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s'assembleroit

par curies pour

les nommer; et

quand sa puissance fut affermie, il obtint (*) qu'ils seroient nommés dans une assemblée par tribus.

CHAPITRE X V.

Comment, dans l'état florissant de la république, Rome perdit tout-à-coup sa liberté.

que

l'on

DANs le feu des disputes entre les patriciens et les plébéiens, ceux-ci demandèrent donnât des loix fixes, afin que les jugemens ne fussent plus l'effet d'une volonté capricieuse, ou d'un pouvoir arbitraire. Après bien des résistances, le sénat y acquiesça. Pour composer ces loix, on nomma des décemvirs. On crut qu'on devoit leur accorder un grand pouvoir, parce qu'ils avoient à donner des loix à des partis qui étoient presque incompatibles. On suspendit la nomination de tous les magistrats; et dans les comices, ils furent élus seuls administrateurs de la république. Ils se trouvèrent revêtus de la puissance consulaire et de la puissance tribunitienne. L'une leur donnoit le droit d'assembler le sénat; l'autre, celui d'assembler le peuple: mais ils ne convoquèrent ni le sénat, ni le peuple. Dix hommes dans la république eurent seuls toute la puissance législative, toute la puissance exécutrice, toute

(*) Livre IX, page 605.

la puissance des jugemens. Rome se vit soumise à une tyrannie aussi cruelle que celle de Tarquin. Quand Tarquin exerçoit ses vexations, Rome étoit indignée du pouvoir qu'il avoit usurpé: quand les décemvirs exercèrent les leurs, elle fut étonnée du pouvoir qu'elle

avoit donné.

Mais quel étoit ce systême de tyrannie, produit par des gens qui n'avoient obtenu le pouvoir politique et militaire que par la connoissance des affaires civiles; et qui, dans les circonstances de ces temps-là, avoient besoin au dedans de la lâcheté des citoyens, pour qu'ils se laissassent gouverner, et de leur courage au dehors pour les défendre?

Le spectacle de la mort de Virginie, immolée par son père à la pudeur et à la liberté, fit évanouir la puissance des décemvirs. Chacun se trouva libre, parce que chacun fut offensé: tout le monde devint citoyen, parce que tout le monde se trouva père. Le sénat et le peuple rentrèrent dans une liberté qui avoit été confiée à des tyrans ridicules,

s'émou

Le peuple romain, plus qu'un autre, voit par les spectacles. Celui du corps sanglant de Lucrèce fit finir la royauté. Le débiteur, qui parut sur la place, couvert de plaies, fit changer la forme de la république. La vue de Virginie fit chasser les décemvirs. Pour faire condamner Manlius, il fallut ôter au peuple la vue du capitole. La robe sanglante de César remit Rome dans la servitude.

CHAPITRE XVI.

De la puissance législative dans la république

romaine.

ON n'avoit point de droit à se disputer sous

les décemvirs: mais, quand la liberté revint, on vit les jalousies renaître : tant qu'il resta quelques privilèges aux patriciens, les plébéiens les leur ôtèrent.

Il y auroit eu peu de mal, si les plébéiens s'étoient contentés de priver les patriciens de -leurs prérogatives, et s'ils ne les avoient pas offensés dans leur qualité même de citoyen. Lorsque le peuple étoit assemblé par curies ou par centuries, il étoit composé de sénateurs, de patriciens et de plébéiens. Dans les disputes, les plébéiens gagnèrent ce point (1), que seuls, sans les patriciens et sans le sénat, ils pourroient faire des loix qu'on appella plébiscites; et les comices où on les fit, s'appellèrent comices par tribus. Ainsi, il y eut des cas où les patriciens (2) n'eurent point de part

(1) Denys d'Halicarnasse, livre XI, page 725.

(2) Par les loix sacrées, les plébéiens purent faire des plébiscites, seuls, et sans que les patriciens fussent admis dans leur assemblée. Denys d'Halicarnasse, liv. VI, page 410; et liv. VII, page 430.

à la puissance législative (1), où ils furent soumis à la puissance législative d'un autre corps de l'état. Ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie, choqua les principes même de la démocratie. Il sembloit qu'une puissance aussi exorbitante, auroit dû anéantir l'autorité du sénat : mais Rome avoit des institutions admirables. Elle en avoit deux sur-tout; par l'une, la puissance législative du peuple étoit réglée; par l'autre, elle étoit bornée.

Les censeurs, et avant eux les consuls (2), formoient et créolent, pour ainsi dire, tous les cinq ans, le corps du peuple; ils exerçoient la législation sur le corps même qui avoit la puissance législative. « Tiberius-Gracchus, censeur, »dit Cicéron, transféra les affranchis dans les » tribus de la ville, non par la force de son » éloquence, mais par une parole et par un » geste et s'il ne l'eût pas fait, cette répu

blique, qu'aujourd'hui nous soutenons à » peine, nous ne l'aurions plus ».

D'un autre côté, le sénat avoit le pouvoir

(1) Par la loi faite après l'expulsion des décemvirs, les patriciens furent soumis aux plébiscites, quoiqu'ils n'eussent pu y donner leur voix. Tite-Live, livre III; et Denys d'Halicarnasse, livre XI, page 725: et cette loi fut confirmée par celle de Publius Philo, dictateur, l'an de Rome 416. Tie-Live, livre VIII.

(2) L'an 312 de Rome, les consuls faisoient encore le cens, comme il paroît par Denys d'Halicarnasse liv. XI.

d'ôter,

d'ôter, pour ainsi dire, la république des mains du peuple, par la création d'un dictateur, devant lequel le souverain baissoit la tête, et les loix les plus populaires restoient dans le silence (*).

CHAPITRE X VI I.

De la puissance exécutrice, dans la même république.

SI le peuple fut jaloux de sa puissance légis

lative, il le fut moins de sa puissance exécutrice. Il la laissa presque toute entière au sénat et aux consuls; et il ne se réserva guère que le droit d'élire les magistrats, et de confirmer les actes du sénat et des généraux.

Rome, dont la passion étoit de commander, dont l'ambition étoit de tout soumettre, qui avoit toujours usurpé, qui usurpoit encore, avoit continuellement de grandes affaires; ses ennemis conjuroient contre elle, ou elle conjuroit contre ses ennemis.

Obligée de se conduire, d'un côté, avec un courage héroïque, et de l'autre avec une sagesse consommée, l'état des choses demandoit que le sénat eût la direction des affaires. Le peuple disputoit au sénat toutes les branches de la puissance législative, parce qu'il étoit jaloux de sa liberté; if ne lui disputoit point

(*) Comme celles qui permettoient d'appeller au peuple des ordonnances de tous les magistrats. Pp

Tome I.

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