persée, paroissant périlleuse, un sénatus - consulte ordonna que cette loi seroit suspendue; et le peuple y consentit. Tite-Live, cinquième décade, liv. II.

(2) Il l'arracha du sénat, dit Freinshemius, deuxième décade, liv. VI.

Les consuls (1) jugèrent après les rois, comme les préteurs jugèrent après les consuls. Servius Tullius s'étoit dépouillé du jugement des affaires civiles; les consuls ne les jugèrent pas non plus, si ce n'est dans des cas très (2) rares, que l'on appella, pour cette raison, extraordinaires (3). Ils se contentèrent de nommer les juges, et de former les tribunaux qui devoient juger. Il paroît, par le discours d'Appius Claudius, dans Denys d'Halicarnasse (4), que, dès l'an de Rome 259, ceci étoit regardé comme une coutume établie chez les Romains; et ce n'est pas la faire remonter bien haut, que de la rapporter à Servius Tullius.

Chaque année, le préteur formoit une liste (5) ou tableau de ceux qu'il choisissoit pour faire la fonction de juges pendant l'année de sa magistrature. On en prenoit le nombre. suffisant pour chaque affaire. Cela se pratique à-peu-près de même en Angleterre. Et, ce qui

(1) On ne peut douter que les consuls, avant la création des prèteurs, n'eussent eu les jugemens civils. Voyez Tite-Live, décade I, liv. II, page 19; Denys d'Halicarnasse, livre X, page 627; et même livre, page 645.

(2) Souvent les tribuns jugèrent seuls; rien ne les rendit plus odieux. Denys d'Halicarnasse, livre XI, page 709.

(3) Judicia extraordinaria. Voyez les institutes, liv. IV.

(4) Liv. VI, page 360.

(5) Album judicium.

étoit très-favorable à la (1) liberté, c'est que le préteur prenoit les juges, du consentement (2) des parties. Le grand nombre de récusations l'on peut faire aujourd'hui en Angleterre, revient à-peu-près à cet usage.

que

Ces juges ne décidoient que des questions de fait (3): par exemple, si une somme avoit été payée, ou non; si une action avoit été commise, ou non. Mais pour les questions de droit (4), comme elles demandoient une certaine capacité, elles étoient portées au tribunal des centumvirs (5).

Les rois se réservèrent le jugement des affaires criminelles, et les consuls leur succédèrent en cela. Ce fut en conséquence de cette autorité, que le consul Brutus fit mourir ses enfans et tous ceux qui avoient conjuré pour

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(1) Nos ancêtres n'ont pas voulu, dit Cicéron, » pro Cluentio, qu'un homme, dont les parties ne seroient "pas convenues, pût être juge non-seulement de la » réputation d'un citoyen, mais même de la moindre » affaire pécuniaire ».

(2) Voyez dans les fragmens de la loi Servilienne, de la Cornélienne, et autres, de quelle manière ces loix donnoient des juges dans les crimes qu'elles se proposoient de punir. Souvent ils étoient pris par le choix, quelquefois par le sort, ou enfin par le sort

mêlé avec le choix.

(3) Sénèque, de benef. liv. III, chap. VII, in fine. (4) Voyez Quintilien, liv. IV, page 54, in-fol. édit. de Paris, an. 1541.

(5) Leg. 2, §. 24, ff. de orig. jur. Des magistrats, appellés décemvirs, présidoient au jugement, le tout sous la direction d'un préteur.

les Tarquins. Ce pouvoir étoit exorbitant. Les consuls, ayant déjà la puissance militaire, ils en portoient l'exercice même dans les affaires de la ville; et leurs procédés, dépouillés des formes de la justice, étoient des actions violentes plutôt que des jugemens.

Cela fit faire la loi Valérienne, qui permit d'appeller au peuple de toutes les ordonnances des consuls qui mettroient en péril la vie d'un citoyen. Les consuls ne purent plus prononcer une peine capitale contre un citoyen romain que par la volonté du peuple (1).

On voit, dans la première conjuration pour le retour des Tarquins, que le consul Brutus juge les coupables; dans la seconde, on assemble le sénat et les comices pour juger (2).

Les loix, qu'on appella sacrées, donnèrent aux plébéiens des tribuns, qui formèrent un corps qui eut d'abord des prétentions immenses. On ne sait quelle fut plus grande, ou dans les plébéiens la lâche hardiesse de demander, ou dans le sénat la condescendance et la facilité d'accorder. La loi Valérienne avoit permis les appels au peuple; c'est-à-dire, au peuple composé de sénateurs, de patriciens et de plébéiens. Les plébéiens établirent que ce seroit devant eux que les appellations seroient portées. Bientôt on mit en question, si les plébéiens pourroient

(1) Quoniam de capite civis romani, injussu populi romani, non erat permissum consulibus jus dicere. Voyez Pomponius, leg 2, §. 16, ff. de orig. jur.

(2) Denys d'Halicarnasse, liv. 5, page 322,

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