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ou le magistrat juger. Il suit, de ce que les terres appartiennent au prince, qu'il n'y a presque point de loix civiles sur la propriété des terres. Il suit, du droit que le souverain a de succéder, qu'il n'y en a pas non plus sur les successions. Le négoce exclusif, qu'il fait dans quelques pays, rend inutiles toutes sortes de loix sur le commerce. Les mariages que l'on y contracte avec des filles esclaves, font qu'il n'y a guère de loix civiles sur les dots et sur les avantages des femmes. Il résulte encore de cette prodigieuse multitude d'esclaves, qu'il n'y a presque point de gens qui aient une volonté propre, et qui par conséquent doivent répondre de leur conduite devant un juge. La plupart des actions morales, qui ne sont que les volontés du père, du mari, du maître, se règlent par eux, et non par les magistrats.

J'oubliois de dire que ce que nous appellons l'honneur, étant à peine connu dans ces états, toutes les affaires qui regardent cet honneur, qui est un si grand chapitre parmi nous, n'y ont point de lieu. Le despotisme se suffit à luimême; tout est vuide autour de lui. Aussi, lorsque les voyageurs nous décrivent les pays où il règne, rarement nous parlent-ils de loix civiles (*).

(*) Au Mazulipatan, on n'a pu découvrir qu'il y eût de loi écrite. Voyez le Recueil des voyages qui ont servi l'établissement de la compagnie des Indes, tome IV, part. I, pag. 391. Les Indiens ne se règlent, dans les Jugemens, que sur de certaines coutumes. Le Vedam et

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Toutes les occasions de dispute et de procès y sont donc ôtées. C'est ce qui fait en partie qu'on y maltraite si fort les plaideurs : l'injustice de leur demande paroît à découvert, n'étant pas cachée, palliée, ou protégée par une infi nité de loix.

CHAPITRE II

De la simplicité des loix criminelles dans les divers gouvernemens.

ON entend dire sans cesse qu'il faudroit que la justice fût rendue par-tout comme en Tur quie. Il n'y aura donc que les plus ignorans de tous les peuples qui auront vu clair dans la chose du monde qu'il importe le plus aux hommes de savoir.

Si vous examinez les formalités de la justice, par rapport à la peine qu'a un citoyen à se faire rendre son bien, ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez sans doute trop si vous les regardez dans le rapport qu'elles ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en trouverez souvent trop peu; et vous verrez que les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers même de la justice sont

autres livres pareils ne contiennent point de loix civiles, mais des préceptes religieux, Voyez Lettres édifiantes, quatorzième recueil,

le prix que chaque citoyen donne pour sa

liberté.

En Turquie, où l'on fait très-peu d'attention à la fortune, à la vie, à l'honneur des sujets, on termine promptement, d'une façon ou d'une autre, toutes les disputes. La manière de les finir est indifférente, pourvu qu'on finisse Le bacha, d'abord éclairci, fait distribuer, à sa fantaisie, des coups de bâton sur la plante des pieds des plaideurs, et les renvoie chez eux.

Et il seroit bien dangereux que l'on y eût les passions des plaideurs: elles supposent un desir ardent de se faire rendre justice, une haine, une action dans l'esprit, une constance à poursuivre. Tout cela doit être évité dans un gouvernement où il ne faut avoir d'autre sentiment que la crainte, et où tout mène tout-àcoup, et sans qu'on le puisse prévoir, à des révolutions. Chacun doit connoître qu'il ne faut point que le magistrat entende parler de lui, et qu'il ne tient sa sûreté que de son anéantissement.

Mais, dans les états modérés, où la tête du moindre citoyen est considérable, on ne lui ôte son honneur et ses biens qu'après un long examen: on ne le prive de la vie que lorsque la patrie elle-même l'attaque ; et elle ne l'attaque qu'en lui laissant tous les moyens possibles de la défendre.

Aussi, lorsqu'un homme se rend plus absolu (*), songe-t-il d'abord à simplifier les

(*) César, Cromwel, et tant d'autres.

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loix. On commence, dans cet état, à être plus frappé des inconvéniens particuliers; que de la liberté des sujets, dont on ne se soucie point

du tout.

On voit que, dans les républiques, il faut pour le moins autant de formalités que dans les monarchies. Dans l'un et dans l'autre gouvernement, elles augmentent en raison du cas que l'on y fait de l'honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens.

Les hommes sont tous égaux dans le gouvernement républicain; ils sont égaux dans le gouvernement despotique : dans le premier, c'est parce qu'ils sont tout; dans le second, c'est parce qu'ils ne sont rien,

CHAPITRE II I.

Dans quels gouvernemens et dans quels cas on doit juger selon un texte précis de la loi. PLUS le gouvernement approche de la répu blique, plus la manière de juger devient fixe; et c'étoit un vice de la république de Lacédé mone, que les èphores jugeassent arbitrairement, sans qu'il y eût des loix pour les diriger. A Rome, les premiers consuls jugèrent comme les éphores; on en sentit les inconvéniens, et l'on fit des loix précises.

Dans les états despotiques, il n'y a point de loix; le juge est lui-même sa règle, Dans les

états monarchiques, il y a une loi : et là où elle est précise, le juge la suit; là où elle ne l'est pas, il en cherche l'esprit. Dans le gouvernement républicain, il est de la nature de la constitution, que les juges suivent la lettre de la loi. Il n'y a point de citoyen contre qui on puisse interpréter une loi, quand il s'agit de ses biens, de son honneur, ou de

sa vie.

A Rome, les juges prononçoient seulement que l'accusé étoit coupable d'un certain crime, et la peine se trouvoit dans la loi, comme on le voit dans diverses loix qui furent faites. De même, en Angleterre, les jurés décident si l'accusé est coupable, ou non, du fait qui a été porté devant eux; et, s'il est déclaré cou pable, le juge prononce la peine que la loi inflige pour ce fait: et, pour cela, il ne lui faut que des yeux.

CHAPITRE IV.

De la manière de former les jugemens. DE-LA suivent les différentes manières de former les jugemens. Dans les monarchies, les juges prennent la manière des arbitres ; ils déli bèrent ensemble, ils se communiquent leurs pensées, ils se concilient; on modifie son avis, pour le rendre conforme à celui d'un autre; les avis les moins nombreux sont rappellés aux

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