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CHAPITRE III.

Ce que c'est que la liberté.

IL est vrai que, dans les démocraties, le peuple paroît faire ce qu'il veut; mais la liberté poli tique ne consiste point à faire ce que l'on veut. Dans un état, c'est-à-dire, dans une société où il y a des loix, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir.

Il faut se mettre dans l'esprit ce que c'est que l'indépendance, et ce que c'est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les loix permettent ; et si un citoyen pouvoit faire ce qu'elles défendent, il n'auroit plus de liberté, parce que les autres auroient tout de même ce pouvoir.

CHAPITRE IV.

Continuation du même sujet.

LA démocratie et l'aristocratie ne sont point des états libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernemens modérés. Mais elle n'est pas toujours dans les états modérés; elle n'y est que lorsqu'on n'abuse

pas du pouvoir mais c'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le diroit! la vertu même a besoin de limites.

Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Une constitution peut être telle, que personne ne sera contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l'oblige pas, et à ne point faire celle que la loi lui permet.

CHAPITRE V.

De l'objet des états divers.

QUOIQUE tous les états aient en général un

même objet, qui est de se maintenir, chaque état en a pourtant un qui lui est particulier. L'agrandissement étoit l'objet de Rome'; la guerre, celui de Lacédémone; la religion, celui des loix judaïques; le commerce, celui de Marseille; la tranquillité publique, celui des loix de la Chine (*); la navigation, celui des loix des Rhodiens; la liberté naturelle, l'objet de la police des sauvages; en général, les

(1) Objet naturel d'un état qui n'a point d'ennemis au dehors, ou qui croit les avoir arrêtés par des barrières.

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délices du prince, celui des états despotiques; sa gloire et celle de l'état, celui des monarchies; l'indépendance de chaque particulier est l'objet des loix en Pologne ; et ce qui en résulte, l'oppression de tous (*).

Il y a aussi une nation dans le monde qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique. Nous allons examiner les principes sur lesquels elle la fonde. S'ils sont bons', la liberté y paroîtra comme dans un miroir.

Pour découvrir la liberté politique dans la constitution, il ne faut pas tant de peine. Si on peut la voir où elle est, si on l'a trouvée, pourquoi la chercher?

CHAPITRE VI.

De la constitution & Angleterre,

ILya, dans chaque état, trois sortes de pouvoir, la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil,

Par la premiere, le prince ou le magistrat fait des loix pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, tion to no gritat (*) Inconvénient du liberum veto. SALI

prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger; et l'autre, simplement la puissance éxécutrice de l'état.

La liberté politique dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne, ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque, ou le même sénat, ne fasse des loix tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle étoit jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens seroit arbitraire: car le juge seroit législateur. Si elle étoit jointe à la puissance exécutrice, le juge pourroit avoir la force d'un oppresseur.

Tout seroit perdu, si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles, où du peuple, exerçoient ces trois pouvoirs : celui de faire des loix, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des royaumes de l'Europe, le gouvernement est modéré; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l'exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.

Dans les républiques d'Italie, où ces trois pouvoirs sont réunis, la liberté se trouve moins que dans nos monarchies. Aussi le gouvernement a-t-il besoin, pour se maintenir, de moyens aussi violens que le gouvernement des Turcs; témoins les inquisiteurs d'état (*), et le tronc où tout délateur peut, à tous les momens, jetter avec un billet son accusation.

Voyez quelle peut être la situation d'un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des loix, toute la puissance qu'il s'est donnée comme législateur. Il peut ravager l'état par ses volontés générales, et comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières.

Toute la puissance y est une; et quoiqu'il n'y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant.

Aussi les princes, qui ont voulu se rendre despotiques, ont-ils toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures, et plusieurs rois d'Europe toutes les grandes charges de leur état.

(*) A Venise.

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