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les Romains pensoient que ces jeux avoient été la principale cause de la servitude où étoient tombés les Grecs. C'étoit au contraire, la servitude des Grecs qui avoit corrompu ces exercices. Du temps de Plutarque (1), les parcs où l'on combattoit à nud, et les jeux de la lutte, rendoient les jeunes gens lâches, les portoient à un amour infame, et n'en faisoient que des baladins: mais du temps d'Epaminondas, l'exercice de la lutte faisoit gagner aux Thébains la bataille de Leuctres (2).

Il y a peu de loix qui ne soient bonnes, lorsque l'état n'a point perdu ses principes; et, comme disoit Epicure en parlant des richesses, ce n'est point la liqueur qui est corrompue, c'est le vase.

CHAPITRE X I I.

Continuation du même sujet.

ON prenoit à Rome les juges dans l'ordre

des sénateurs. Les Gracques transportèrent cette prérogative aux chevaliers. Drusus la donna aux sénateurs et aux chevaliers; Sylla aux sénateurs seuls; Cotta aux sénateurs, aux chevaliers et aux trésoriers de l'épargne. César exclut ces derniers. Antoine fit des décuries de sénateurs, de chevaliers et de centurions.

(1) Plutarque, ibid.

(2) Plutarque, Morales, propos de table, liv. II.

Quand une république est corrompue, on ne peut remédier à aucun des maux qui naissent, qu'en ôtant la corruption et en rappellant les principes: toute autre correction est ou inutile ou un nouveau mal. Pendant que Rome conserva ses principes, les jugemens purent être sans abus entre les mains des sénateurs mais quand elle fut corrompue, à quelque corps que ce fût qu'on transportât les jugemens, aux sénateurs, aux chevaliers, aux trésoriers de l'épargne, à deux de ces corps, à tous les trois ensemble, à quelque autre corps que ce fût, on étoit toujours mal. Les chevaliers n'avoient pas plus de vertu que les sénateurs, les trésoriers de l'épargne pas plus que les chevaliers, et ceux-ci aussi peu que les centurions.

Lorsque le peuple de Rome eut obtenu qu'il auroit part aux magistratures patriciennes, il étoit naturel de penser que ses flatteurs alloient être les arbitres du gouvernement. Non : l'on vit ce peuple, qui rendoit les magistratures communes aux plébéiens, élire toujours des patriciens. Parce qu'il étoit vertueux, il étoit magnanime; parce qu'il étoit libre, il dédaignoit le pouvoir. Mais lorsqu'il eut perdu ses principes, plus il eut de pouvoir, moins il eut de ménagement; jusqu'à ce qu'enfin, devenu son propre tyran et son propre esclave, il perdit la force et la liberté pour tomber dans la foiblesse et dans la licence.

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CHAPITRE XII Í.

Effet du serment chez un peuple vertueux.

Il n'y a point eu de peuple, dit Tite-Live (1),

où la dissolution se soit plus tard introduite que chez les Romains, et où la modération et la pauvreté aient été plus long-temps honorées.

Le serment eut tant de force chez ce peuple, que rien ne l'attacha plus aux loix. Il fit bien des fois pour l'observer, ce qu'il n'auroit jamais fait pour la gloire, ni pour la patrie.

Quintius Cincinnatus, consul, ayant voulu lever une armée dans la ville, contre les Eques et les Volsques, les tribuns s'y opposèrent. « Hé bien, dit-il, que tous ceux qui ont fait » serment au consul de l'année précédente, » marchent sous mes enseignes (2) ». En vain les tribuns s'écrièrent-ils qu'on n'étoit plus lié par ce serment; que, quand on l'avoit fait Quintius étoit un homme privé : le peuple fut plus religieux que ceux qui se mêloient de le conduire; il n'écouta ni les distinctions ni les interprétations des tribuns.

Lorsque le même peuple voulut se retirer sur le Mont-sacré, il se sentit retenir par le serment qu'il avoit fait aux consuls, de le suivre à la guerre (3). Il,forma le dessein de les tuer; (1) Liv. I.

(2) Tite-Live, liv. III.
(3) Tite-Live, liv. II.

on lui fit entendre que le serment n'en subsisteroit pas moins. On peut juger de l'idée qu'il avoit de la violation du serment, par le crime qu'il vouloit commettre.

Après la bataille de Cannes, le peuple effrayé, voulut se retirer en Sicile : Scipion lui fit jurer qu'il resteroit à Rome; la crainte de violer leur serment surmonta toute autre crainte. Rome étoit un vaisseau tenu par deux angles dans la tempête, la religion et les mœurs.

CHAPITRE X I V. Comment le plus petit changement dans la cons titution, entraîne la ruine des principes, ARISTOTE nous parle de la république dé Carthage comme d'une république très-bien réglée. Polybe nous dit qu'à la seconde guerre punique (*), il y avoit à Carthage cet inconvénient, que le sénat avoit perdu presque toute son autorité. Tite-Liye nous apprend que lorsqu'Annibal retourna à Carthage, il trouva que les magistrats et les principaux citoyens détournoient à leur profit les revenus publics, et abu soient de leur pouvoir. La vertu des magistrats tomba donc avec l'autorité du sénat; tout coula du même principe.

On connoît les prodiges de la censure chez les Romains. Il y eut un temps où elle devint

(*) Environ cent ans après.

pesante; mais on la soutint, parce qu'il y avoit plus de luxe que de corruption. Claudius l'affoiblit; et par cet affoiblissement, la corruption devint encore plus grande que le luxe; et la censure (*) s'abolit, pour ainsi dire, d'ellemême. Troublée, demandée, reprise, quittée elle fut entiérement interrompue jusqu'au temps où elle devint inutile, je veux dire les règnes d'Auguste et de Claude.

CHAPITRE X V.

Moyens très-efficaces pour la conservation des trois principes.

JE

E ne pourrai me faire entendre, que lorsqu'on aura lu les quatre chapitres suivans.

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Propriétés distinctives de la république. IL est de la nature d'une république qu'elle n'ait qu'un petit territoire; sans cela elle ne peut guère subsister. Dans une grande république, il y a de grandes fortunes, et par conséquent peu de modération dans les esprits:

(*) Voyez Dion, liv. 38; la vie de Cicéron dans Plutarque; Cicéron à Atticus, liv. IV, lett. 10 et 15, Asconius sur Cicéron, de divinatione.

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