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c'est à le régler et à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés.

Solon établit à Athènes que l'on nommeroit par choix à tous les emplois militaires, et que les sénateurs et les juges seroient élus par le

sort.

Il voulut que l'on donnât par choix les magistratures civiles qui exigeoient une grande dépense, et que les autres fussent données par le

sort.

Mais, pour corriger le sort, il régla qu'on ne pourroit élire que dans le nombre de ceux qui se présenteroient : que celui qui auroit été élu, seroit examiné par des juges (1), et que chacun pourroit l'accuser d'en être indigne (2): cela tenoit en même temps du sort et du choix. Quand on avoit fini le temps de sa magistra ture, il falloit essuyer un autre jugement sur la manière dont on s'étoit comporté. Les gens sans capacité devoient avoir bien de la répu gnance à donner leur nom pour être tirés au

sort.

La loi qui fixe la manière de donner les billets de suffrage, est encore une loi fondamentale dans la démocratie. C'est une grande question, si les suffrages doivent être publics ou secrets.

(1) Voyez l'oraison de Démosthène, de falsá legat, et l'oraison contre Timaque.

(2) On tiroit même pour chaque place deux billets, l'un qui donnoit la place, l'autre qui nommoit celui qui devoit succéder, en cas que le premier fût rejetté.

Cicéron (1) écrit que les loix (2) qui les ren, dirent secrets dans les derniers temps de la république romaine, furent une des grandes causes de sa chûte. Comme ceci se pratique diversement dans différentes républiques, voici, je crois, ce qu'il en faut penser.

Sans doute que, lorsque le peuple donne ses suffrages, ils doivent être publics (3): et ceci doit être regardé comme une loi fondamentale de la démocratie. Il faut que le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de certains personnages. Ainsi, dans la république romaine, en rendant les suffrages secrets, on détruisit tout; il ne fut plus possible d'éclairer une populace qui se perdoit. Mais, lorsque dans une aristocratie le corps des nobles donne les suffrages (4), ou dans une démocratie le sénat (5); comme il n'est là question que de prévenir les brigues, les suffrages ne sauroient être trop secrets.

La brigue est dangereuse dans un sénat; elle est dangereuse dans un corps de nobles : elle ne l'est pas dans le peuple, dont la nature est

(1) Liv. I et III des Loix.

(2) Elles s'appelloient loix tabulaires. On donnoit à chaque citoyen deux tables; la première marquée d'un A, pour dire antiquo; l'autre d'un U et d'un R, uti rogas. (3) A Athènes, on levoit les mains.

(4) Comme à Venise.

(5) Les trente tyrans d'Athènes voulurent que les suffrages des Areopagites fussent publics, pour les diriger à leur fantaisie. Lysias, orat, contrà Agorat. cap. VIII.

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d'agir par passion. Dans les états où il n'a point de part au gouvernement, il s'échauffera pour un acteur, comme il auroit fait pour les affaires. Le malheur d'une république, c'est lorsqu'il n'y a plus de brigues; et cela arrive, lorsqu'on a corrompu le peuple à prix d'argent: il devient de sang-froid, il s'affectionne à l'argent, mais il ne s'affectionne plus aux affaires : sans souci du gouvernement et de ce qu'on y propose, il attend tranquillement son salaire.

C'est encore une loi fondamentale de la

démocratie, que le peuple seul fasse des loix. Il y a pourtant mille occasions où il est nécessaire que le sénat puisse statuer; il est même souvent à propos d'essayer une loi avant de l'établir. La constitution de Rome et celle d'Athènes étoient très sages. Les arrêts du sénat (*) avoient force de loi pendant un an; ils ne devenoient perpétuels que par la volonté du peuple.

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(*) Voyez Denys d'Halicarnasse, liv, IV et IX¿

*

CHAPITRE III.

Des loix relatives à la nature de l'aristocratie.

DANS

ANS l'aristocratie, la souveraine puissance est entre les mains d'un certain nombre de personnes. Ce sont elles qui font les loix et qui les font exécuter; et le reste du peuple n'est, tout au plus à leur égard, que, comme dans une monarchie, les sujets sont à l'égard du monarque.

On n'y doit point donner le suffrage par sort; on n'en auroit que les inconvéniens. En effet, dans un gouvernement qui a déjà établi les distinctions les plus affligeantes, quand on seroit choisi par le sort, on n'en seroit pas moins odieux: c'est le noble qu'on envie, et non pas le magistrat.

Lorsque les nobles sont en grand nombre, il faut un sénat qui règle les affaires que le corps des nobles ne sauroit décider, et qui prépare celles dont il décide. Dans ce cas, on peut dire que l'aristocratie est en quelque sorte dans le sénat, la démocratie dans le corps des nobles, et que le peuple n'est rien.

Ce sera une chose tres-heureuse dans l'aristocratie, si, par quelque voie indirecte, on fait sortir le peuple de son anéantissement : ainsi à Gènes la banque de S. Georges, qui

est administrée, en grande partie, par les principaux du peuple (1), donne à celui-ci une certaine influence dans le gouvernement, qui en fait toute la prospérité.

Les sénateurs ne doivent point avoir le droit de remplacer ceux qui manquent dans le sénat; rien ne seroit plus capable de perpétuer les abus. A Rome, qui fut dans les premiers temps, une espèce d'aristocratie, le sénat ne se suppléoit pas lui-même; les sénateurs nouveaux étoient nommés (2) par les censeurs.

Une autorité exorbitante, donnée tout-àcoup à un citoyen dans une république, forme une monarchie, ou plus qu'une monarchie, Dans celle-ci, les loix ont pourvu à la constitution, ou s'y sont accommodées; le principe du gouvernement arrête le monarque : mais, dans une république où un citoyen se fait donner (3) un pouvoir exorbitant, l'abus de ce pouvoir est plus grand; parce que les loix, qui ne l'ont point prévu, n'ont rien fait pour l'arrêter.

L'exception à cette règle est lorsque la constitution de l'état est telle qu'il a besoin d'une magistrature qui ait un pouvoir exorbitant. Telle étoit Rome avec ses dictateurs, telle est Venise

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(1) Voyez M. Addisson, voyages d'Italie, p. 16,

(2) Ils le furent d'abord par les consuls.

(3) C'est ce qui renversa la république Romaine, Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.

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