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y a de trop grands dépôts à mettre entre les mains d'un citoyen; les intérêts se particularisent; un homme sent d'abord qu'il peut être heureux, grand, glorieux sans sa patrie; et bientôt, qu'il peut être seul grand sur les ruines de sa patrie.

Dans une grande république, le bien commun est sacrifié à mille considérations; il est subordonné à des exceptions; il dépend des accidens. Dans une petite, le bien public est mieux senti, mieux connu, plus près de chaque citoyen; les abus y sont moins étendus, et par conséquent moins protégés.

Ce qui fit subsister si long-temps Lacédémone, c'est qu'après toutes ses guerres, elle resta toujours avec son territoire. Le seul but de Lacédémone étoit la liberté; le seul avantage de sa liberté, c'étoit la gloire.

Ce fut l'esprit des républiques grecques de se contenter de leurs terres, comme de leurs loix. Athènes prit de l'ambition, et en donna à Lacédémone: mais ce fut plutôt pour commander à des peuples libres, que pour gouverner des esclaves; plutôt pour être à la tête de l'union, que pour la rompre. Tout fut perdu lorsqu'une monarchie s'éleva; gouvernement dont l'esprit est plus tourné vers l'agrandis

sement.

Sans des circonstances particulières (*), il

(*) Comme quand un petit souverain se maintient entre deux grands états par leur jalousie mutuellę; mais il n'existe que précairement,

est

est difficile que tout autre gouvernement que le républicain puisse subsister dans une seule ville. Un prince d'un si petit état chercheroit naturellement à opprimer, parce qu'il auroit une grande puissance, et peu de moyens pour en jouir ou pour la faire respecter: il fouleroit donc beaucoup ses peuples. D'un autre côté, un tel prince seroit aisément opprimé par une force étrangère, ou même par une force domestique; le peuple pourroit, à tous les instans, s'assembler et se réunir contre lui : or quand un prince d'une ville est chassé de sa ville, le procès est fini; s'il a plusieurs villes, le procès n'est que commencé.

CHAPITRE X VI I.

Propriétés distinctives de la monarchie.

UN état monarchique doit être d'une gran

deur médiocre. S'il étoit petit, il se formeroit en république; s'il étoit fort étendu, les prin cipaux de l'état, grands par eux-mêmes, n'étant point sous les yeux du prince, ayant leur cour hors de sa cour, assurés d'ailleurs contre les exécutions promptes par les loix et par les mœurs, pourroient cesser d'obéir; ils ne craindroient pas une punition trop lente et trop éloignée.

Aussi Charlemagne eut-il à peine fondé son empire, qu'il fallut le diviser; soit que Tome L

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les gouverneurs des provinces n'obéissent pas; soit que, pour les faire mieux obéir, il fût nécessaire de partager l'empire en plusieurs

royaumes.

Après la mort d'Alexandre, son empire fut partagé. Comment ces grands de Grèce et de Macédoine, libres, ou du moins chefs des conquérans répandus dans cette vaste conquête, auroient-ils pu obéir?

Après la mort d'Attila, son empire fut dissous: tant de rois qui n'étoient plus contenus, ne pouvoient point reprendre des chaînes.

Le prompt établissement du pouvoir sans bornes, est le remède qui, dans ces cas, peut prévenir la dissolution: nouveau malheur après celui de l'agrandissement!

Les fleuves courent se mêler dans la mer, les monarchies vont se perdre dans le despotisme.

CHAPITRE

XVIII.

Que la monarchie d'Espagne étoit dans un cas particulier.

Qu'on ne cite point l'exemple de l'Espagne ; elle prouve plutôt ce que je dis. Pour garder l'Amérique, elle fit ce que le despotisme même ne fait pas, elle en détruisit les habitans; il fallut, pour conserver sa colonie, qu'elle la tînt dans la dépendance de la subsistance même.

Elle essaya le despotisme dans les Pays-Bas ; et si-tôt qu'elle l'eut abandonné, ses embarras augmentèrent. D'un côté, les Wallons ne vouloient pas être gouvernés par les Espagnols; et de l'autre, les soldats espagnols ne vouloient pas obéir aux officiers wallons (*).

Elle ne se maintint dans l'Italie, qu'à force de l'enrichir et de se ruiner: car ceux qui auroient voulu se défaire du roi d'Espagne, n'étoient pas pour cela d'humeur à renoncer à son argent.

CHAPITRE XI X.

Propriétés distinctives du gouvernement despotique.

UN grand empire suppose une autorité despotique dans celui qui gouverne. Il faut que la promptitude des résolutions supplée à la distance des lieux où elles sont envoyées ; que la crainte empêche la négligence du gouverneur ou du magistrat éloigné; que la loi soit dans une seule tête; et qu'elle change sans cesse, comme les accidens, qui se multiplient toujours dans l'état, à proportion de sa grandeur.

(*) Voyez l'histoire des Provinces-Unies, par M. le Clerc.

:

CHAPITRE X X.

Conséquences des chapitres précédens.

QUE si la propriété naturelle des petits états,

est d'être gouvernés en république; celle des médiocres, d'être soumis à un monarque; celle des grands empires, d'être dominés par un despote; il suit que, pour conserver les principes du gouvernement établi, il faut maintenir l'état dans la grandeur qu'il avoit déjà; et que cet état changera d'esprit à mesure qu'on rétrecira ou qu'on étendra ses limites.

CHAPITRE XXI.

AVANT

De l'empire de la Chine.

NT de finir ce livre, je répondrai à une objection qu'on peut faire sur tout ce que j'ai dit jusqu'ici.

Nos missionnaires nous parlent du vaste empire de la Chine, comme d'un gouvernement admirable, qui mêle ensemble dans son principe la crainte, l'honneur et la vertu. J'ai donc posé une distinction vaine, lorsque j'ai établi les principes des trois gouvernemens.

J'ignore ce que c'est que cet honneur dont

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