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Chaque société particulière vient à sentir sa force; ce qui produit un état de guerre de ) nation à nation. Les particuliers, dans chaque société, commencent à sentir leur force; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette société ; ce qui fait entre eux un état de guerre.

Ces deux sortes d'état de guerre font établir les loix parmi les hommes. Considérés comme habitans d'une si grande planète, qu'il est nécessaire qu'il y ait différens peuples, ils ont des loix dans le rapport que ces peuples ont entre eux; et c'est le DROIT DES GENS. Considérés comme vivans dans une société qui doit être maintenue, ils ont des loix dans le rapport qu'ont ceux qui gouvernent, avec ceux qui sont gouvernés ; et c'est le DROIT POLITIQUE. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux; et c'est le DROIT CIVIL.

Le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe; que les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts.

L'objet de la guerre, c'est la victoire; celui de la victoire, la conquête; celui de la conquête, la conservation. De ce principe et du précédent, doivent dériver toutes les loix qui forment le droit des gens,

Toutes les nations ont un droit des gens; et les Iroquois même, qui mangent leurs prisonniers, en ont un. Ils envoient et reçoivent

des

des ambassades; ils connoissent des droits de la guerre et de la paix : le mal est que ce droit des gens n'est pas fondé sur les vrais principes.

Outre le droit des gens, qui regarde toutes les sociétés, il y a un droit politique pour chacune. Une société ne sauroit subsister sans un gouvernement. La réunion de toutes les forces particulières, dit très-bien GRAVINA, forme ce qu'on appelle l'ÉTAT POLITIQUE.

La force générale peut être placée entre les mains d'un seul, ou entre les mains de plusieurs. Quelques-uns ont pensé que, la nature ayant établi le pouvoir paternel, le gouvernement d'un seul étoit le plus conforme à la nature. Mais l'exemple du pouvoir paternel ne prouve rien. Car, si le pouvoir du père a du rapport au gouvernement d'un seul, après la mort du père, le pouvoir des frères, ou, après la mort des frères, celui des cousins-germains, ont du rapport au gouvernement de plusieurs. La puissance politique comprend nécessairement l'union de plusieurs familles.

Il vaut mieux dire que le gouvernement le plus conforme à la nature, est celui dont la disposition particulière se rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il est établi.

Les forces particulières ne peuvent se réunir, sans que toutes les volontés se réunissent. La réunion de ces volontés, dit encore très-bien GRAVINA, est ce qu'on appelle l'ÉTAT CIVIL. La loi, en général, est la raison humaine, Tome I.

B

en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre; et les loix politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas par ticuliers où s'applique cette raison humaine.

Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c'est un grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre.

Il faut qu'elles se rapportent à la nature et au principe du gouvernement qui est établi, ou qu'on veut établir; soit qu'elles le forment, comme font les loix politiques; soit qu'elles le maintiennent, comme font les loix civiles.

Elles doivent être relatives au physique du pays; au climat glacé, brûlant ou tempéré; à la qualité du terrein, à sa situation, à sa grandeur; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs, ou pasteurs : elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir; à la religion des habitans, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs moeurs, à leurs manières. Enfin, elles ont des rapports entre elles; elles en ont avec leur origine, avec l'objet du législateur, avec l'ordre des choses sur lesquelles elles sont établies. C'est dans toutes ces vues qu'il faut les considérer.

C'est ce que j'entreprends de faire dans cet ouvrage. J'examinerai tous ces rapports : ils for ment tous ensemble ce que l'on appelle l'ESPRIT

DES LOIX,

Je n'ai point séparé les loix politiques des civiles: car, comme je ne traite point des loix, mais de l'esprit des loix, et que cet esprit consiste dans les divers rapports que les loix peuvent avoir avec diverses choses, j'ai dû moins suivre l'ordre naturel des loix, que celui de ces rapports et de ces choses.

J'examinerai d'abord les rapports que les loix ont avec la nature et avec le principe de chaque gouvernement: et, comme ce principe a sur les loix une suprême influence, je m'attacherai à le bien connoître; et, si je puis une fois l'établir, on en verra couler les loix comme de leur source. Je passerai ensuite aux autres rapports, qui semblent être plus particuliers.

LIVRE I I.

Des loix qui dérivent directement de la nature du gouvernement.

CHAPITRE PREMIER.

De la nature des trois divers gouvernemens.

IL

Il y a trois espèces de gouvernemens : le

RÉPUBLICAIN, le MONARCHIQUE, et le DESPOTIQUE. Pour en découvrir la nature, il suffit de l'idée qu'en ont les hommes les moins instruits. Je suppose trois définitions, ou plutôt trois faits: l'un, que le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance : le monarchique, celui où un seul gouverne, mais par des loix fixes et établies: au lieu que, dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices.

Voilà ce que j'appelle la nature de chaque gouvernement. Il faut voir quelles sont les loix qui suivent directement de cette nature, et qui par conséquent sont les premières loix fondamentales.

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